La formation professionnelle des bibliothécaires musicaux en France

Christian Massault

Ce texte, repris d’une communication faite lors du dernier congrès de l’AIBM (Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux), n’a pas de prétention à l’exhaustivité. Mes observations s’appuient sur une pratique de plus de quinze ans dans les circuits de la formation professionnelle, initiale ou continue. Elles sont enrichies du résultat d’enquêtes, récentes mais partielles, réalisées en mai et juin 2001 pour combler en partie le manque d’informations centralisées dans ce domaine.

Je n’aborde pas, ici, la question des formations musicales suivies, au préalable, par les futurs professionnels (écoles de musique, conservatoire, université, autodidaxie), et dont les acquis variables jouent un rôle majeur dans les orientations professionnelles.

Le niveau de culture musicale ou de maîtrise des langages de notation (conventionnels ou non) de la musique peuvent être plus ou moins déterminants selon que vous postulerez à une fonction de bibliothécaire d’orchestre, de documentaliste dans une institution de recherche, de « discothécaire » dans une médiathèque publique, de secrétaire de rédaction chez un éditeur de musique imprimée, etc.

Un des enjeux de la formation professionnelle est de prendre en compte simultanément, pour une population de quelques centaines de professionnels, la diversité des parcours de formation, les besoins spécifiques à chaque segment de la profession, ainsi que des éléments de culture professionnelle communs à tous les segments. La faiblesse de l’offre en formation initiale n’est que très partiellement comblée par l’offre en formation continue et laisse une grande place aux démarches d’autoformation. L’étroitesse de ce marché de la formation nous conduit à une situation paradoxale. La difficulté à susciter des formations de formateurs pour que les professionnels reconnus pour leurs compétences transmettent leurs savoirs et savoir-faire, et la surexposition des formateurs reconnus très (trop ?) sollicités.

Rappel historique

De 1975 à 1994, c’est le Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB), avec son option (spécialisation) discothèque, puis musique qui a formé vingt promotions de professionnels de la documentation musicale.

Ce diplôme technico-professionnel, accessible au niveau bac, a toujours fait l’objet d’un double consensus :

– L’insuffisance de son volume horaire (120 heures de cours) qui ne permettait pas d’aborder la documentation musicale sous tous ses aspects, particulièrement dans le domaine de l’économie de la musique, et limitait les débouchés essentiellement au champ de la lecture publique.

– L’aspect unificateur d’une formation initiale commune, avec un diplôme national reconnu, aujourd’hui encore, pour apporter le minimum nécessaire à l’apprentissage du « métier ».

La réforme du Cafb et l’intégration au sein des universités des centres régionaux de formation aux métiers du livre et des bibliothèques, en 1988/89, ont permis d’envisager dès le début des années 1990, une revalorisation et un développement de ce niveau de formation.

Ce fut le cas avec la création du diplôme universitaire de technologie (DUT) et du diplôme d’enseignement universitaire de sciences et techniques (Deust) en documentation ou information/communication, à un niveau bac + 2, mais force est de constater que la documentation musicale n’a que très partiellement trouvé sa place dans ces nouveaux dispositifs. J’en veux pour exemple le DEUST musique proposé en 1992 par Sylviane Lange à Lyon et qui n’a jamais vu le jour. L’articulation avec les filières musicologiques reste, quant à elle, problématique, les licences avec option documentation peinant à trouver leur inscription dans le paysage des bibliothèques musicales, à l’exemple de celle de Lyon 2, suspendue en l’an 2000. Nous verrons que c’est à travers la création des instituts universitaires professionnalisés (IUP), que le paysage de la formation initiale se recompose depuis une dizaine d’années.

