Le plan U3M en Île-de-France

Perspectives 2000-2006

Daniel Renoult

Longtemps laissées à part, les universités parisiennes bénéficient d’une priorité dans le plan « universités du 3e millénaire ». Élaboré et concerté pendant les années 1998-2000, ce plan fixe les orientations de l’enseignement supérieur pour la période 2000-2015. Cofinancés par l’État et les collectivités territoriales, les investissements pour l’Ile-de-France concerneront en particulier la construction de bibliothèques universitaires nouvelles à hauteur d’environ 155,5 millions d’euros. Ce programme a été l’occasion de définir une stratégie documentaire globale pour une région qui accueille encore plus de 25 % des étudiants français. Il s’agit à la fois d’achever les programmes universitaires engagés lors du plan « Universités 2000 », mais aussi de réaliser des équipements structurants, notamment à Paris, et de créer les conditions d’un véritable fonctionnement en réseau. Après une description des principaux projets engagés, l’auteur conclut en analysant les facteurs de risques et de réussite impliqués par cette opération de planification à moyen et à long terme.

Having been sidelined for some time, Parisian universities are now being given priority in the “Universities of the 3rd Millennium” plan. Planned and developed during the years 1998-2000, this plan sets directions for higher education for the period 2000-2015. Jointly financed by the State and territorial authorities/collectivités, investments for the Ile-de-France will be concerned in particular with the construction of new university libraries up to the value of about 155.5 million euros. This programme has led to the defining of a global documentary strategy for a region which takes more than 25 % of French students. This means that the university programmes undertaken under the “Universities 2000” plan have to be completed, while at the same time providing some physical facilities, notably in Paris, and creating the conditions for an operational network. After a description of the main projects undertaken, the author concludes by analysing the risk factors and the hoped for outcome for this planning operation in the medium/long term.

Den seit langer Zeit vernachlässigten Pariser Universitäten wird im Programm “Universitäten des dritten Jahrtausends” eine Vorrangstellung eingeräumt. Dieser Plan, der während der Jahre 1998-2000 ausgearbeitet und weiter verbessert wurde, legt die Ausrichtung der Hochschulausbildung für die Zeit zwischen 2000 und 2015 fest. Die vom Staat und den Gemeinden gemeinsam finanzierten Investitionen für Paris und Umgebung beziehen sich vor allem auf den Bau von neuen Universitätsbibliotheken und belaufen sich auf zirka 155,5 Millionen Euro. Das Programm wurde zum Anlass genommen um eine neue Dokumentationsstruktur zu definieren für eine Region, die immer noch mehr als 25% aller Studierenden betreut. Es geht also darum swohl die für den Plan “Universitäten 2000" erarbeiteten Universitätsprogramme durchzuführen, als auch Strukturen aufzubauen, vor allem in Paris, und die Voraussetzungen für ein gut funktionierendes Netzwerk zu schaffen. Nachdem der Autor die wichtigsten geplanten Projekte beschrieben hat schliesst er mit einer Analyse der mittel- und langfristigen Risikofaktoren und Erfolgschancen dieser verschiedenen Vorhaben.

Durante mucho tiempo dejadas de lado, las universidades parisienses salen favorecidas prioritariamente en el plan Universidades del tercer milenio. Elaborado y concertado durante los años 1998-2000, este plan fija las orientaciones de la enseñanza superior para el periodo 2000-2015. Cofinanciados por el Estado y las colectividades territoriales, las inversiones para la Ile-de-France (región parisiense) concernerán en particular la construcción de bibliotecas universitarias nuevas a una altura de aproximadamente 155,5 millones de euros. Este programa ha dado la oportunidad de definir una estrategia documental global para la región que aún acoge más de 25% de los estudiantes franceses. Se trata a la vez de acabar los programas universitarios comprometidos en el momento del plan “Universidades 2000”, pero también de realizar equipamientos estructurantes, particularmente en Paris, y de crear las condiciones de un verdadero funcionamiento en red. Después de una descripción de los principales productos comprometidos, el autor concluyó analizando los factores de riesgos y de éxitos implicados por esta operación de planificación a mediano/largo plazo.

Par rapport à d’autres pays européens, la France offre le modèle d’un pays centralisé. En région parisienne se sont en effet concentrés depuis plusieurs siècles les pouvoirs politiques, financiers, ainsi qu’une grande partie des centres intellectuels et artistiques, l’édition et les médias. Caractérisant l’hégémonie sans partage de la capitale, un géographe avait pu publier en 1947 un ouvrage dont le titre est resté dans le langage courant : Paris et le désert français 1.

