Editorial

Anne-Marie Bertrand

La musique (les musiques) est un bon angle d’attaque pour questionner les bibliothèques. À partir d’un domaine spécifique, elle pose, en effet, des questions générales : le partage des tâches entre établissements (bibliothèques municipales, bibliothèques de conservatoire ou d’écoles de musique, bibliothèques spécialisées…), le dialogue entre les supports (la musique imprimée, la musique enregistrée), la prise en compte des pratiques culturelles (des musiciens amateurs aux mélomanes savants sans oublier les curieux ni les compulsifs), la validité d’un projet culturel (qu’est-ce qu’une « politique musicale » ?), l’éternel retour de l’identité professionnelle, etc.

>Dès 1993 et à nouveau en 1995, le Conseil supérieur des bibliothèques avait souligné « la pauvreté des bibliothèques musicales françaises ». Aujourd’hui, rien ne semble avoir changé. Pire, les regrets et la frustration dominent : la musique aurait pu être « un des points vitaux de l’avenir de la médiathèque »(Rapport du CSB pour 1995) en réussissant l’intégration des supports et des publics. Or, loin d’une intégration réussie, on évoque, au contraire, des frontières, des séparations, des refus, la permanence de« réserves d’Indiens » (Dominique Arot, Livres Hebdo, 30-11-01). Les établissements continuent à cultiver leurs différences, les uns possédant de la musique imprimée (des partitions), les autres de la musique enregistrée (des disques), les uns travaillant à destination des écoutants, les autres des pratiquants, les uns se limitant au champ contemporain, les autres aux collections patrimoniales. L’histoire de la Médiathèque musicale de Paris est emblématique de cette difficulté ontologique.

Non seulement, globalement, les bibliothèques musicales sont pauvres, mais il est peu d’établissements, dans leur singularité, qui possèdent des fonds importants avec le personnel qualifié nécessaire – seuls 29 conservatoires ou écoles de musique emploient du personnel qualifié. Bibliothécaire musical n’est pas (n’est pas encore, n’est plus ?) un « métier ». Christian Massault évoque, pour les discothécaires, « la difficulté, le refus pour certains, de se considérer comme des bibliothécaires » : ils mettent plutôt l’accent « sur les pratiques distinctives que sur les fondamentaux communs à l’ensemble de la profession ». Faut-il souligner par ailleurs, et encore une fois, les problèmes liés à la formation professionnelle de ces bibliothécaires de spécialité ?

>Voilà donc un domaine doublement séparé, doublement enfermé : entre établissements et entre professionnels. On pourrait, bien sûr, dresser le même constat pour d’autres secteurs spécialisés (le patrimoine, la jeunesse, l’image…). Paradoxe pour des établissements qui prônent l’ouverture et le décloisonnement.