Le mode d’accession par concours aux filières de la Fonction publique territoriale ou d’État, qui représente la quasi-totalité des emplois du secteur, dissocie radicalement depuis la parution des décrets de 1991/92 les questions d’accès à la profession de celles de la formation, obligatoire après recrutement. L’organisation en formation initiale d’application (FIA) et formation d’adaptation à l’emploi (FAE) résulte de logiques administratives peu compatibles avec l’organisation des cursus de formations universitaires. Un nombre croissant d’étudiants est conduit à gérer simultanément les deux démarches, quitte à faire valider a posteriori les acquis préalables.

Les centres régionaux de formation

Réunis au sein d’une association, « In12 », ces centres répondent de façon très différenciée à la question des formations à la documentation musicale. Sept seulement ont répondu à notre enquête, présentant des niveaux d’intervention très variés, sans rapport avec leur taille en personnel, en budget ou en population professionnelle à desservir. L’importance donnée aux formations musique est directement liée aux choix stratégiques de leurs responsables.

Quatre ne proposent que des interventions ponctuelles dans le cadre de la formation continue. Un à trois stages par an, de un à trois jours, sur un sujet de culture musicale (le blues, les musiques actuelles), ou des questions techniques (catalogage Unimarc, Rameau musique).

Trois proposent des formations initiales longues, ainsi qu’un nombre plus conséquent de formations continues : de cinq à quinze jours de formation par an, conventionnés quand c’est possible par le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale). Les sujets traités concernent aussi bien les questions techniques que de culture musicale.

– Le centre de Clermont-Ferrand, propose un Deust « métiers du livre » avec option « Image et son » pour un volume horaire de 250 heures, à bac+ 2. 30 étudiants/an.

– L’IUP ingénierie documentaire, à Toulouse, propose une formation sur trois ans, Deug, Licence, Maîtrise. La musique est prise en compte pendant la deuxième année (250 heures), et fait l’objet d’un projet professionnel en troisième année. 15 étudiants/an.

– Médiat Rhône Alpes propose un DU (diplôme d’université) accessible après un DUT, un Deust, ou en formation continue (200 heures). Ce DU est intégré dans l’année de licence de l’IUP métiers du livre de l’UPMF (université Pierre-Mendès-France à Grenoble). L’année de maîtrise peut prolonger cette spécialisation dans les domaines de la production, de l’édition ou de la distribution. 15 à 25 étudiants/an.

Les autres IUP que nous avons observés, à Lyon ou en région parisienne, ne prennent pas en compte la spécificité musicale.

Il est clair que les choix opérés sont inscrits dans une logique de décentralisation, dans le cadre d’une négociation entre les responsables des centres de formation et leur université de rattachement.

Le secteur associatif

– Une association de formation : OPERA, animée par Sylviane Lange, ancienne discothécaire et initiatrice du CAFB musique, propose à elle seule un programme de formation continue au moins égal au total des programmes des 12 centres régionaux. 17 stages (62 jours) en 2000, 15 stages (55 jours) en 2001 qui concernent entre 200 et 300 professionnels. Un quart de ces stages sont conventionnés par le CNFPT (Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon), facilitant la participation des personnels territoriaux.

– Une association nationale : Acim, éditrice de la revue professionnelle Écouter Voir, dont la politique éditoriale s’inscrit dans le cadre de la formation permanente. Elle s’associe également à quelques journées d’étude nationales ou régionales.

– Une association régionale : VDL (Vidéothécaires, discothécaires de la région lyonnaise), propose des journées d’étude régionales, des rencontres nationales, et participe aux programmes de formation de Médiat. La plupart de ces opérations sont faites en partenariat avec l’Acim, le Cnfpt, l’Abf, etc. Une centaine de participants par journée sur des thèmes d’actualité (la refonte du cadre de classement des documents musicaux, par exemple).

– D’autres associations se créent dans les régions, mais n’ont pas encore signalé d’actions de formation. La rencontre et la coordination /coopération entre les professionnels en est le premier objet. Cette nécessité de se rencontrer, évoquée depuis de nombreuses années, s’accélère et trouve un renfort par l’existence depuis janvier 2000 d’une liste de discussion sur Internet, discothecaires_fr.