Dans le dernier quart du XXe siècle cependant, les différents gouvernements ont mis en œuvre une politique de décentralisation : la création de la Délégation à l’aménagement du territoire (1963), le vote des lois de décentralisation (1982), la loi d’orientation et d’aménagement du territoire (1995) ont marqué les jalons de cette évolution continue. Cette politique a couvert tous les domaines : politique, économique et industriel, mais aussi scientifique et culturel. Ainsi les organismes de recherche, en particulier le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), ont participé à la décentralisation. La répartition territoriale des chercheurs appartenant aux organismes publics est passée de 80 % en Ile-de-France dans les années 1950-1960 à moins de 50 % en 2000. On constate une évolution similaire dans l’enseignement supérieur : la part des étudiants franciliens a d’abord représenté 44 % des étudiants français en 1950, puis 34 % en 1980, et enfin 26 % aujourd’hui.

Le plan Universités 2000

Accompagnant la forte croissance démographique étudiante, les universités de province se sont développées avec le soutien conjoint de l’État et des collectivités territoriales. De ce point de vue, le plan Universités 2000, préparé en 1989-1990, a marqué une étape essentielle. À cette occasion ont été définies les orientations d’un programme à long terme de modernisation et d’expansion des universités : élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur, effort partagé avec les collectivités territoriales de construction et de rénovation des bâtiments, réinsertion des universités dans les villes, attention plus grande apportée à la vie étudiante, démarche à la fois volontariste et concertée d’aménagement du territoire. Ce plan pluriannuel de 32 milliards de francs, financé à parts égales par l’État et les collectivités locales, s’est traduit à partir de 1992 par des résultats incontestables. Même si beaucoup reste encore à entreprendre, les universités françaises ont changé de visage et fait face à la croissance étudiante.

S’agissant de Paris, sa suprématie allait tellement de soi que la modernisation de ses universités n’avait pas été placée au rang des priorités de l’État. Lors de l’ouverture des assises nationales de l’enseignement supérieur le 26 juin 1990, le Premier ministre réaffirme la priorité accordée au développement universitaire de la province et déclare ensuite : « Paris dispose d’une telle avance qu’elle est sans inquiétude... », tout en reconnaissant qu’à Paris « les conditions d’enseignement y sont plus dégradées qu’ailleurs et la vie des étudiants plus difficile. »

Quant à l’Ile-de-France en général, la priorité du plan Universités 2000 est de déconcentrer l’enseignement supérieur et de le rapprocher du domicile des Franciliens. Seront ainsi créées trois universités nouvelles dans l’académie de Versailles (Cergy-Pontoise, Évry, et Versailles-Saint-Quentin) et une dans l’académie de Créteil (Marne-la-Vallée). C’est notamment dans le cadre de ce plan qu’ont été construites les bibliothèques universitaires de Paris 8 à Saint-Denis, et de Cergy-Pontoise.

À l’exception d’une opération d’agrandissement de l’université de Paris IX sur le site de Dauphine permettant, avec le concours de la ville de Paris, d’étendre les locaux de la recherche et ceux de la bibliothèque universitaire, l’académie de Paris n’a donc pas bénéficié du plan Universités 2000. Cet état de fait traduisait aussi bien l’idée d’une suprématie acquise que la cohérence et la constance d’une politique de décentralisation conduite décennie après décennie. Cependant, les analyses économiques et démographiques menées ces dernières années ont montré que, sans intervention des pouvoirs publics, l’Ile-de-France pourrait progressivement décliner et que le prestige des universités et des organismes de recherche parisiens ne leur suffirait plus longtemps à se maintenir à un niveau international.

La préparation du plan U3M

Lorsqu’à l’automne 1998, Claude Allègre, ministre de l’Éducation nationale, lance le plan Universités du 3e millénaire, ses préoccupations s’inscrivent dans le prolongement de celles qui avaient présidé au lancement d’Universités 2000. Il s’agit de définir une stratégie à long terme (2000-2015) pour l’enseignement supérieur et la recherche en s’appuyant sur les contrats de plan État-Région pour financer de manière pluriannuelle les investissements nécessaires.

