La convergence en bibliothèques universitaires
Expériences au Royaume-Uni
Cet article décrit les changements organisationnels liés à la fusion des services de bibliothèques et des services informatiques avec d’autres services de soutien aux études, dans les universités du Royaume-Uni. Il examine les justifications théorique et pratique de la convergence et en établit les avantages et les inconvénients. L’auteur analyse les caractéristiques fondamentales des services mis en convergence, ainsi que les principaux problèmes posés par ce processus et l’évolution des services réorganisés. Il propose également quelques exemples de structures.
This paper traces the organisational changes associated with the merging of library services and computing services, with other academic support services, in UK universities. It considers the theoretical and practical justification for convergence, and assesses the advantages and disadvantages. Key characteristics of converged services are analysed, and key issues in the process of convergence and the organisation development of converged services are examined. Some possible structural models are considered.
Dieser Artikel beschreibt den organisatorischen Wandel an den Universitäten Grossbritanniens, der durch den Zusammenschluss der Dienstleistungen von Bibliotheken und Informationsdiensten mit anderen, die Studien unterstützenden Diensten, ausgelöst wurde. Er untersucht theoretische und praktische Rechtfertigungen für diese Annäherung und stellt ihre Vor- und Nachteile fest. Der Autor analysiert die wesentlichen Eigenschaften der zusammengelegten Dienste und die Hauptprobleme, die der Integrationsprozess aufwirft, ebenso wie die organisatorische Entwicklung des neu gestalteten Service. Mehrere Strukturbeispiele werden ebenfalls vorgelegt.
Este artículo describe los cambios organizativos ligados a la fusión de los servicios de bibliotecas y de los servicios informáticos con otros servicios de apoyo a los estudios, en las universidades del Reino Unido. Examina las justificaciones teórica y práctica de la convergencia y establece las ventajas y los inconvenientes. El autor analiza las características fundamentales de los servicios puestos en convergencia, así como los principales problemas planteados por el proceso de convergencia y evolución de la organización de los servicios reorganizados. Propone igualmente algunos ejemplos de estructuras.
Cet article 1 revient sur les origines du concept de convergence et sur la façon dont il fut interprété, appliqué, modifié, voire écarté par les différents acteurs. En sus des potentialités qu’il offre pour mettre en place des modèles de gestion résolument différents de l’approche traditionnelle, la curiosité qu’il a éveillée ne peut qu’ajouter du piquant à cette enquête.
Il est tentant d’affirmer que la convergence est une notion essentiellement anglo-saxonne. Bien que probablement apparue en Afrique du Sud (Geryts, 1995) et aux États-Unis, elle a suscité dans le secteur des bibliothèques universitaires du Royaume-Uni un intérêt resté des plus vifs pendant plus d’une quinzaine d’années. Dans près de la moitié de ces bibliothèques, cela s’est traduit par des changements structurels qui sont fonction de la définition donnée à la convergence et de la manière dont on mesure ses effets.
Jusque dans les années 1990 et même au-delà, le fonctionnement des bibliothèques universitaires du Royaume-Uni reposait sur un système de hiérarchie bureaucratique. Il n’est sans doute pas abusif d’avancer que, tout au long de cette période, l’administration des services de documentation resta immunisée contre l’influence des théories de gestion développées en dehors du secteur des bibliothèques. Cette immunité excluait l’adoption de modèles en provenance d’autres institutions sociales ou de nouvelles techniques de gestion, qui offraient pourtant des perspectives originales sur les évolutions d’ordre technologique, éducatif ou social auxquelles les bibliothèques étaient confrontées, elles aussi. Elles continuaient en revanche de subir l’influence de conceptions traditionnelles (la responsabilité individuelle, par exemple) favorisant une distribution précise et détaillée des tâches, des systèmes de contrôle rigides, une structure verticale, etc.
À l’époque où la question commençait à se poser avec acuité, Thirley et Wirdenius (1990) s’intéressèrent à ce qu’ils ont appelé la nouvelle école « européenne » en matière de gestion. Ils passèrent en revue quantité de problèmes incontestables et incontestés : l’inertie bureaucratique, le refus de prendre des risques, le manque d’harmonisation, des déroulements de carrière en fonction de l’avancement dans la hiérarchie, l’absence d’une appréhension globale de l’enseignement ou des études, l’étanchéité d’une administration très éloignée des besoins réels des utilisateurs.
Au Royaume-Uni, où ces conditions se retrouvaient dans le fonctionnement des institutions publiques et des organismes privés, les bibliothèques ne constituaient donc pas une exception. Entre le milieu et la fin des années 1980, il devint toutefois évident que cette conception de l’organisation des bibliothèques était un obstacle majeur aux forces de changement comme l’introduction de la technologie dans la fourniture d’informations ; la modification des méthodes de recherche des utilisateurs ; la place de plus en plus importante accordée au contrôle du savoir par les étudiants. Par ailleurs, toutes les propositions pour l’instauration de la convergence insistaient, en théorie du moins, sur la nécessité d’accepter le changement.
Définition de la convergence
La définition de la convergence donnée dans les universités du Royaume-Uni est très large et peut s’appliquer à des institutions présentant des caractéristiques différentes. D’une certaine façon, on veut assez largement croire que la convergence « pourrait être réalisée par la collaboration, en dehors de tout changement de type administratif ou structurel. Dans certaines institutions, le cloisonnement traditionnel entre les services est toujours placé sous le contrôle stratégique du vice-président de l’université ou d’un universitaire. On connaît également le cas d’institutions où des dispositions similaires sont en pratique appliquées sous le contrôle administratif d’un chef de service doté d’un pouvoir décisionnel. » (Pugh, 1997)
Il existe de fait une forme de convergence atténuée reposant sur un mécanisme de contrôle hiérarchique, où le service de la bibliothèque, le service informatique, le service de communication et, le cas échéant, d’autres services universitaires de soutien aux études, sont tous administrés par la direction de l’université. Ce modèle, largement appliqué, était la norme avant l’introduction de la convergence. Ses détracteurs soulignaient qu’il n’assurait la convergence que sur le plan administratif. Au bas de l’échelle, la convergence opérationnelle restait du domaine de l’improvisation et le cloisonnement de rigueur entre les différents services n’était pas remis en cause.
Cela n’empêche pas que les services de soutien aux études s’emploient parfois volontairement à travailler en convergence. Cette dernière peut alors être très poussée, et concerner aussi les activités qui sont en première ligne des services offerts aux utilisateurs. Ce modèle est éminemment instable puisqu’il dépend en premier lieu de la capacité à convaincre des dirigeants.
