Henri Labrouste et la bibliothèque Sainte-Geneviève
Histoire et actualité
Annie Le Saux
Le 11 octobre 2001, la bibliothèque Sainte-Geneviève était à l’initiative d’un colloque destiné à célébrer le bicentenaire de la naissance d’Henri Labrouste, suivi d’une exposition, dans les locaux de la bibliothèque, intitulée « Voir et revoir l’œuvre de Labrouste ».
Genèse d’une construction
Inaugurée en 1851, la bibliothèque Sainte-Geneviève prend la suite de la bibliothèque de l’abbaye Sainte-Geneviève, dont le bâtiment existe toujours au sein du lycée Henri IV. Nicolas Petit, de la Bibliothèque nationale de France, a retracé, au travers de gravures et de plans, l’histoire de cette bibliothèque monastique, située sous les combles des anciens bâtiments de l’abbaye. Cette situation en hauteur lui permettait de recevoir un éclairage plus vif, mais c’est elle aussi qui lui a valu d’être obligée de déménager. Le poids des ouvrages était devenu une menace pour les salles du Lycée, qui occupait les étages inférieurs.
Une gravure de 1691 montre une bibliothèque en forme de croix, sous une coupole, d’où émanait la lumière. Les pétitions de plusieurs écrivains, dont Victor Hugo, n’ont pu empêcher que la bibliothèque quitte le lycée Henri IV pour être construite, sur la place du Panthéon, sur le terrain de ce qui fut le collège de Montaigu.
En ce début du XIXe siècle, les lieux pour accueillir les collections des bibliothèques n’abondaient pas. Construire un bâtiment autonome, spécifiquement destiné à recevoir une bibliothèque, était une décision novatrice. L’école des Beaux-Arts, dont certains travaux comportaient des programmes de bibliothèque, les concours du prix de Rome, et le Conseil des bâtiments civils formaient les éléments auxquels pouvaient se référer les architectes. Peu d’ouvrages théoriques existaient alors.
Quand Henri Labrouste, prix de Rome 1824, se voit confier le projet de construction de la bibliothèque Sainte-Geneviève, « tout reste à inventer. On sait faire des bibliothèques palais, mais on ne s’est pas interrogé sur les fonctions d’une bibliothèque », note Jean-François Foucaud, de la Bibliothèque nationale de France. La visite comparative qu’il a faite des deux grandes œuvres d’Henri Labrouste – la Bibliothèque impériale et la bibliothèque Sainte-Geneviève – a témoigné de ces modèles de bibliothèques, durables et totalement différents, qu’a établis Henri Labrouste, et que, au XIXe siècle, l’archéologue Léon de Laborde, dans ses Lettres sur les bibliothèques, distingue ainsi : la Bibliothèque impériale, bénéficiaire du dépôt légal, bibliothèque publique à vocation patrimoniale, voit ses magasins se remplir vite et régulièrement, tandis qu’à la bibliothèque Sainte-Geneviève, bibliothèque publique destinée aux étudiants, ce sont les lecteurs qui sont surtout pris en compte.
À la bibliothèque Sainte-Geneviève, Henri Labrouste a tout dessiné, jusqu’au moindre encrier, et a travaillé avec tous les artisans, venant, selon les précisions de l’architecte Paul Chemetov, pendant les sept années qu’a duré la construction, tous les jours sur le chantier.
La salle de lecture, située au premier étage, est éclairée de 41 fenêtres, avec des embrasures de grande profondeur destinées à atténuer la lumière. La façade, sur laquelle sont gravés 810 noms illustres, se distingue par un esthétisme d’un classicisme antique. Frédéric Barbier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, dans une interprétation sémiologique, considère que « l’encyclopédisme du catalogue des noms figurant sur la façade renvoie à l’encyclopédisme du catalogue au cœur de la bibliothèque. Ce catalogue déroule le véritable catalogue du développement de l’humanité. »
Un modèle en France et à l’étranger
Cette façade de la bibliothèque Sainte-Geneviève a été diversement appréciée à l’époque. Sur la bibliothèque dans son ensemble, les réactions furent passionnées. Les articles sur la bibliothèque Sainte-Geneviève, recensés à partir de la Revue générale d’architecture et des travaux publics et de l’Encyclopédie de l’architecture et de la construction par Béatrice Bouvier, boursière de la Fondation Thiers, louent le plus souvent l’ingéniosité d’Henri Labrouste, même si certaines critiques, issues notamment de son entourage professionnel, sont sévères. L’architecte Pierre-François-Léonard Fontaine reproche l’aspect un peu trop novateur de l’édifice. La principale innovation, que les intervenants à cette journée ont tous soulignée, fut l’utilisation, par Henri Labrouste, de matériaux comme le fer. Ce qui fut repris par la suite, de même que la forme de parallélépipède du bâtiment. Très vite, Sainte-Geneviève va devenir un modèle, aussi bien en France – ce qu’a illustré Marc Saboya, maître de conférences à l’université de Bordeaux III – qu’à l’étranger et notamment aux États-Unis, comme l’a montré, par des projections, Barry Bergdoll, professeur d’architecture à l’université de Columbia.
Les critiques émises par le personnel et les lecteurs sur ce nouveau bâtiment ont été résumées par Geneviève Boisard, qui a longtemps dirigé cette bibliothèque, à partir des mémoires et des rapports conservés à la bibliothèque Sainte-Geneviève et à la Bibliothèque nationale. Les remarques du personnel, à la différence de celles des utilisateurs, étaient nombreuses et directement adressées à Henri Labrouste, qui en tint souvent compte pour effectuer un certain nombre d’aménagements, concernant l’aération, l’éclairage, les capacités de stockage…
Cependant, certains manques et dysfonctionnements ont subsisté, comme l’absence de salle d’exposition et la longueur des files d’attente. Cette dernière critique pouvant être interprétée comme la rançon du succès actuel de la bibliothèque, dont l’ambiance studieuse et la beauté des lieux sont appréciées des lecteurs. Le XIXe siècle, pour Geneviève Boisard, se caractérise par « la nationalisation du culturel, l’apparition d’un service public et par l’invention progressive de la bibliothéconomie. »
Depuis sa création, la bibliothèque Sainte-Geneviève vit et se développe. Cependant, Paul Chemetov, porte-parole de Pierre Riboulet, empêché, a mis en garde contre des transformations qui risqueraient d’être par trop infidèles aux principes d’Henri Labrouste. « Il ne s’agit pas, insiste Paul Chemetov, de plaquer la modernité, mais de traiter cet édifice historique avec des précautions contemporaines. »
Rappelons que des travaux de mise en sécurité de la bibliothèque sont prévus en 2002.