La communication scientifique électronique
Annie Le Saux
Du 29 au 31 mai 2001, s’est tenue au Palais des congrès la 18e édition du salon professionnel de l’information électronique, de l’Internet et de l’intelligence économique, organisé par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) et le Groupement français de l’industrie de l’information (GFII). Stands d’exposants, ateliers, conférences, ont traité de l’ensemble de l’information professionnelle : technique, contenus et usages. Trois de ces conférences ont retenu l’attention : « Les enjeux économiques et culturels de la numérisation », « Éthique et technologies de conservation de l’information », et « La communication scientifique électronique ».
Lors de cette même session du congrès IDT 2001, le jeudi 31 mai, différents acteurs de la communication scientifique réagirent aux mutations apportées par l’environnement numérique.
Dans ce nouveau contexte, les modèles traditionnels ont été fragilisés, souligna Jean-Michel Salaün, professeur à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, qui, à partir de l’exemple de périodiques scientifiques, énuméra les mutations économiques induites par le glissement de la bibliothèque traditionnelle vers une bibliothèque virtuelle.
L’assise d’une bibliothèque traditionnelle repose avant tout sur ses collections. Que se passe-t-il quand on passe au numérique ? Les fonds propres, c’est-à-dire la collection de la bibliothèque, sont constitués de documents qu’elle édite, à partir des fonds dont elle possède la propriété intellectuelle. Les coûts vont, dans cette nouvelle donne, devenir des coûts d’édition et non plus des coûts d’acquisition. Les fonds sous licence, qui se trouvent sur des serveurs extérieurs et que la bibliothèque ne possède donc pas physiquement, posent quant à eux des problèmes de durée d’accès et de pérennité, et entraînent des négociations très lourdes. Les fonds libres constituent l’élément nouveau et en plein développement. Pour ces fonds d’archives ouvertes, entièrement extérieurs eux aussi à la bibliothèque, la certification par des pairs, qui est l’élément fort des périodiques imprimés, disparaît.
Avec Internet, de nouveaux outils de signalement de ces fonds sont nés sous forme de moteurs de recherche et de portails à destination de lecteurs que l’on ne peut plus identifier. Cette impossibilité de définir un public entraîne la question du paiement des services. Pourquoi, en effet, une institution financerait-elle une bibliothèque ouverte non plus à un lectorat de proximité, bien distinct, mais à l’ensemble de la planète ?
La littérature grise
Les méthodes utilisées par les chercheurs pour communiquer entre eux leurs résultats de recherche sont, elles aussi, en pleine mutation. De nouveaux circuits apparaissent en parallèle avec les revues imprimées traditionnelles. La littérature grise, dont l’importance n’est plus à démontrer, notamment dans le domaine de la physique, devient disponible immédiatement et dans le monde entier, quelquefois gratuitement.
L’exemple de la bibliothèque du CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, dont la collection de littérature grise dépasse les 400 000 documents, témoigne de l’évolution du traitement, désormais entièrement électronique de ce type de littérature. Ce sont les preprints, articles destinés à être publiés, qui sont les plus utilisés. La diffusion en ligne de ces documents, soumis électroniquement à la bibliothèque du CERN, est faite dès le jour suivant leur dépôt, alors que leur publication dans une revue scientifique ne se fait que 12 à 15 mois plus tard. Les lecteurs ont accès au texte intégral de l’article en deux versions : sur le serveur de preprints du CERN, où, une fois l’article publié, les bibliothécaires complètent les références bibliographiques de la communication, en indiquant le titre du journal, le volume, l’année, et la pagination, et sur le serveur de l’éditeur de la revue scientifique. Le CERN garde copie du texte de littérature grise et pointe sur la version éditée, révisée et validée par des pairs. Selon Corrado Pettenati, directeur de la bibliothèque du CERN, cette littérature grise électronique est amenée à se développer, contrairement aux publications scientifiques imprimées.
Les archives ouvertes
Cependant, ce qui fait la valeur ajoutée de l’article publié traditionnellement, c’est son évaluation intellectuelle, et sa validation par des pairs. Les revues, de par cette évaluation intellectuelle, « jouent un double rôle, à la fois d’information et d’évaluation scientifique ». Avec l’apparition des preprints en ligne, le bénéfice que tiraient les relecteurs – c’est-à-dire la primeur des informations – disparaît. Les relecteurs, qui doivent être des chercheurs compétents qui soient en même temps juge et partie, se font de plus en plus rares.
L’avantage actuel des preprints pour les chercheurs, note Frank Laloë, directeur du Centre pour la communication scientifique directe, unité du CNRS, est, outre la rapidité d’accès, le regroupement en un seul endroit des documents, qui, selon les méthodes de diffusion traditionnelles, seraient dispersés dans plusieurs revues, ce qui nécessiterait, dès lors, des recherches approfondies. En effet, les preprints, qui n’avaient, auparavant, de valeur que jusqu’à la publication du texte dans une revue imprimée, et dont l’existence cessait avec celle-ci, sont désormais regroupés sur un serveur unique, et consultables n’importe quand, de n’importe où. Cette banque de données d’archives, où toutes les versions successives sont conservées, constitue la mémoire des travaux d’une discipline.
Éditeurs et agences d’abonnement
Bibliothèques et organismes de recherche ne sont pas les seuls touchés par ces changements dans le paysage de la communication scientifique. Modane Marchand, directrice commerciale chez EBSCO France, a soulevé la problématique que l’édition électronique engendre auprès des agences d’abonnement. Ces dernières sont particulièrement affectées par l’érosion de leurs marges bénéficiaires dues à la diminution des remises faites par les éditeurs, dont la tendance actuelle est de négocier directement avec leurs clients, et à la baisse des budgets d’acquisition des bibliothèques. Pour faire front à ces nouvelles pressions et essayer de retenir sa clientèle, EBSCO a décidé d’offrir des prestations nouvelles adaptées à de nouvelles offres, en créant des portails par le biais de EBSCO Online.
Catherine Duval, directrice commerciale de EDP Sciences, a, à son tour, témoigné des mutations apportées au rôle traditionnel de l’éditeur. Aux fonctions habituelles d’organisation de l’évaluation par les pairs, de production et de diffusion des documents, est venue s’ajouter la gestion de la multiplication des supports, de serveurs web de plus en plus sophistiqués. Dans les toutes prochaines années, il faudra répondre à de nouveaux défis : fournir une information sur mesure, offrir un accès permanent à l’information et avoir une base d’archives de tous les articles, faire des liens et développer des moteurs de recherche.
Cela ne va pas sans poser un certain nombre de questions d’ordre technique et surtout économique. Proposer un accès libre et gratuit amène à se demander que faire payer et à qui.