Le troisième cas de figure possible correspond à la mise en place d’un service unifié, qui revient à placer la bibliothèque, le service informatique, éventuellement aussi le service de communication et les activités socioculturelles proposées aux étudiants, sous la compétence d’un directeur exécutif. Ce dernier doit administrer les services ainsi réunis comme s’ils constituaient un tout unifié pour lequel il dispose d’un budget global.
Justification pratique de la convergence
Parmi les premières tentatives pour réaliser la convergence au Royaume-Uni, il faut notamment citer celle de l’université de Plymouth (Sidgreaves, 1988, 1995), où la réorganisation des services de soutien aux études, envisagée dès 1985, se traduisit en mars 1987 par la nomination d’un directeur chargé de tous les superviser.
D’autres efforts dans le même sens avaient été précédemment engagés à l’université d’Aston et au Westfield College de Londres. Plus tard, certains avanceront que les tentatives de réaliser la convergence comportaient une part importante d’opportunisme politique, ou au moins administratif.
La programmation a tenu compte des recherches et des analyses menées au préalable, et sa mise en œuvre méthodique s’est accompagnée de procédures de consultation systématiques. Dans la phase post-convergence, la plus grande attention fut apportée au développement organisationnel, en même temps qu’on s’efforçait de cerner la signification du changement culturel opéré, en insistant sur les avantages inhérents à la plus grande souplesse des méthodes de gestion. Ces éléments confirment le sérieux apporté à la conception et à la réalisation de ce programme novateur.
L’intérêt des utilisateurs
Le facteur le plus important utilisé pour justifier la convergence était le désir d’améliorer l’efficacité du contrôle du savoir par les étudiants. Sa mise en place fut essentiellement assurée par l’administration centrale et celle de la bibliothèque universitaire, avec le concours plus lâche d’autres partenaires (service informatique et autres).
Au fur et à mesure que la convergence gagnait en influence au Royaume-Uni, cette motivation, quoique toujours présente, fut peu à peu obscurcie par des considérations plus brumeuses. Dans l’écrasante majorité des cas, les méthodes retenues étaient au mieux considérées comme paternalistes ; l’ensemble du processus était, disait-on, impulsé d’en haut, et profitait essentiellement aux bibliothécaires et à la direction.
Les facteurs environnementaux
Le rapport Follett (1993) sur les bibliothèques universitaires fut une étape cruciale pour le développement de la convergence au Royaume-Uni. Il eut pour effet immédiat de faciliter le déblocage de crédits pour les objectifs de convergence, sans toutefois leur donner une importance particulière ni préciser la nature des changements structurels que les organismes de tutelle auraient aimé voir se mettre en place.
En premier lieu, les changements d’ordre technologique, éducatif, social et économique identifiés par les auteurs du rapport heurtaient la vision classique qui prévalait alors ; l’organisation des services de bibliothèque s’avérait inadéquate, et plusieurs des évolutions recensées, ajoutées aux contraintes budgétaires, induisaient tout à la fois une transformation des rôles et un accroissement de la charge de travail des personnels affectés à la bibliothèque ou au service informatique. Cette situation était en soi un argument pour engager une réflexion sur les méthodes de travail à tous les niveaux. Les discussions qui se développèrent à partir de là mirent en avant le besoin d’intensifier la coordination, selon des modalités encore à préciser, et de regrouper les budgets de façon à soutenir plus efficacement les activités de recherche et d’enseignement.
Parallèlement, se fit jour la nécessité de définir une stratégie documentaire prenant en compte toutes les sources d’information présentes au sein de l’université et de renforcer le rôle de la bibliothèque, afin qu’elle participe pleinement à l’évolution de l’institution universitaire.
Après la publication du rapport Follett, des tentatives eurent lieu pour introduire des stratégies documentaires dans tous les services, quelle que soit leur position vis-à-vis de la convergence. Le concept même de convergence ne semblait d’ailleurs pas avoir de pertinence dans ce contexte ; s’agissant du regroupement des stratégies documentaires, les tentatives les plus convaincantes sont venues de services qui ne travaillaient pas en convergence. Par ailleurs, aucun signe n’est venu attester, du moins dans les années immédiatement postérieures à la publication du rapport Follett, que la convergence se traduisait par une meilleure répartition des crédits budgétaires. Dans l’ensemble, les politiques suivies étaient largement déterminées par les conditions locales.
L’état d’esprit alors observé, du moins chez les bibliothécaires, était assez largement favorable à la convergence. Certains auteurs (Fielden, 1994) estimaient d’ailleurs que rien ne pourrait stopper cette évolution. On sait aujourd’hui, non seulement qu’elle peut s’interrompre, mais qu’elle est réversible. Quoi qu’il en soit, Follett et d’autres commentateurs avant et après lui ont défini deux des principes clefs de la convergence : pour être réussie, elle doit être centrée sur l’usager, et la restructuration de l’organisation des bibliothèques qu’elle implique est largement tributaire du changement technologique.
Le changement technologique
Sur ce dernier point, la prophétie s’est accomplie. En pratique, le rapport Follett s’est notamment traduit par la mise sur pied du programme britannique « eLib », conséquence de l’importance que ce rapport accordait au développement des services de documentation propres à l’université. Cette création entraîna à son tour des évolutions transsectorielles. Bien que le rapport Dearing (1997) n’ait eu qu’une incidence très faible, voire nulle, sur les bibliothèques universitaires, il énonçait tout de même le besoin de mettre en place des réseaux électroniques intégrant toutes les activités des bibliothèques. Le programme intitulé « New Library : The People’s Network » (1997) prenait fait et cause pour la constitution d’un vaste réseau national.
L’intérêt sans précédent alors manifesté par le gouvernement – et, pour une fois, accompagné des crédits nécessaires – contribua, indirectement et sans doute involontairement, à soutenir l’idée de la convergence. Le domaine des technologies de l’information et de la communication, ainsi que les activités transsectorielles, se virent accorder une nouvelle importance.
D’autres évolutions apparues dans le secteur universitaire créaient une infrastructure technique adaptée, et conféraient une séduction et une force insoupçonnées à la nécessité d’établir des liens entre les fournisseurs d’information qui, jusqu’alors, travaillaient de façon indépendante. On commença à s’intéresser de plus près aux différences culturelles entre services de bibliothèque et services informatiques ; dans ces derniers, la convergence suscitait nettement moins d’enthousiasme et ce sont surtout leurs responsables – quoique pas seulement – qui ont proposé les solutions de rechange les plus fiables.