Sur le plan national, est créé dans chaque région un comité piloté par le préfet, le recteur et un chargé de mission. Ces comités sont chargés d’élaborer les propositions de « schémas de services collectifs » prévus par la loi d’orientation et d’aménagement du territoire pour préparer le contrat de plan État-Région. En région Ile-de-France comme ailleurs, l’élaboration de ces schémas passe par une phase approfondie de concertation et d’étude pour laquelle sont multipliées les initiatives parmi lesquelles des réunions de travail organisées dans leurs académies par les recteurs, la constitution d’un comité inter-académique U3M, la commande d’un rapport d’étude et de propositions à Jean-Jacques Payan 2, et enfin l’organisation par le Conseil régional des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche.

De ces multiples initiatives vont peu à peu se dégager des constatations communes faisant apparaître les atouts mais aussi les graves insuffisances de la région Ile-de-France. Certes, la prospérité est réelle : plus forte proportion d’actifs, faible chômage des jeunes. Mais les bons résultats d’ensemble dissimulent dans chacune des trois académies de profondes disparités économiques et sociales qui affectent fortement le dispositif éducatif à tous les niveaux. Sur le plan des résultats scolaires, la région Ile-de-France est loin d’occuper les premiers rangs, et, sur le plan universitaire, elle connaît aussi bien un des plus faibles taux de réussite au Deug (Diplôme d’enseignement universitaire général) – 49 % – que le plus fort – 82 %. L’offre de formations technologiques reste insuffisante.

La dispersion des universités, conséquence des découpages politiques intervenus après les événements de 1968 et de l’absence de constructions nouvelles dans l’académie de Paris, constitue un facteur de fragilité et d’incohérence du dispositif : on ne compte pas moins de 131 implantations différentes en région parisienne ! Contrepartie du fait que l’Ile-de-France est la région où se trouvent le plus d’enseignants au faîte de leur carrière, le vieillissement des effectifs d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, dont beaucoup partiront en retraite dans les 6 prochaines années, constitue un autre élément préoccupant pour l’avenir des universités. Du côté des bibliothèques universitaires, la richesse des collections, essentiellement concentrées sur le centre de Paris, contraste avec l’insuffisance des services offerts. Le taux de libre accès aux collections y est le plus bas de France.

D’une manière générale, la vétusté des équipements et des locaux universitaires – quel que soit leur prestige par ailleurs – appelle des actions urgentes et de grande ampleur. Les universités de province offrent désormais de meilleures conditions de travail aux chercheurs que la plupart des universités parisiennes.

S’agissant d’une aire métropolitaine d’envergure européenne dans un contexte de concurrence internationale, on comprendra donc, qu’à l’inverse du plan U 2000, le plan U3M accorde une place prioritaire à la région Ile-de-France. La prise de conscience par l’État et les collectivités territoriales du risque de déclin de la région capitale, et la détermination d’agir ensemble constituent sans aucun doute une évolution politique d’importance. Elle explique la hauteur des engagements pris dans le contrat de plan État-Région : près de 9,5 milliards de francs (1,45 milliard d’euros) contre 4,2 milliards de francs lors du précédent contrat de plan.

La définition d’une stratégie globale pour l’Ile-de-France

Pour les trois académies qui composent la région Ile-de-France (académies de Créteil, Paris et Versailles), une stratégie unique a été élaborée par les recteurs. Elle vise à améliorer le taux d’accès au baccalauréat et à l’enseignement supérieur, ainsi qu’à adapter l’offre de formation. Face à la dispersion des implantations, il s’agit également de restructurer les sites universitaires en agissant à la fois sur les espaces par l’organisation de grands pôles et sur le renforcement des réseaux. Enfin, sur le plan de la recherche et de l’innovation, cinq grandes priorités sont définies :

1. Les sciences humaines et les nouvelles technologies,

2.La génétique : recherches sur le génome et le post-génome,

3. L’optique, les lasers et les nanotechnologies,

4. Les sciences de l’univers et de l’environnement,

5. Le stockage et le traitement des données, la modélisation.

S’agissant de la documentation universitaire, une forte impulsion est souhaitée, devant se traduire par l’amélioration de la capacité d’accueil, de l’accès et par la mise en réseau des ressources. Des moyens sans précédent sont dégagés dans le cadre du contrat de plan État-Région (CPER), soit plus d’un milliard de francs d’investissements pour la période 2000-2006, les collectivités territoriales affirmant leur volonté de s’impliquer particulièrement sur le logement étudiant et les bibliothèques. Cette implication se traduit au niveau du financement des projets de bibliothèques universitaires par le Conseil régional d’Ile-de-France et par la ville de Paris, laquelle a défini sa participation dans une convention avec l’État votée à l’unanimité du conseil de Paris le 25 septembre 2000. C’est ainsi par exemple que la ville de Paris ajoute sous forme de fonds de concours 218 millions de francs au financement de deux bibliothèques universitaires (Paris VII et Sainte-Barbe).

