Images et technologies de l'information et de la communication

Françoise Gautier

Placée sous le signe des échanges et du professionnalisme sur le thème « Images et technologies de l’information et de la communication (TIC) : éduquer à l’image à l’heure du multimédia », la rencontre nationale des espaces culture multimédia (ECM) 1 s’est déroulée le 29 juin dernier à La Rochelle. Les participants venus en grand nombre se sont retrouvés dans une salle du Carré Amelot autour d’un programme révélant des réalisations variées et intéressantes.

Le réseau des espaces culture multimédia

Pour ouvrir cette journée d’échanges, Pierre Oudart, conseiller technique pour le multimédia au cabinet de Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication, rappela la force et le développement des programmes culturels initiés dans le cadre des ECM. Il évoqua la nécessité d’œuvrer à l’éducation à l’image : « Puisque la numérisation des images [est] plus importante aujourd’hui, il faut retrouver du sens et enseigner les règles et les pièges sur Internet. » S’il est évident que le multimédia offre des possibilités pédagogiques nouvelles, il faut accroître le travail de médiation, d’autant plus qu’avec le web la diffusion des images connaît une audience très large. « Dans le développement des lieux d’accès public à Internet, le réseau des espaces culture multimédia, avec l’existence de multiples projets culturels, constitue une tête de pont dont l’importance se révèle à travers l’animation et les liens qui se créent dans ce réseau. » La sensibilisation à l’image sous toutes ses formes est un outil prépondérant pour aborder une approche critique de ce média et permettre, par exemple, le renouvellement du public de cinéma.

Former des spectateurs

La matinée fut consacrée aux interventions liées à la formation des spectateurs autour d’initiatives à destination des jeunes, dans ou hors du temps scolaire, pour construire une culture de l’image fixe et animée et développer un regard critique face au flot des images, de la publicité au film d’auteur, en passant par le sitcom. Certains intervenants insistèrent d’ailleurs sur les multiples identités que prend l’image et sur la nécessité de ne pas laisser les images moins nobles à l’écart des séances critiques, car elles font partie de l’environnement des jeunes d’une manière plus immédiate que les films classiques ou d’auteur. Quand on parle d’image, il semble primordial de s’intéresser à toutes les formes qu’elle revêt.

L’association APTE (Audiovisuel pour tous dans l’éducation) proposa un dispositif interactif sollicitant la participation du public. Sous une forme pédagogique qui se voulait ludique, puisqu’on parlait ici de multimédia, ledit public fut invité à donner une clef d’entrée ouvrant sur le programme de cette association à partir d’une image projetée sur l’écran vidéo. Quelqu’un proposa l’image du parcours fléché. Dominik Picout et Stéphane Bravard, responsables de l’association et animateurs de son site 2, donnèrent une interprétation de leur démarche éducative : « Faut-il nécessairement produire des images pour initier une démarche d’éducation à l’image ? » L’association APTE conduit un projet pédagogique autour de trois axes : des sessions de formation pour les enseignants et les éducateurs, des « classes de découvertes images », et une production de documents d’analyse de l’image et d’exercices pratiques (des fiches sous la rubrique « Fais voir » sont proposées à tous les formateurs). Elle développe des productions croisées pour des actions autour de la découverte critique d’Internet et du multimédia avec l’ECM « Rur’art », qui fonctionne au sein du réseau des établissements d’enseignement agricole de la région Poitou-Charentes.

Dominique Coujard, personnalité dynamique, se lança dans la présentation d’un site Internet très complet, dédié à l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel, « Quai des images 3 », développé par l’Éducation nationale (educnet) pour les enseignements, et qui propose à la fois une très grande quantité d’informations répertoriées et soigneusement choisies pour « faire de l’éducation à l’image », et la création d’un espace d’expression pour les publics. Les enseignants peuvent y trouver des textes sur le cinéma qui n’existent pas forcément dans les services de documentation des lycées. Les classes peuvent aussi s’inscrire dans le projet « Eschola » pour analyser les spots publicitaires. Cette aventure critique, intitulée « Spots de pub, lectures culturelles », permet de comparer la réception du message d’un pays à l’autre avec un certain nombre d’outils, dont un dictionnaire de l’image en ligne. Quand le multimédia devient un moyen de création et d’échanges, il rejoint l’idéal de ses pères fondateurs. Le site propose aussi d’autres services comme un espace de travail avec des sociétés de production « Cinéma » et un répertoire de tous les sites qui travaillent avec l’image.