Les exigences du public
En dernière analyse, la convergence ne se justifie qu’en fonction du bénéfice qu’elle représente pour les usagers. La combinaison des facteurs de changement technologiques et environnementaux décrits ci-dessus amena pour finir à penser que l’enseignement et la recherche se dérouleraient dans de meilleures conditions si les services conçus pour les appuyer arrivaient à démontrer que les sources documentaires constituaient une toile « d’un seul tenant ».
Il s’agissait, en l’occurrence, de permettre aux usagers de satisfaire l’ensemble de leurs demandes documentaires (traditionnelles et électroniques) à partir d’une source unique. En la matière, les responsables de bibliothèque avaient une longueur d’avance sur le public, et souvent aussi sur leur personnel.
Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’ils aient conservé cette avance, au moins sur certains points. S’agissant de la fourniture effective des services, Dempsey (dans Carpenter, Shaw et Prescott, 1998) admet que deux à trois ans encore après le sommet de la vague de la convergence, il n’y eut pour ainsi dire aucun exemple de bibliothèques électroniques ou numériques dont l’existence ait été justifiée du point de vue des utilisateurs. Au moment de la publication du rapport Dearing (1997), plusieurs commentateurs firent remarquer que l’usage de la technologie informatique par les étudiants se limitait pour l’essentiel au courrier électronique et aux logiciels de traitement de texte.
Le fait d’anticiper sur les besoins du public n’est pas en soi un désavantage ; l’important, dans l’idée de la convergence, fut qu’elle obligeait à réfléchir autrement aux organismes chargés de rassembler et de diffuser l’information. Elle portait en elle la promesse de perspectives inédites sur les formes organisationnelles à prévoir pour assurer la coexistence des services électroniques et des services traditionnels. Les modèles de convergence les plus convaincants gommaient les divisions structurelles commandées par l’organisation verticale classique. Ils réalisaient au contraire l’intégration des différents services et, de plus, en associant des informaticiens, des spécialistes du web, des experts en multimédia et des bibliothécaires, ils incitaient à repenser l’administration des bibliothèques. Ce faisant, délibérément ou non, ils favorisèrent l’éclosion d’idées extrêmement importantes pour le développement de l’institution.
Les arguments théoriques
De même que plusieurs modèles de convergence ont vu le jour au Royaume-Uni, la convergence fut réalisée selon des approches différentes. Les bibliothèques qui l’ont mise en œuvre sous une forme respectant au plus près ses principes de base se sont attachées à définir clairement la forme des organisations susceptibles de remplir au mieux les objectifs fixés par le rapport Follett, à savoir : « L’équipe des rapporteurs considère, [s’agissant des] avantages de la convergence organisationnelle, et en particulier pour permettre le développement d’une stratégie documentaire intégrée […], qu’il est important de prendre en compte ces questions relatives à l’organisation, et qu’il convient d’évaluer la place de la bibliothèque et des autres fournisseurs d’information en fonction d’une stratégie globale de gestion de l’information. » (Follett, 1993)
Les bibliothèques et le savoir organisationnel
La question de la convergence prolongeait en fait le débat sur les types d’établissements les mieux à même de fournir l’information dans un environnement toujours plus dominé par l’électronique. Sur le plan théorique, l’école du développement organisationnel avait établi le travail en équipe ; la redéfinition des postes, l’organisation transversale, la délégation des responsabilités ou la gestion décentralisée étaient adaptées aux organisations modernes. Autant qu’on puisse en juger, cette approche théorique est souvent passée inaperçue des bibliothèques, alors qu’elle était manifestement dans l’orbite des réalisations modèles de la convergence.
La théorie sur l’organisation du savoir insiste sur la dissémination des processus d’apprentissage à tous les niveaux de l’institution – celui de l’individu comme celui de l’équipe, du système ou de l’institution tout entière. L’efficacité du savoir est directement fonction du changement structurel, du travail en équipe, de l’adoption d’un style de gestion non bureaucratique, de la décision participative aux méthodes de fonctionnement, de l’expérience professionnelle et du changement organisationnel. Autant de caractéristiques présentes dans quelques-uns des plus ambitieux projets de convergence.
Ainsi, une université du nord de l’Angleterre s’est résolument engagée dans la voie du savoir organisationnel. Le comité de direction était suffisamment confiant et équilibré pour avoir impulsé une culture d’entreprise comprenant la délégation de pouvoir aux équipes, une moindre intervention de l’encadrement, une flexibilité considérable et un engagement collectif vis-à-vis du projet de développement. Ce développement s’est notamment appuyé sur l’apprentissage de savoir-faire multiples requis pour un véritable fonctionnement en équipes, la formation à de nouveaux métiers et l’extension des domaines de responsabilité.
La gestion du savoir
La gestion du savoir représente la théorie organisationnelle moderne qui, plus que toute autre, s’est imposée à l’attention des bibliothécaires du Royaume-Uni, tous secteurs confondus. Abell et Oxbrow (2001) ont détaillé les résultats d’un projet de recherche proposant une définition élargie de la gestion du savoir, et donc applicable en partie aux bibliothèques. La discipline, si l’on peut l’appeler ainsi, y est décrite comme « l’acquisition, le partage et l’utilisation du savoir avec les organisations, y compris les processus d’apprentissage et les systèmes informatiques ».
L’importance de la gestion du savoir dans le contexte de la convergence tient à deux éléments. La gestion du savoir consiste aussi à organiser les travailleurs du savoir – ces gens qui travaillent en équipe, qui veulent plus de responsabilités, qui désirent mieux contrôler leurs environnements professionnels, qui manipulent le produit clef de l’information, qui se servent régulièrement des technologies de l’information pour effectuer leurs tâches, et qui sont employés dans un secteur dynamique et créatif.
Les caractéristiques organisationnelles de leurs conditions de travail sont souvent très proches de celles qui prévalent dans les services de documentation mis en convergence : ils s’intéressent aux évolutions en cours, se préoccupent de créer des réseaux englobant de nouveaux regroupements d’établissements, sont amenés, du fait de l’extension de la bibliothèque numérique, à développer des partenariats avec des services de documentation à d’autres secteurs d’activités et avec des entreprises commerciales. Les compétences professionnelles et les profils de ces travailleurs du savoir sont en train de changer.