Pour faciliter la planification des projets, une mission inter-académique, la mission U3M, est créée auprès du recteur de Paris en sa qualité de président du Comité des recteurs de l’Ile-de-France (Corif). Cette mission a pour rôle d’assister les recteurs dans la coordination des travaux de prévision et d’études relatifs à la planification des investissements. Sur le plan budgétaire, elle procède au travail préparatoire à la programmation annuelle du contrat de plan arrêtée par le préfet de région. Enfin, pour proposer, coordonner et suivre le schéma général du réseau de la documentation universitaire en Ile-de-France, est mis en place un comité stratégique des bibliothèques en Ile-de-France 3, présidé par un conservateur général des bibliothèques et composé de trois présidents d’université, du président d’Édufrance, de deux enseignants-chercheurs, du sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, de la mission U3M, d’un représentant de la région Ile-de-France et de deux représentants de la ville de Paris.

Installé dès l’automne 2000, le comité a rendu un premier rapport d’étape définissant cinq orientations stratégiques pour le contrat de plan 2000-2006 :

– créer 7 000 places nouvelles de bibliothèques, soit une augmentation d’un tiers de la capacité d’accueil d’ici 2006 ;

– centrer la stratégie de développement sur l’usager et la fourniture de services ;

– associer qualité de service et qualité architecturale ;

– associer logique de site et logique de réseau ;

– construire une vision économique globale de la documentation universitaire.

Un second rapport proposant des principes d’aménagement a été rendu public en décembre 2001. Il suggère de mieux répartir les rôles entre les services documentaires universitaires et interuniversitaires, les services communs devant assurer en priorité les besoins pédagogiques des premiers et deuxièmes cycles, tandis que les services interuniversitaires doivent être résolument conçus comme des bibliothèques au service de la recherche, quelle que soit l’université d’appartenance des utilisateurs.

Prenant acte de la part croissante des publications électroniques, et de l’avènement de la documentation numérisée aussi bien pour les étudiants que pour les chercheurs, le comité recommande d’intégrer les bibliothèques dans les programmes de développement des réseaux à hauts débits et plaide pour un « aménagement numérique régional ». Par ailleurs le comité recommande de mettre en œuvre une révision du décret du 27 mars 1991, permettant une évolution du statut juridique des bibliothèques interuniversitaires franciliennes. Il s’agit de tirer les conséquences de l’échec relatif des services interétablissements de coopération documentaire et de rendre possible des choix organisationnels différents selon les universités.

Des projets structurants

Dans l’académie de Créteil, les projets retenus concernent l’université de Paris XIII avec, sur le site de Villetaneuse, le regroupement des bibliothèques en une seule bibliothèque centrale, et la construction d’une nouvelle section sur le site de Bobigny. Il s’agit également de créer enfin une bibliothèque universitaire digne de ce nom pour l’université de Marne-la-Vallée (programme de 10 645 m2, dont une première tranche d’environ 2 600 m2). Dans le même esprit, l’académie de Versailles a inscrit le projet d’une section sciences pour l’université de Versailles-Saint-Quentin. Le projet de rénovation de la BDIC (Bibliothèque interuniversitaire de documentation contemporaine), pour le moment non financé dans le CPER, fait l’objet de crédit d’études.

L’académie de Paris, qui souffrait du retard le plus important, bénéficie de plus de la moitié des nouveaux investissements. Dans le cadre de la structuration des sites universitaires, les projets de bibliothèque retenus visent à consolider des grands pôles situés à Paris le long de la rive gauche de la Seine, depuis le Quartier latin jusqu’à la nouvelle Zac (zone d’aménagement concerté) Rive gauche. Participent de cette stratégie la création d’une bibliothèque destinée aux étudiants des premiers et surtout des deuxièmes cycles, dans l’ancien collège Sainte-Barbe, les réflexions en cours sur la réorganisation des bibliothèques scientifiques sur le site de Jussieu, la transformation du Cadist (Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) sciences de la terre en une bibliothèque des sciences de l’univers, ou encore la création d’une bibliothèque interuniversitaire dans le cadre du nouveau Pôle langues et civilisations du monde sur la Zac Rive gauche.

Ces investissements consistent également à renforcer les services communs de la documentation de Paris II sur le site d’Assas, de Paris III sur les sites de Censier et Poliveau, du site Clignancourt de l’université de Paris IV. La rénovation de la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences politiques est également inscrite parmi les opérations du contrat de plan. Enfin, s’agissant des services communs de la documentation, une des opérations les plus attendues est la construction d’une nouvelle bibliothèque universitaire pour l’université Paris VII à l’occasion du transfert de cette université sur la Zac Rive gauche.