– L’AIBM lors de son dernier congrès en juillet 2001 à Périgueux, et l’Afas (Association française des détenteurs d’archives sonores) lors de son assemblée générale d’octobre 2001 1 à Lyon, ont chacune pour leur part abordé les questions de formation. Il faut noter que bon nombre des membres de ces associations participent de façon conséquente aux enseignements des différentes filières.

Les bibliothèques départementales de prêt

Les collections musicales s’étant considérablement développées ces quinze dernières années dans les réseaux départementaux, ces bibliothèques assurent par elles-mêmes l’essentiel de la formation des agents communaux et des relais de leur réseau (salariés ou bénévoles). Ces formations sont assurées par les discothécaires des sites centraux, en prestation de service par les centres régionaux ou par le secteur privé. Elles concernent plusieurs centaines d’agents par an.

L’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques)

Si les enseignements touchant au domaine musical n’ont tenu, au mieux, qu’une place marginale dans les cursus de formation de l’école (DCB – diplôme de conservateur de bibliothèque –, DESS – diplôme d’études supérieures spécialisées), une volonté de prise en compte de ces spécificités se fait jour dans les programmes de formation continue. Un service d’information existe sur le site de l’école, pour recenser les formations existantes 2.

La Direction du livre et de la lecture

Ni le bureau des bibliothèques territoriales, ni la cellule formation, ne mènent d’actions spécifiques dans le domaine de la documentation musicale. Ils conviennent néanmoins de l’intérêt de recenser l’existant, d’analyser les besoins et de réfléchir aux réponses appropriées.

Réflexions

Le paysage de la documentation musicale, tout en se développant considérablement au fil des années, ne concerne au bout du compte que quelques centaines de professionnels en France. Leur recensement n’existe pas à ma connaissance, et l’évaluation de leur nombre et de leurs besoins en formation reste imprécise. La coupure entre bibliothèques publiques, bibliothèques d’établissements d’enseignement, bibliothèques universitaires et bibliothèques spécialisées, reste forte et représente un frein à l’unité de la profession et à la réponse en terme de formations.

L’offre en formation, globalement en augmentation, souffre d’un déficit d’image sur les raisons duquel nous pouvons apporter quelques pistes de réflexion.

– Décalage entre les besoins exprimés par les agents, et les plans de formation élaborés par leurs collectivités.

– Disparités régionales importantes autant pour le nombre de cursus et de stages que pour les contenus.

– Difficultés d’accès pour les agents à certaines formations, pour des raisons financières ou d’éloignement géographique.

– Difficultés fréquentes d’accès à l’information concernant l’offre, particulièrement d’une région à l’autre.

– Demandes, très pointues et spécifiques, de formations à la carte, correspondant à une segmentation très forte d’une population professionnelle peu nombreuse.

Par voie de conséquence, nous constatons fréquemment une situation paradoxale de stages annulés par manque d’inscrits alors que des besoins nombreux s’expriment sur ces sujets.

Perspectives

Je propose de dégager trois axes complémentaires de travail pour faire avancer la problématique des formations à la documentation musicale :

– Un travail d’enquête sur l’existant. Recenser toutes les formations, initiales ou continues, dans le secteur public comme dans le secteur privé, en clarifiant les correspondances entre niveau de formation, niveau de recrutement et niveau des responsabilités exercées.

– Une réflexion sur la notion d’aménagement du territoire. Application du principe d’égalité républicaine avec une adaptation de l’offre prenant en compte les critères d’accessibilité géographique, et les passerelles entre les filières.

– Un travail sur l’unité de la profession. Information partagée, mise en réseau, mise en perspective des spécialisations dans le cadre de compétences professionnelles communes. Échanges à développer entre les associations professionnelles représentatives (AIBM, Acim, Afas, ABF, VDL, etc.)

C’est un vaste chantier qui est ouvert, et je suis convaincu que nous pouvons, ensemble, contribuer à en consolider les fondations.

Novembre 2001