Un certain nombre de commentateurs et de praticiens estiment toutefois que le principe de la gestion du savoir mérite d’être questionné, et il est vrai que la difficulté à trouver des exemples probants de son application au sein des bibliothèques universitaires donne du poids à leurs arguments. Si la théorie de la gestion du savoir renforce et éclaire la convergence, c’est en premier lieu parce qu’elle ajoute un facteur humain à la somme d’informations disponibles au sein de l’établissement. La convergence vise à réunir l’information et les savoirs de spécialistes issus de différentes traditions, en ouvrant des perspectives différentes sur les services de documentation. La gestion du savoir vient utilement compléter la gestion des bibliothèques, car elle reconnaît, et s’efforce d’exploiter aussi bien l’information détenue au niveau individuel que celle recelée dans les systèmes officiels d’information et de communication mis en place par les institutions.
Ouverture du système d’information de l’établissement
La convergence au plein sens du terme passe en dernier recours par l’ouverture du système d’information de l’établissement, indispensable pour soutenir les changements, structurels et autres.
IMAGE L’ensemble des éléments du système d’information IMAGE de l’établissement correspond à ce que maints auteurs qualifient d’infrastructure technique, autrement dit le système qui rend possible la culture d’entreprise et dont je soutiens, pour ma part, qu’il doit figurer dans tout projet de convergence un peu ambitieux.
L’objectif n’est pas simplement de réaliser l’intégration du service « parce que ça peut toujours servir », mais bien de développer la base de savoir de l’organisation en tant que telle. La plus grande contribution de la théorie de la gestion du savoir aux formes organisationnelles générées par la convergence est peut-être de permettre l’articulation entre la pratique et les principes qui sous-tendent ce processus (Pugh, 2001), à savoir :
– le développement des connaissances individuelles ;
– la délégation des responsabilités aux individus, s’agissant de la manière dont ils s’acquittent de leurs tâches et des connaissances qu’ils possèdent ;
– l’encouragement à la formation d’équipes, à comprendre ici comme des groupes d’échange des connaissances, entre pairs et avec les responsables des services ;
– le développement des connaissances à partir de la pratique professionnelle ;
– la création, l’identification, l’exploitation de situations propices au développement des connaissances ;
– la gestion de ces connaissances par la mise en relation du savoir formel et informel, le rattachement du développement individuel à la progression dans l’établissement, l’identification des besoins et l’élaboration de solutions à même d’y répondre, l’évaluation permanente des connaissances, ici considérées comme une question stratégique.
La créativité de l’organisation
La convergence est destinée à insuffler une nouvelle énergie et à mettre en synergie les modalités du soutien apporté au savoir et à la recherche. La synergie est assurée par le regroupement de traditions et de perspectives différentes, voire opposées. Pour peu qu’elle soit accompagnée d’un changement structurel et d’une transformation des styles d’autorité, elle favorise une approche créatrice qui permet de tirer profit des différences entre les bibliothécaires, les spécialistes des technologies de l’information ou des médias, et tous les autres intervenants.
Une tension créatrice
Pour bien mesurer l’importance de cette notion, il faut garder présent à l’esprit le contexte de plus en plus incertain dans lequel les bibliothèques universitaires exercent aujourd’hui leur activité. Cette incertitude est due aux progrès technologiques, aux changements de politique gouvernementale, à l’entrée de nouveaux fournisseurs d’information dans le secteur de la documentation au sens large. Elle est notamment ravivée par les changements intervenus dans les habitudes et les attitudes des postulants au savoir. L’argument est ici que tout établissement confronté au besoin de se doter de nouvelles modalités de fonctionnement peut y parvenir en exploitant l’incertitude et la tension créatrice propre à cette situation. S’agissant de la convergence, cela signifie que l’on va chercher à tirer parti des différences que fait surgir la combinaison d’approches traditionnelles et nouvelles. La démarche est effectivement novatrice, eu égard aux conceptions du développement de l’organisation. Une administration classique (ce que sont la plupart des bibliothèques universitaires) réagit à l’incertitude en renforçant ses structures bureaucratiques.
On est ici dans une démarche analogue à l’idée qu’il faut « penser en dehors des cadres » (O’Keeffe, 1998), que le fait de rompre avec les habitudes de pensée conventionnelles est un pas vers la découverte de solutions efficaces aux problèmes organisationnels.
Il n’existe pas de « méthode idéale » pour réaliser ou gérer la convergence.
Une période incertaine
La forme qu’elle a prise au Royaume-Uni présente de nombreuses variations. On connaît de plus des institutions où les efforts de convergence ont été annulés ou en partie anéantis, d’autres qui ont mis sur pied des services de documentation hybrides où la convergence n’intervient pas et qui fonctionnent sur un mode tout à fait traditionnel. À l’évidence, nous ne savons pas encore vraiment quel sera le procédé le plus efficace pour traiter les regroupements des sources d’information. Avant de tenter de définir la gestion des bibliothèques d’aujourd’hui et de demain, il faut au préalable admettre que pour la première fois, peut-être, le secteur est dominé par l’incertitude.
Potentiellement, et déjà dans les faits, les bibliothèques sont pour la première fois en concurrence en tant que principaux lieux de stockage, d’organisation et d’exploitation de l’information. Cela ne va pas sans paradoxes. La convergence renforce la demande en personnels susceptibles de marier une spécialisation de plus en plus poussée avec la polyvalence des compétences. Ces personnels sauront de mieux en mieux tirer parti de l’autonomie et des initiatives qui leur sont laissées, et pour ce qui est de leurs compétences, ils seront forcément satisfaits d’avoir, et de plus en plus, leur mot à dire sur ce qu’ils apprennent, la manière dont ils l’apprennent et les domaines où ils appliquent ce savoir acquis. On constate « […] des contradictions, des incohérences, des discontinuités et des ambiguïtés » (Hirschberg, 1998) dans les formes adoptées par la plupart des services mis en convergence. Tout cela, qui représente une abomination pour les services de bibliothèque traditionnels, correspond à ce que Mac Kinnon dès 1978, Rittel et Webber encore plus tôt (1973), taxaient de « problème retors ».
Hirschberg avance que l’incertitude qui pèse sur les établissements culturels appelle une réflexion et une réaction créatives pour résoudre les problèmes. Là se trouve l’argument le plus convaincant en faveur de la convergence, et l’élément le plus important de la théorie qui la sous-tend. À l’heure actuelle, les organisations opèrent dans des conditions d’incertitude ; ne sont plus capables de s’ajuster aux cadres existants ; sont marquées par l’ambiguïté ; bousculent les limites établies, le cloisonnement sectoriel et les démarcations qui circonscrivent les compétences et les professions.