Pourquoi qualifier ces projets de « structurants » ? Il faut d’abord rappeler que l’absence d’investissements immobiliers dans les bibliothèques universitaires parisiennes depuis plusieurs décennies a abouti à une situation marquée par la concurrence et la confusion des rôles. De grandes bibliothèques patrimoniales et de recherche comme la Sorbonne et Cujas sont sollicitées par des étudiants qui ne trouvent pas ailleurs les collections et les salles de travail dont ils ont besoin. La bibliothèque Sainte-Geneviève peut être utilisée par des étudiants aussi bien en médecine qu’en lettres. Les places sont si rares à Paris que les salles de lecture sont surchargées et qu’il faut souvent faire la queue pour avoir une place.

On sait que, depuis longtemps, le public de la Bibliothèque publique d’information est dominé par les étudiants, de même que le niveau du haut-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France, alors que la vocation de ces bibliothèques n’est pas de desservir une population exclusivement étudiante. Créer des nouvelles capacités d’accueil adaptées en lettres comme en sciences correspond bien à un besoin impératif pour l’ensemble des Franciliens. Compte tenu des pratiques d’habitat et de transport, la population universitaire fréquente en effet plusieurs bibliothèques aussi bien en banlieue qu’à Paris.

Mais l’objectif des opérations nouvelles est d’aller au-delà d’un accroissement de la capacité d’accueil pour aboutir à une véritable réorganisation de l’offre documentaire en Ile-de-France. Faute de pouvoir entrer ici dans une description détaillée de chacun des projets, prenons quelques exemples.

Création de la bibliothèque Sainte-Barbe

La réhabilitation architecturale des locaux de l’ancien collège Sainte-Barbe

Illustration
Le réfectoire de l’ancien collège Sainte-Barbe. © Anne-Marie Chaintreau

comprend trois réalisations qui participent à un rééquilibrage du pôle universitaire de la Montagne Sainte-Geneviève. La création d’une bibliothèque de 1 200 places est destinée à offrir des services documentaires aux étudiants en premier et deuxième cycles. Pluridisciplinaire, elle complétera les services des bibliothèques Cujas, Sainte-Geneviève et de la Sorbonne en offrant en libre accès 150 000 volumes en lettres, sciences humaines et sciences sociales. Au service de plusieurs universités, cette bibliothèque proposera d’autres prestations comme l’accès à des publications électroniques, la formation à l’Internet ou encore des services plus traditionnels comme le prêt à domicile, sans doute en l’orientant vers certaines disciplines.

La mise en place de ces services orientés vers les premier et deuxième cycles permettra aux bibliothèques Cujas et de la Sorbonne de se recentrer sur les étudiants de troisième cycle, les enseignants et les chercheurs. La création d’un comité de pilotage du projet associant les bibliothèques concernées ouvre la voie d’une politique documentaire concertée non seulement pour la constitution du fonds initial mais au-delà. Incluse dans la même opération immobilière, la construction d’extensions pour les magasins de Cujas et Sainte-Geneviève dont les bâtiments jouxtent l’ancien collège Sainte-Barbe donnera à ces bibliothèques la possibilité de partager une capacité supplémentaire de stockage d’environ 300 000 volumes. Enfin, l’installation d’un centre de documentation spécialisé en droit et le regroupement de centres de recherche à proximité immédiate des universités de Paris I et Paris II et de la bibliothèque Cujas participent d’un renforcement de ce pôle juridique.

Réorganisation des bibliothèques scientifiques du campus Jussieu

La vaste opération de désamiantage de Jussieu est l’occasion de repenser complètement l’organisation du campus. Le départ de l’université Paris VII-Denis Diderot qui va s’installer en totalité sur la Zac Rive gauche, mais aussi l’arrivée de l’École de chimie de Paris, l’installation de l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) appellent un programme d’ensemble.