Cinéma indépendant et ECM

Sophie Menanteau, conceptrice et animatrice d’ateliers ciné-multimédia dans le cadre de l’ECM Diago Kawenga, basé à Montpellier, et Priscilla Schneider, coordinatrice des cinémas Le Diagonal expliquèrent à tour de rôle comment le travail de sensibilisation et de réalisation est conduit dans cet échange entre un cinéma indépendant et un espace culture multimédia. Après la découverte de films, les jeunes sont invités à participer à des ateliers au sein de l’ECM. De l’interview des réalisateurs à l’analyse critique du contenu des films, des outils pédagogiques sont proposés à des enfants à travers plusieurs parcours. Les passerelles se développent entre le grand écran et le multimédia. La pédagogie oscille entre le pôle d’éducation cinématographique et le pôle d’éducation à l’image numérique.

Avec Pierre Bongiovanni, directeur du Centre international de création vidéo (CICV) Pierre Schaeffer, c’est la piste aux étoiles du virtuel qui entra en scène. Debout, devant le public, il se transforma en Monsieur Loyal pour conter de bien belles histoires, de « l’image dans tous ses états à l’heure du numérique ». S’appuyant sur des réalisations multiples autour de la vidéo dans un cheminement expérimental initié dès 1994, le CICV développe ses projets sur le Réseau et lance des pistes de réflexion autour du multimédia. Résidence internationale d’artistes, il accueille chaque année plus de 150 créateurs, l’esprit qui imprègne tous les projets étant « d’utiliser la culture du Réseau pour produire du contenu pour demain ». Exit la bonne vieille radio : au CICV, on cherche à inventer une radio humanoïde qui va produire de faux concerts, de faux textes avec, en grand organisateur, la machine, « l’ordinateur qui produit en créant des protocoles de synthèse vocale ». Le travail engagé par le CICV prend aujourd’hui une nouvelle dimension avec la plate-forme multimédia Next-Movies, centre d’arts électroniques virtuel. Pierre Bongiovanni réaffirma « la nécessité d’être producteur de contenus pour le web »… et précisa que « l’avenir d’Internet n’est pas le Réseau mais l’approche pluridisciplinaire ». Au fait, qu’est-ce qui impressionna cet homme dans l’aventure planétaire du multimédia au point d’orienter ses choix vers une activité de programmateur directeur d’un lieu où se développent des projets de création artistique et culturelle ? C’est sa rencontre avec Laurie Anderson. Selon cette dernière, « on peut commencer à parler de la culture du Réseau lorsqu’on a commencé à rassembler les gens et que ces gens ont la conscience d’en faire partie ». C’est un peu le sel des projets initiés dans le cadre des espaces culture multimédia 4.

Faire produire des images

L’après-midi, les ECM producteurs d’images entrèrent dans la danse. Édith Farine présenta la philosophie du projet culturel et social de La Maison de l’image, à Strasbourg. Pour cette ECM, l’éducation à l’image passe par « [une meilleure compréhension des] images pour mieux les choisir » et par « une démarche d’apprentissage lors de [leur] réalisation ». Créée en 1999, La Maison de l’image fait partie du service « Jeunesse, éducation populaire » et se compose de trois partenaires : l’association vidéo Les Beaux jours, la coopérative régionale du cinéma culturel, et la ville de Strasbourg, associées pour développer un programme d’éducation à l’image. Elle touche des publics hors du temps scolaire et propose une pratique accompagnée pour « fabriquer des objets filmiques ». Par le biais des associations, des maquettes d’émissions sont réalisées – « On avait envie de faire la télé des gens » – et les petits films sont diffusés sur le canal local, le même réseau de TV locales que « Vidéon » (centre ressources des ECM et des télévisions associatives).

La Maison de l’image a plusieurs chantiers ouverts depuis deux ans et une expérience va commencer prochainement avec les vidéos des quartiers. Des webtrotters vont parcourir la ville en réalisant des reportages avec des appareils photonumériques et un ordinateur portable. L’ECM de Strasbourg, équipé de moyens de production numérique, se vit « comme un espace d’expérimentation du secteur associatif en proposant à des jeunes de devenir non plus simplement consommateurs mais aussi producteurs d’images, de sons, de sens » 5.

L’équipe du Carré Amelot, qui a participé à l’organisation de cette journée de rencontre, prit le relais. Jacky Yonnet, directeur du « Troisième œil », le département audiovisuel et multimédia du Carré Amelot, et Marianne Salmas, formatrice, sont des faiseurs d’images qui ne sont pas nés dans la génération numérique. Cette équipe a donc suivi l’évolution technologique, s’est progressivement étoffée et propose aujourd’hui un espace de production et de formation. De la vidéo à l’image de synthèse, le Carré Amelot réalise aussi une activité de diffusion de vidéo d’art. Dans le cadre de stages ou d’ateliers, des étudiants, des personnes inscrites dans le cadre de la formation professionnelle, des demandeurs d’emploi accèdent à des modules d’apprentissage et de création autour de l’image. Dans le contexte : «… Il ne s’agit pas ici de faire croire aux gens qu’ils deviendront des professionnels de l’image ou des avaleurs de logiciels de création en trois jours », des projets se mettent en place avec un cahier des charges précis ; chaque stagiaire est l’auteur complet de son film. L’ECM est complémentaire des activités du département audiovisuel « Troisième œil » 6