La meilleure réaction à cette situation déconcertante passe par le développement de la culture d’entreprise et l’instauration d’une structure capable, non seulement de soutenir cette culture, mais aussi de créer « des contradictions, des incohérences, des discontinuités et des ambiguïtés » – autrement dit, d’associer des traditions, des compétences, des manières de penser et de travailler, des priorités et des habitudes différentes, tout en leur ménageant des possibilités de synthèse qui elles-mêmes sont des facteurs d’innovation.
L’examen de ces théories permet de préciser quelles sont les caractéristiques que doivent présenter les services mis en convergence. Nous pourrons ensuite comparer ces caractéristiques aux divers modèles de convergence existant au Royaume-Uni.
Les modèles de convergence
Un certain nombre de malentendus entourent parfois le concept de convergence. Depuis le début et jusqu’à une période très récente, qui a vu s’opérer des révisions et des renversements notables, la littérature sur le sujet a véhiculé des idées propres à semer la confusion.
D’aucuns ont pu par exemple avancer que la convergence découlait d’une vision (erronée) des choses selon laquelle les services de bibliothèque classiques n’avaient plus longtemps à vivre, car l’avenir était aux services de documentation appuyés sur les technologies de l’information. Cela finira peut-être par arriver, mais ce n’est sûrement pas pour demain, et d’ici là bien de l’eau coulera encore sous les ponts.
D’autres ont suggéré que la convergence répondait à un désir de rentabilité, pour ne pas dire de compression des coûts. À l’appui de cette thèse, on peut en effet citer des cas où la convergence a permis de rentabiliser les services, voire s’est traduite par une plus grande maîtrise des coûts, mais d’autres exemples démontrent le contraire.
On a également invoqué le poids politique des bibliothécaires, qui auraient notablement contribué à promouvoir l’idée de la convergence – et pourtant, dans bien des cas, ils ont expressément rejeté cette approche et résolument cherché à définir des formes de convergence excluant les notions de pouvoir ou de propriété.
Enfin, certains des principaux intervenants dans le débat sur la convergence tel qu’il s’est déroulé au Royaume-Uni l’ont toujours considérée pour ce qu’elle est : une démarche axée sur les utilisateurs et visant à fournir des informations analogiques et numériques, des sources documentaires traditionnelles et électroniques, ainsi que les services d’assistance indispensables pour exploiter ces sources, par le biais d’une interface commune et d’un point de desserte unique.
La convergence ressemble à certains égards à une auberge espagnole, et, étant donné la rapidité avec laquelle s’opèrent le changement et la diversité des motivations, il n’est pas étonnant que cette multiplicité d’approches ait engendré plusieurs modèles organisationnels. L’éventail va des établissements que rien ne distingue a priori des services traditionnels de bibliothèque à ceux qui ont mis en place des équipes véritablement multifonctionnelles. Entre ces deux extrêmes, on trouve toute la gamme des modèles qui, au prix d’efforts acharnés, respectent les spécialisations de chaque groupe tout en s’attaquant aux questions cruciales de la diffusion des connaissances et de la formation croisée entre équipes de spécialistes, sans oublier la polyvalence des compétences. Marsterson (1999) décrit la tâche dans laquelle s’est engagée l’université du Middlesex et parle à ce propos des « fanatiques de la convergence », qui ont amené le processus à franchir une étape supplémentaire. Les modèles exposés ci-après illustrent les variations observables d’un système à l’autre.
Le modèle bureaucratique
Il s’agit là d’une forme de convergence qui ne change pas grand-chose, sur aucun plan. Ce modèle pyramidal a une structure traditionnelle, et bien qu’il comprenne des mécanismes intégrateurs, aux échelons inférieurs à la direction l’intégration de la fourniture des services, il est dénué de véritable consistance.
Le nombre et la nature des sections varient, mais chacune est placée sous l’autorité d’un responsable et peut comprendre plusieurs sous-divisions fonctionnelles.
Dans ce modèle, l’intégration est le fait d’équipes transsectorielles, de cadres documentalistes travaillant de façon transdisciplinaire, d’initiatives inspirées par les circonstances mais parfois étonnamment efficaces émanant d’individus consciencieux, et d’une cellule d’enquêtes intégrée. Il est toujours possible que ce dernier élément maintienne le cloisonnement entre les métiers, auquel cas le développement des talents ou des compétences individuelles ne sera pas un point fort du service.
Ce modèle présente l’inconvénient majeur de ne pas s’écarter de façon significative des pratiques antérieures. C’est fondamentalement une copie à l’identique des systèmes où les services sont liés par un mécanisme de contrôle qui fait remonter l’information jusqu’au directeur chargé de prendre les décisions. La seule différence est que la coordination est ici supervisée par un responsable qui rend compte à la direction de l’institution. Cela a pour effet de renforcer la bureaucratie mais reste sans grande incidence sur l’intégration au niveau de l’interface utilisateur.
Lim (1998) a abouti à un modèle similaire en décrivant une approche conçue pour relier et coordonner les composants analogiques et numériques d’un service de bibliothèque, mais sans associer la bibliothèque aux autres grands services de soutien aux études, en particulier le service informatique. Ce modèle présenté figure 2 comporte des similitudes évidentes avec celui de la convergence bureaucratique exposé figure 1.
Le modèle du fonctionnement en équipes
C’est le plus susceptible de dégager pleinement les bénéfices de la convergence, à la fois pour les utilisateurs, pour le personnel et pour le développement de l’établissement.
Caractéristiques communes
On a ici affaire à de vraies équipes. Constituées en principe autour d’un domaine ou d’un groupe de domaines, elles sont regroupées dans une structure sectorielle, mais qui n’est pas fondée sur la division classique entre les services de bibliothèque et les technologies de l’information, ou entre les formes analogiques et numériques. Toutes rassemblent des personnels du service informatique, du service des médias et de la bibliothèque et elles ont une grande latitude quant aux moyens de réaliser leurs objectifs organisationnels. Elles participent par exemple de façon non négligeable aux décisions d’affectation de postes et contrôlent les budgets.
De puissants mécanismes intégrateurs s’exercent à l’intérieur de chaque équipe comme au niveau organisationnel. Les projets particuliers menés par les équipes intéressent tous les services de l’organisation, et des équipes plus spécialement chargées de la programmation ou de l’administration sont parfois constituées pour offrir une assistance commune. Leur mission peut par exemple inclure le volet financier, l’affectation des locaux et la coordination organisationnelle.