Dans cet esprit, une mission a été confiée à l’architecte Jean Nouvel qui a proposé un plan d’urbanisme recomposant la répartition des locaux d’enseignement, de recherche et de bibliothèque. Ce plan s’inspire des réflexions menées par l’université de Paris VI qui projette de transformer complètement l’organisation documentaire du campus. On sait qu’aujourd’hui la bibliothèque interuniversitaire de Jussieu se caractérise par une forte dissémination de ses sections par niveaux et par disciplines, chacune d’entre elles comprenant une bibliothèque pour l’enseignement et une bibliothèque pour la recherche. La proposition de l’université de Paris VI, reprise dans les plans de Jean Nouvel, vise à regrouper en une bibliothèque unique les collections destinées aux étudiants scientifiques des premier et deuxième cycles. Sur le plan de la recherche, des regroupements pluridisciplinaires sont également envisagés, qui témoignent de l’évolution des disciplines elles-mêmes. Toutefois ces projets devront attendre encore quelques années avant de se réaliser, compte tenu de la priorité accordée à la mise en sécurité du campus de Jussieu.

Dans un premier temps, la création du pôle recherche consacré aux sciences de l’univers (terre, océans et environnement terrestre) sera réalisée dans le CPER 2000-2006 avec la construction, sur l’îlot Cuvier, d’un nouveau bâtiment comprenant l’Institut de géophysique du globe de Paris et une bibliothèque unique regroupant la section recherche des sciences de la terre (Cadist) et la cartothèque de la bibliothèque interuniversitaire de Jussieu.

Refondation de la bibliothèque universitaire de Paris VII

La construction d’une bibliothèque universitaire de 1 800 places pour l’université de Paris VII constitue dans le secteur documentaire l’une des opérations phares de l’actuel contrat de plan. Déjà identifiées par le rapport Miquel 4 comme l’exemple même du « scandale et de l’injustice », les bibliothèques de lettres et sciences humaines de cette université n’offrent toujours que 220 places pour près de 7 300 étudiants. Implantée dans l’ancien bâtiment des Grands moulins de Paris, la future bibliothèque, qui devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2005, a l’ambition de proposer 300 000 documents en libre accès et d’être très largement ouverte (72 heures hebdomadaires). Dotée d’une enveloppe de 205 millions de francs financés par la Région Ile-de-France et la ville de Paris, cette bibliothèque encyclopédique disposera d’une surface d’environ 12 000 m2 utiles pour desservir un public estimé à 19 000 étudiants, 1 100 enseignants et chercheurs et 800 membres du personnel. Proposant des collections à destination de l’enseignement et de la recherche en lettres et sciences humaines, mais aussi pour l’enseignement des premier et deuxième cycles de sciences, elle sera complétée par des bibliothèques de recherche en sciences.

Situé à proximité immédiate de la Bibliothèque nationale de France, ce nouvel équipement, qui corrigera un déséquilibre persistant depuis plus de 30 ans, devrait avoir aussi des effets directs sur la fréquentation du niveau haut-de-jardin et élargir l’offre de documentation scientifique sur Paris.

Création du Pôle langues et civilisations du monde

Regrouper dans un même lieu les enseignements, les centres de recherche et la documentation concernant les langues et les civilisations slaves, orientales et extrême-orientales, africanistes et océanistes est également une des grandes opérations structurantes du plan U3M.

La réalisation de ce nouveau pôle scientifique sur la Zac Rive gauche est prévue en deux phases. La première, incluse dans le CPER 2000-2006 pour un montant de 450 millions de francs, comprend la construction d’un bâtiment pour l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), grand établissement aujourd’hui dispersé sur plusieurs sites, ainsi que la réalisation d’une bibliothèque interuniversitaire regroupant les collections provenant de sept établissements d’enseignement supérieur et du CNRS : Inalco, Paris I (fonds slave de la bibliothèque de la Sorbonne), Paris III (bibliothèque des langues orientales, UFR [Unité de formation et de recherche] Orient-Monde arabe pour les collections turques et ottomanes), Paris III-Inalco-EPHE (École pratique des hautes études)-CNRS (UMR [Unité mixte de recherche] Monde iranien), Paris IV (UMS [Unité mixte de service] Centre d’études slaves), Paris VII (UFR langues et civilisations d’Asie orientale), École pratique des hautes études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La seconde phase, prévue dans le prochain CPER, comprendra l’installation des centres de recherche de ces institutions qui, pour la plupart, ont déjà engagé des programmes de recherche communs.

La dissémination des enseignements de langues rares et des ressources documentaires correspondantes apparaissait depuis plusieurs décennies comme l’une des faiblesses structurelles de l’Ile-de-France. Alors que l’intérêt pour les langues et civilisations de l’Orient méditerranéen, de l’Extrême-Orient, mais aussi pour l’Afrique augmente, il paraissait indispensable de fédérer des centres dispersés et de créer un pôle d’envergure internationale comparable à la School of Oriental and African Studies de Londres. Là encore émerge une visée d’interdisciplinarité : il ne s’agit pas de juxtaposer comme diverses pièces d’un puzzle divers spécialistes des « aires culturelles », mais de rendre possible, à travers les recherches sur les langues et les civilisations, l’étude des influences et des échanges en se tournant résolument vers un monde contemporain en pleine évolution.