Enfance et jeunesse

Le Centre international d’études en littérature de jeunesse était représenté par son directeur délégué, Georges-André Vuaroqueaux. Le CIELJ, association née en 1988 à Charleville-Mézières, a pour objectif la promotion du livre et de la lecture pour enfants. Il comprend une bibliothèque informatisée d’ouvrages français et étrangers rassemblant tout ce qui se fait d’intéressant autour de la littérature de jeunesse. Créé autour d’un réseau de chercheurs sur la littérature de jeunesse, sa production de publications est intense. Les chercheurs spécialisés dans le multimédia ludo-éducatif sont accueillis dans le cadre de résidences pour une durée de deux à quatre mois.

Le site du Centre 7, consultable en trois langues, constitue la banque de données la plus importante d’Europe dans le domaine de la littérature jeunesse. Au sein de son ECM, sont organisés des ateliers d’initiation et de formation à l’informatique et aux nouvelles technologies à destination des enfants et des illustrateurs de jeunesse : « L’ECM est lié à un espace enfance où passent des écrivains, des illustrateurs. Les enfants vont dans l’espace enfance et dans l’ECM ».

Ce fut ensuite au tour de l’équipe de l’ECM du Centre culturel Le Chaplin, situé en plein cœur du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie, de présenter son projet culturel et artistique dont « l’image est conçue à la manière d’une réparation, d’un contrepoint à toutes ces images blessées ».

François Girard, directeur de ce lieu, était entouré de deux créateurs d’images qui ont chacun leur langage : l’artiste marocain Mounir Fatmi, actuellement en résidence au Chaplin, et le réalisateur Laurent Huet. Ils racontèrent comment ils réfléchissent et travaillent sur des projets dans un territoire fragilisé comme celui du Val-Fourré, où il est nécessaire d’opposer des images à d’autres images, de restituer la parole des habitants. Pour cela, François Girard, initiateur du projet culturel, a d’emblée posé le multimédia et l’image comme axes du développement culturel. Les activités du Chaplin tournent autour du cinéma, de la vidéo, de la lecture, du multimédia. Treize courts métrages ont été produits depuis deux ans 8, des films d’animation sont réalisés dans le cadre d’ateliers de pratiques artistiques en milieu scolaire et centres de loisir, ou avec des associations. Dans le travail de réalisation et de production conduit avec les habitants, c’est toute une approche de la concertation qui est en jeu. Ainsi, « l’image devient un enjeu, quelque chose qui se partage. » Elle pose des questions de sens, de contenu et interroge la relation au monde. « Produire là-bas un autre rapport à l’image, c’est poser d’abord le principe de réparation. Face aux interprétations des médias avec des émissions comme Ma cité est violente, diffusée récemment sur France 3, les réactions au Val-Fourré sont virulentes, car les gens ne se reconnaissent pas dans ce qui est montré… Les moyens numériques qui sont à notre disposition et à la disposition des gens sont une chance… Notre travail, c’est faire qu’ils s’emparent de ces outils pour pouvoir eux aussi produire et diffuser leurs images sur le Net. » Il serait intéressant de « créer des hyperliens entre les ECM qui développent des projets sur l’image, de devenir plus actifs sur la Toile ».

Une volonté certainement partagée par d’autres ECM et qui rejoint l’objectif du Ministère avec l’organisation de ces rencontres : qu’une culture collective du Réseau se mette en place et que les ressources utilisées par les uns et les autres soient le plus rapidement partagées 9.

Se disant impressionnée par les récits des réalisations en cours dans les ECM, Bernadette Goldstein, du Département des publics de la Direction des musées de France (DMF), présenta le site institutionnel « L’histoire par l’image 10 ». La période chronologique du site est 1789-1939, période choisie pour la richesse des collections et pour une partie des programmes des classes de seconde et de première. Les images utilisées dans ce site culturel libre et gratuit, mis en ligne en octobre dernier, sont des images libres de droit, car tombées dans le domaine public. « Ce service en ligne s’adresse en priorité aux enseignants du secondaire et aux élèves dans un cadre disciplinaire qui est celui de la discipline historique. Nous souhaitons aussi l’étendre à la famille et aux amateurs d’art et d’histoire, l’objectif étant d’initier à la lecture de l’image et plus particulièrement de l’image dans le cours d’histoire ».

Cette dernière intervention marqua la fin d’une journée particulière, très riche en expériences partagées.