L’équipe de direction peut être réduite dans des proportions significatives, et les réunions officielles sont moins systématiques que dans les établissements traditionnels ayant eux aussi une mission de documentation et d’information.
La convergence vivante selon Geryts
Voici quels sont, selon Geryts (1995), les atouts de la convergence lorsqu’elle est d’emblée traitée comme une question vivante.
La verticalité de la structure peut encore être atténuée par la suppression des postes de directeur adjoint. Au fur et à mesure que les équipes gagnent en assurance et que le changement culturel en faveur de l’intégration s’accentue, il devient logiquement possible d’intensifier la mutation structurelle en supprimant progressivement les postes d’encadrement relatifs à l’administration spécifique de services ou de fonctions (services de bibliothèque ou service informatique, par exemple) et de nommer des responsables chargés d’une mission plus globale. Une ou deux institutions ont ainsi recruté avec succès des responsables issus du secteur commercial privé et présentant les qualités requises pour cette tâche.
Ces établissements ont des systèmes de communication efficaces. Leurs fonctions, très larges, englobent les individus, les équipes, les différentes sections et la direction. L’information circule dans les deux sens. Les parties constituantes de l’organisation sont cimentées par des lignes de transmission rapide, dépourvues des relais existant dans les structures conventionnelles. Les mécanismes de participation transversale (tels que l’ouverture des commissions à toute personne intéressée, les journées thématiques et les groupes de travail), le recours à des cercles de qualité et le développement de réseaux électroniques conçus de plus en plus comme les systèmes nerveux des services sont ici fréquents et ils s’associent à une réflexion sur la théorie de la gestion du savoir.
À l’intérieur des équipes, les responsables des différents groupes forment une cohorte de dirigeants intermédiaires dont le rôle et les fonctions sont très différents de ceux qu’assument leurs homologues des structures traditionnelles, essentiellement chargés d’exercer leur influence et de servir de relais entre les niveaux hiérarchiques. Ici, les décisions prises par l’ensemble de l’équipe sont plus centrées sur les utilisateurs et touchent avant tout à la qualité des services fournis. Ces responsables assurent par ailleurs la liaison avec les autres parties de l’organisation. La circulation de l’information est abondamment décrite et commentée, et elle reflète le caractère holiste de l’organisation et de la gestion de l’information, de la communication, de la prise de décision, des stratégies, des règles et de la mise en œuvre des projets, de la participation et de l’appartenance à l’institution.
Ce modèle se caractérise par ailleurs par la confiance qu’il place dans la diffusion et le développement des connaissances. La convergence se distingue aussi et surtout par l’importance accordée au développement des ressources de base, autrement dit les savoir-faire, les compétences et les talents particuliers des bibliothécaires, des spécialistes des nouvelles technologies et des médias. Si l’enjeu est bien de mettre à la disposition des utilisateurs une toile d’information « d’un seul tenant », il faut des individus capables de dépasser les limites établies entre les différents métiers et les différents supports d’information : des bibliothécaires qui se sentent plus qu’à l’aise avec la technologie et sachent s’en servir avec plus que de l’ingéniosité ; des techniciens qui ne soient pas rebutés par l’ésotérisme des pratiques de la bibliothéconomie traditionnelle. Les bibliothécaires qui n’aspirent qu’à le rester et les spécialistes des nouvelles technologies qui ne veulent pas se mêler de bibliothéconomie ont toujours leur place dans les bibliothèques, mais ils risquent de ne pas la garder très longtemps.
Regrouper les différentes spécialisations au sein d’équipes dont l’objectif est de fournir des services complets à un groupe particulier d’utilisateurs constitue une première étape logique. En soi, cela ne nous permettra toutefois pas de créer la « toile d’un seul tenant ». Çà et là, se constituent désormais des équipes qui offrent aux personnes intéressées la possibilité de s’informer sur les tâches effectuées par les autres membres de l’équipe et d’assumer de plus grandes responsabilités à leur poste. Ce processus de formation et de développement a lieu au sein des équipes et il a des répercussions au niveau des individus, des équipes et de l’établissement tout entier.
Toutes ces évolutions doivent être appuyées par une transformation des pratiques administratives. Les descriptions de postes sont appelées à devenir génériques, la manière dont ils sont pourvus et regroupés va nécessairement changer. La démarcation établie entre les activités techniques du traitement de l’information, l’exploitation ultime de cette dernière et l’assistance apportée aux utilisateurs est aujourd’hui remise en cause. Enfin, le changement influence l’évaluation des performances et la définition des objectifs.
La figure 3 illustre le modèle du fonctionnement en équipes. Les équipes de fourniture des services sont chargées de groupes spécifiques d’usagers et s’appuient pour ce faire sur des procédures diversifiées.
Le modèle de la participation volontaire
C’est l’un des modèles les plus intéressants. Il connaît plusieurs variantes qui, sans nécessairement toucher au cloisonnement entre les services ni à la dévolution des responsabilités et de l’autorité, permettent d’examiner conjointement des sujets intéressant l’ensemble de la structure. Certaines universités ont dès le départ décidé que les rapports entre les services de bibliothèque, les services informatiques et les autres services de soutien aux études seraient gérés en coordination par un membre du comité directeur de l’institution, le plus souvent le vice-président. Cela introduit des relations plus dynamiques que les mécanismes classiques de transmission de l’information, véhiculée jusqu’à la direction par les responsables de la bibliothèque ou du service informatique – même si un directeur de département en a un jour parlé comme du « dernier pétard mouillé des universités ».
Ces dispositions ont favorisé un minimum de coopération, et un rapprochement entre les services de soutien aux études et les départements universitaires. Elles ont aussi permis d’impulser un certain nombre de développements, tels que le transfert de la direction du réseau informatique de la bibliothèque au service informatique, ou, dans certaines institutions, la mise au point d’applications informatiques et multimédias pour l’enseignement à distance. Une variante se fondait sur l’attribution des responsabilités de coordination à l’un des directeurs de service, avec des résultats similaires à ceux observés dans la première option.
À l’université de Southampton, par exemple, le rôle de coordinateur de service est désormais formalisé et confié à un directeur général qui suit le déroulement de la convergence dans une perspective évolutionniste.
L’exemple de Derby
L’exemple qui illustre le mieux ce modèle est peut-être fourni par l’université de Derby. Ici, la convergence a été mise en œuvre selon un processus classique, avec une première phase de discussions et de consultations prolongée sur deux ans. Cette période amena à constater que la convergence devait se réaliser spontanément, via un mécanisme conçu pour transmettre l’information au vice-président. Dans ce cas, le service informatique et le service des ressources de savoir travaillaient en tandem.