Prévue pour environ 19 000 m2 SHON (surface hors œuvre nette), la nouvelle bibliothèque devra accueillir aussi bien les étudiants (estimés à environ 13 000, dont 9 000 pour le seul Inalco) que les chercheurs français et étrangers. Pour la consultation sur place, elle sera également ouverte à des publics non universitaires. Le préprogramme envisage 1 200 places de travail et 450 000 documents en accès libre. La réunion des fonds des institutions participantes devrait aboutir à constituer une collection globale de 1,6 million d’ouvrages. Afin d’organiser et de piloter le projet, les membres fondateurs du pôle ont décidé de constituer avec le CNRS et la Région Ile-de-France un groupement d’intérêt public de préfiguration. La coopération avec des établissements comme la Bibliothèque nationale de France ou le Collège de France est engagée, par exemple au travers du groupe de travail lancé par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, sur le traitement informatisé des caractères non latins.

La maîtrise d’ouvrage de la première phase (Inalco et bibliothèque) a été confiée à la Région Ile-de-France qui finance entièrement la nouvelle bibliothèque. Les études de programmation commencent au premier semestre 2002.

Renforcement et maillage des réseaux

Une des difficultés de la planification à moyen terme des bibliothèques universitaires est bien évidemment d’anticiper les évolutions dans le domaine de la diffusion et du stockage de l’information pédagogique et scientifique. Les hypothèses de travail retenues vont dans le sens d’un développement des tendances déjà engagées aujourd’hui qui laissent augurer trois niveaux de services documentaires :

– accès à l’information scientifique depuis le domicile ou le laboratoire ;

– développement de points d’information ou de documentation de proximité offrant des points d’accès privilégiés aux réseaux (débits, qualité de service, aides de professionnels) ;

– consolidation de centres de références capables d’offrir aux usagers des services à forte valeur ajoutée et notamment le concours de professionnels hautement spécialisés.

Cette évolution suppose un nouvel équilibre entre services centralisés et services distribués, mais aussi des infrastructures techniques capables de transférer de gros volumes d’informations (textes, images) à grande vitesse, d’où l’importance accordée au développement des réseaux informatiques à hauts débits et au raccordement des bibliothèques. En Ile-de-France, on compte aujourd’hui 9 plaques à hauts débits dont le Réseau académique parisien (Rap) développé par les universités pour les besoins de la recherche. La coordination de ces plaques entre elles, et l’entrée de nouveaux partenaires universitaires franciliens dans un espace numérique commun comptent parmi les forts enjeux du CPER tant pour l’État que pour le conseil régional d’Ile-de-France qui participe au financement de ces grandes infrastructures. Pour les bibliothèques, cet « aménagement numérique régional » est la condition sine qua non du partage de certaines collections numérisées. Cet aménagement des réseaux permettrait de donner un essor véritable à la coopération documentaire, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de conservation. C’est un des aspects de la mission de coordination régionale confiée au vice-chancelier des universités de Paris, Alain Dubrulle, par le ministre de l’Éducation nationale et le ministre de la Recherche et de la Technologie.

Facteurs de risques et de réussite

Depuis 1998, date de lancement du plan U3M, beaucoup de travail a été accompli. Les axes et les moyens d’une stratégie dans le contrat de plan ont été définis. La répartition des maîtrises d’ouvrage a été effectuée, et la programmation pluriannuelle des investissements est aujourd’hui en place. La réalisation du transfert et de la construction des locaux de l’université de Paris VII a été confiée à l’Établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels (EPMOTC), tandis qu’un établissement public était créé pour faire face à un autre immense chantier, celui de la mise en sécurité et de la réhabilitation du site de Jussieu. Dans d’autres cas, les universités ont pris en charge la conduite des opérations (Marne-la-Vallée, Paris V, Fondation nationale des sciences politiques par exemple). La Région Ile-de-France pilote les réalisations de Villetaneuse, Bobigny, Versailles, ainsi que l’opération Pôle langues et civilisations du monde. L’État (rectorat de Paris) assurera entre autres la conduite du projet Sainte-Barbe. Dans plusieurs cas déjà, les concours d’architecture ont été organisés ou sont en cours (bibliothèque universitaire de Paris VII, bibliothèque Sainte-Barbe).