Au bout du compte, la séparation des budgets et des personnels est restée en place, les commissions de l’université ont continué à fonctionner sur la base d’une représentation spécifique et la programmation stratégique est elle aussi restée indépendante. Le résultat s’apparentait à une sorte de convergence organique, entretenue par trois types de facteurs.
La coopération se fondait sur la reconnaissance des différences. Le choc des cultures entre bibliothèques et services informatiques a fait couler beaucoup d’encre. L’institution ici prise en exemple l’a amorti, non seulement en acceptant les différences, mais aussi en affirmant sa volonté de les maintenir – même si, en l’occurrence, lesdites cultures ont sans doute plus de choses en commun qu’on pourrait le penser de prime abord. C’est une bonne illustration de la collusion créative dont parle Hirschberg (1998) ; elle a permis d’identifier des domaines se prêtant à une fourniture conjointe des services.
Un des effets les plus bénéfiques de cette approche fut la réalisation d’un nouveau centre des ressources de savoir. En la matière, la capacité d’intégrer des ressources matérielles fut peut-être le facteur de succès le plus décisif. Le service informatique apporta une contribution majeure à ce nouveau centre, notamment par l’aide en personnel. Pour bien prendre la mesure de cette collaboration de la première heure, il faut préciser que si le personnel d’assistance venait du service informatique il a par la suite été intégré à la bibliothèque. Après avoir assuré la formation initiale aux technologies de l’information, il s’est fondu dans une cellule d’assistance comprenant aussi des bibliothécaires.
Le fait que le travail en équipe soit déjà une réalité dans ces deux services et qu’ils aient tous deux investi dans la polyvalence des savoirs représentait un autre atout. Dans le cas pris en exemple, l’échelle des salaires reflète l’importance accordée aux postes où l’approfondissement et l’élargissement des compétences sont souhaitables. Les jurys de recrutement, les réunions interservices, l’attention portée aux liens entre les services caractérisent également cette formule.
Dans les premières années, les résultats dépendaient en grande partie de la synergie entre les chefs de service, tous deux recrutés à peu près au même moment.
Pour ou contre la convergence
La convergence est avant tout destinée aux utilisateurs. Elle permet à l’évidence d’améliorer la fourniture des services dans l’environnement hybride de la bibliothèque, et c’est là sa meilleure justification. Cependant, de même que le format de présentation de l’information ou le fait de savoir d’où elle vient importent peu à l’utilisateur, il lui est indifférent d’avoir affaire à un bibliothécaire ou un spécialiste des technologies de l’information.
Le point de vue du public
Quel que soit le modèle de convergence adopté, il rend le service possible et c’est là tout ce qui compte. L’indéniable agrément qu’il y a à pouvoir se procurer toutes les informations recherchées à partir d’un seul poste – souvent très éloigné des sources d’information – est bien sûr un avantage. Le rapprochement opéré entre les différents services permet aux étudiants d’obtenir l’aide dont ils ont besoin et contribue sûrement en cela à leur rendre plus agréable le cadre dans lequel ils travaillent. L’assistance pour l’accès aux informations non disponibles sur le campus et l’enseignement à distance sont eux aussi susceptibles d’améliorations.
À cet égard, quelques universités américaines ont entrepris d’aborder les choses sous un angle nouveau. Orgeron (2001) fait état de la création du Centre d’excellence universitaire et professionnelle (ACE, ou « Academic and Career Excellence »), sorte de bureau central de documentation qui renvoie les étudiants à la source possédant l’information qu’ils cherchent, aussi bien la bibliothèque que toute la gamme des services assurant un soutien universitaire. Chacun de ces services garde son indépendance et son identité, l’ACE se chargeant de résoudre les problèmes que pose leur dispersion.
Le personnel
Les difficultés associées à la convergence sont identiques à celles que comporte tout projet de changement d’envergure, la convergence étant peut-être la mutation la plus importante que puissent aujourd’hui envisager les bibliothèques universitaires. Notre handicap tient en l’occurrence à ce que les bibliothèques en général n’ont guère changé – et, quand elles l’ont fait, cela a été à un rythme relativement lent – avant l’apparition des impératifs technologiques, éducatifs et sociologiques qui ont nourri les évolutions de la fin du XXe siècle.
L’un des projets de convergence a échoué à cause des faiblesses inhérentes au processus – en particulier une consultation insuffisante et une absence d’anticipation quant à la maîtrise du changement. Je ne pense pas qu’on puisse citer un seul cas de projet de convergence qui, au Royaume-Uni, n’ait pas suscité une certaine résistance, et la réponse apportée à cette résistance fut décisive. L’incertitude et l’opposition de principe, parfois, ont posé problème. Des bibliothécaires ont été perturbés par leurs nouvelles conditions de travail, dépassés parfois par des relations dont ils ne comprenaient pas l’utilité.
La convergence a également pâti d’être, pour l’essentiel, un changement imposé. Là où l’étape de la consultation a été correctement menée, elle a souvent fait apparaître une réticence du personnel de la bibliothèque à accepter l’idée proposée, et une réticence plus grande encore de la part du personnel du service informatique. On connaît aussi des exemples où la convergence a été imposée contre l’avis pourtant réfléchi de la direction du service.
En dernière analyse, la convergence doit amener à réévaluer la voie traditionnelle du développement de carrière proposée aux travailleurs de l’information. Dans les systèmes hiérarchisés, la progression dans les échelons vient récompenser l’acquisition de l’expérience et l’affirmation des compétences. Les choses ne se passent pas de façon aussi mécanique dans les organisations faisant appel au travail en équipe qui correspondent aux formes à ce jour les plus abouties de convergence ; les personnes qui y travaillent ont peut-être besoin d’un temps d’adaptation pour réaliser que la progression est ici plus fonction de la mobilité horizontale que de l’ascension verticale. Certaines administrations en tiennent déjà compte dans les grilles de salaires.
Quoi qu’il en soit, l’opportunité de travailler dans un environnement potentiellement dynamique, avec la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et d’assumer plus de responsabilités permet en principe à chacun de développer des façons de voir, des savoir-faire et des talents qui seront précieux pour les services de documentation numérique.
La différence culturelle entre les services parties prenantes de la convergence a été abondamment commentée, et elle passe pour être à la fois un problème et un désavantage. Pour moi, c’est le signe que nous n’avons que des connaissances incomplètes sur le développement de l’organisation. Les établissements où la convergence, quel que soit le modèle retenu, donne des résultats positifs sont la preuve que cette diversité peut être à la source d’une pensée créative.
La direction
Il n’est pas faux de dire que les objectifs de la convergence représentent un défi plus important pour la direction que pour le personnel. Conduire le processus de convergence, venir à bout des obstacles – matériels, pratiques et stratégiques, humains –, créer des alliances, définir les nouvelles compétences des équipes de direction ne sont pas des tâches aisées. Il n’est pas facile non plus d’adapter les méthodes de direction et de travail à une structure reposant sur la délégation du pouvoir, y compris dans la prise de décision. Lorsqu’il est correctement mis en œuvre, ce processus est de longue haleine. À côté d’un investissement en temps, il faut un investissement personnel considérable pour assurer les transitions nécessaires, choisir les individus qui participeront au travail en équipe et prendre aussi en compte les conséquences que cela représente pour les individus qui ne cadrent pas avec la nouvelle structure. Ici, les avantages apparaissent à terme, dans l’émergence d’organisations dynamiques.
Le coût financier est une autre ombre au tableau. Pour que la convergence produise les résultats escomptés, il faut reprendre les grilles des salaires, investir dans la formation du personnel, dans la communication et, surtout, prévoir un programme de construction qui peut s’avérer important. La convergence s’accompagne en effet de l’ambition de réunir tous les services sur un même emplacement, et bien souvent les bâtiments existants ne s’y prêtent qu’au prix de travaux d’envergure. Il n’est d’ailleurs pas sûr que le processus permette à terme de dégager des bénéfices, au vu des investissements à engager pour le mener dans de bonnes conditions. La rationalisation, l’élimination des tâches inutilement répétées, la programmation stratégique sont bien sûr une garantie de cohérence qui en elle-même devrait assurer une meilleure rentabilité des services. Rien ne garantit en revanche que les gains ainsi dégagés génèrent des bénéfices substantiels pour les services de documentation.
La situation actuelle
La grande période de la convergence s’est déroulée dans une ambiance proche du délire. Des informaticiens ont sérieusement avancé que la commission Follett, considérée comme un des principaux responsables de l’intérêt accru pour la convergence, n’avait pas envisagé de solutions de rechange à ce processus.
Les modèles de participation volontaire ou de collaboration apparus entre-temps confortent dans une certaine mesure cette opinion. Les bibliothécaires, en général et à l’intérieur d’institutions particulières, furent accusés d’avoir usé de leur plus grande influence politique pour créer des situations qu’ils pouvaient contrôler en étant assurés de s’imposer in fine comme les partenaires les plus puissants.
On a beaucoup insisté sur les différences culturelles irréconciliables, de l’avis de certains, entre les personnels associés dans le processus de la convergence. Beaucoup débattu, aussi, pour savoir qui, des bibliothécaires ou des informaticiens, étaient les plus qualifiés pour diriger les services mis en convergence. Les différentes parties impliquées avaient des points de vue différents sur le degré d’ouverture et le niveau de consultation les plus souhaitables, et à l’intérieur d’un même service les avis sur le succès ou l’ampleur de la convergence ont parfois été diamétralement opposés. La nature du service à fournir fut elle aussi un sujet de controverse, selon la position occupée par les intervenants dans l’organisation. Enfin, l’étendue de la convergence et le succès de la constitution des équipes ont également été la cible de critiques, qui ne résistaient pourtant pas à un examen détaillé.
Depuis, la situation s’est considérablement apaisée. L’approche évolutionniste est à l’origine de développements intéressants : des universités comme celle de Southampton réfléchissent aujourd’hui de façon dépassionnée aux moyens de pousser plus loin l’idée de la convergence ; ailleurs, on a plusieurs exemples convaincants de projets de participation volontaire qui continuent à prospérer, et les établissements qui ont fait machine arrière arrivent généralement à résoudre les problèmes dus aux déficiences de la mise en œuvre initiale. Ici et là, on signale de réels progrès dans la collaboration depuis que les complexités de la convergence ont été démêlées, ou une plus grande stabilité du fonctionnement qui satisfait le personnel dans les services en partie disjoints.
Il semble qu’à présent la plupart des services fonctionnent selon des modalités confortables, mais que la question de la convergence n’ait rien perdu de son actualité. Cette situation est en particulier illustrée par les investissements considérables consentis pour la formation du personnel par l’Association des bibliothèques universitaires de Manchester, qui a inspiré plusieurs des exemples cités dans cet article. Il existe par ailleurs d’autres situations contemporaines où les formes de la collaboration volontaire sont progressivement remplacées par une intégration plus formelle.
Le monde où le bibliothécaire jouait le rôle traditionnel de préposé à la distribution des ressources du savoir va forcément basculer, ce qui nous oblige à envisager de nouvelles formes organisationnelles. La convergence, dans ses diverses manifestations, représente une étape dans le développement de l’organisation des services de documentation. De façon paradoxale, mais logique et inévitable, l’augmentation des ressources électroniques distribuées au Royaume-Uni canalise le développement vers des domaines technologiques et met de ce fait sur la sellette les pratiques relatives au contrôle bibliographique, à la description des documents, à leur conservation, ainsi que les conséquences qui en découlent pour les ressources humaines, les réactions des utilisateurs et un certain nombre de questions d’ordre professionnel. D’où la recherche de grande qualité aujourd’hui effectuée par les professionnels du secteur dans les bibliothèques.
Nous n’en sommes pas encore à un stade de réflexion très suivie sur la gestion des bibliothèques électroniques au sens large, sauf en ce qui concerne le positionnement des services relativement au fonctionnement global de l’établissement. Cela s’est traduit par de nouvelles configurations et de nouveaux rapports entre services dans tous les secteurs des bibliothèques, mais laisse largement intactes les questions touchant à l’organisation et à la gestion des personnels desdits services. Les personnels des bibliothèques, et tout particulièrement ceux impliqués dans les nouvelles modalités de la fourniture d’information, souhaitent mieux contrôler la manière dont ils s’acquittent de leurs tâches et travailler avec plus de latitude dans des structures conçues dans cet esprit. Ce problème est soulevé depuis des années dans la littérature consacrée aux questions d’administration générale (cf. par exemple, Clutterbuck et Kernaghan, 1994).
Les tendances décrites dans les pages qui précèdent contribueront sûrement à donner un nouvel élan à la culture et aux structures qui sous-tendent la convergence.
Septembre 2001