Pour autant, l’achèvement de l’ensemble de ces opérations n’est pas à l’abri de difficultés et les facteurs de risques ne manquent pas dans ces projets de grande envergure. Le premier risque tient à la conduite des projets et à leur niveau d’encadrement : peu d’administrations, qu’elles soient dans les établissements ou dans les services de l’État, disposent aujourd’hui des forces suffisantes pour piloter et suivre pendant plusieurs années des programmes importants de construction ou d’informatisation. Le risque d’une sous-évaluation et donc d’un sous-encadrement des structures de suivi de projet est d’autant plus réel que la culture « grands projets » est peu répandue. Dans nombre de cas, le recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage sera nécessaire.

S’agissant des bibliothèques, la période de préparation (4 à 5 ans maximum) est relativement courte par rapport aux objectifs et le recours à la sous-traitance de certaines tâches ne devra pas être écarté. D’une manière générale, des opérations d’accompagnement et de soutien à la conduite de projet seraient sans doute indispensables : formation continue des personnels, aide à la modernisation de la gestion.

Le second facteur de risques est, en Ile-de-France sans doute plus qu’ailleurs, la complexité des procédures de décision et des circuits de gestion. En ce qui concerne plus précisément la logique de réseau qui appelle une vision transversale, elle heurte des règles et des usages commandés par l’organisation verticale des administrations.

Enfin, les résistances au changement dans des milieux dont les territoires disséminés résultent d’une longue sédimentation et dont le sens de la communauté cède parfois le pas à un individualisme aigu ne sont pas à négliger. L’ensemble de ces difficultés peut avoir pour effet de ralentir des projets (report au prochain CPER par exemple), de les dévier de leurs objectifs initiaux, voire de compromettre certains d’entre eux.

Face à ces risques réels, un élément essentiel de dynamisme sera assurément la capacité de tenir une stratégie à moyen terme et la volonté commune d’aboutir des responsables politiques de l’État, des collectivités territoriales et des présidents d’université. Le contrat de plan est un engagement fort que les signataires ne remettront pas en cause à la légère. L’engagement du conseil régional sur les bibliothèques a commencé dès le plan Université 2000 et ne se dément pas. Signe des temps, et facteur de réussite également, l’attitude vis-à-vis des étudiants a changé : « Les étudiants ont besoin de Paris et Paris des étudiants » déclare-t-on volontiers à la Mairie de Paris 6. Dans la capitale, ils sont aujourd’hui 300 000 et leur nombre devrait rester stable pendant plusieurs années, si bien que les efforts de modernisation et de rénovation des équipements universitaires devraient pleinement produire leur effet, c’est-à-dire améliorer les conditions de vie et d’étude. Enfin, s’agissant de la recherche notamment, les enjeux économiques de la documentation électronique deviennent tels qu’ils tempèrent les tentations autarciques de telle ou telle communauté.

Un bilan à mi-parcours des projets du CPER est prévu en 2003. Il devrait permettre de faire un point détaillé sur l’avancement réel de chacun des projets. En ce qui concerne les bibliothèques, le bilan devrait être tout à fait positif compte tenu du nombre d’opérations déjà engagées fin 2001. En 2005-2006, le paysage universitaire et documentaire francilien a toutes chances d’être profondément transformé. Le chantier universitaire ouvert par U3M ne sera pas pour autant achevé : la préparation du prochain contrat de plan (2007-2015) devra inclure d’autres grandes opérations comme celle des bâtiments de la Sorbonne, prévoyant le déménagement du rectorat de Paris et la réhabilitation de la bibliothèque, la poursuite de la réorganisation de Jussieu, ou encore l’achèvement des projets de l’université de Paris IV sur le site de Clignancourt, ou enfin la réalisation de la seconde phase du Pôle langues et civilisations du monde.

Décembre 2001

  1. (retour)↑  Jean-François Gravier, Paris et le désert français, décentralisation, équipement, population, Paris, Le Portulan, 1947, 421 p. Fait significatif, l’ouvrage a été réédité en 1958 et 1972.
  2. (retour)↑  Mathématicien, ancien directeur général de l’enseignement supérieur (1984-1987), ancien président de l’université de Grenoble.
  3. (retour)↑  Rendu officiel par l’arrêté du 14 juin 2001 publié au Bulletin officiel de l’Éducation nationale.
  4. (retour)↑  André Miquel, Les bibliothèques universitaires, Paris, La Documentation française, 1989, p. 11.