Stratégie marketing des services d'information
bibliothèques et centres de documentation
Florence Muet
Jean-Michel Salaün
L’information étant au cœur de l’économie actuelle, il est évident que toutes les activités et institutions qui s’y rapportent, bibliothèques et centres de documentation inclus, sont prises dans un mouvement qui oblige leurs responsables à prendre en compte ces données économiques et à répondre à leurs enjeux et défis. Par ailleurs, les services d’information sont également une partie prenante d’un second mouvement, très important et aux implications politiques, celui qui recentre les services sur l’usager. Comme le rappellent Florence Muet et Jean-Michel Salaün dans leur avant-propos : « Le mouvement de modernisation des services publics, tout en réaffirmant les missions à destination de la collectivité, fonde sa légitimité sociale sur le service effectivement rendu et la relation service. »
Ces deux éléments assurent une légitimité à la réflexion et aux méthodes du marketing appliquées aux bibliothèques et centres de documentation. Nos deux auteurs, tous deux enseignants à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, considèrent donc, à la différence du premier ouvrage, paru sous le même titre en 1992, qu’il n’est plus désormais nécessaire de justifier cette démarche, mais qu’il est temps de proposer et de détailler une méthode. « Ce nouveau livre se présente comme un manuel à destination des responsables de structures documentaires comme des étudiants, pour l’élaboration de stratégies de développement. »
Une approche pragmatique
L’ouvrage est donc un manuel. Il ne propose pas de grands développements sur l’utilité du marketing, sa défense politique ou économique, mais il offre une approche très pragmatique du marketing, dans son principe global d’orientation utilisateur, adapté aux services d’information. Le but recherché est de construire méthodiquement une technique permettant de prendre des décisions qui ne reposeraient plus que sur la simple opinion des responsables de service, ni même sur leur intuition, mais sur une connaissance et une analyse précises des situations.
Deux grandes phases ordonnent cette analyse marketing. La première permet d’aboutir à un diagnostic, présenté en termes de points forts et de points faibles, tandis que la seconde vise, à partir de l’ensemble des données collectées à construire des orientations possibles, à bâtir des stratégies conscientes et argumentées. Chacune de ces parties est construite de manière systématique : chaque chapitre présente une étape, qu’on peut lire de manière autonome, et qui offre les définitions et les tableaux nécessaires pour franchir cette étape. Il se termine par des outils opérationnels et offre, pour éclairer ces points, de multiples exemples illustrant les diverses situations qu’on peut rencontrer.
Par exemple, la phase initiale de collecte d’informations et de données suppose trois stades. L’analyse interne aborde l’organisation d’un point de vue statique et en fournit une photographie d’ensemble en étudiant successivement les moyens matériels et humains, les activités et la gestion d’un ensemble documentaire. L’analyse du public se fonde sur un postulat simple mais essentiel, qui affirme qu’il n’y a pas un public mais des publics faits d’individus ayant des besoins et des comportements différents. À ce niveau, il faut essayer de segmenter les usagers en catégories différentes, chaque segment correspondant à une demande spécifique et homogène. Le découpage selon des caractéristiques sociologiques doit être affiné par la prise en compte de caractéristiques informationnelles (les différents types de besoins et d’usages de l’information selon les utilisateurs) et comportementales (la manière dont les individus cherchent et sélectionnent les documents). Enfin l’analyse externe définit et étudie l’environnement du service d’information : les tutelles, les partenaires, les fournisseurs, la conjoncture. Chacune de ces étapes correspond à un chapitre, illustré d’exemples vivants (ainsi la segmentation est mise en relation avec des exemples qui rappellent « qu’un public peut en chasser un autre »), et s’appuie sur un vaste ensemble de tableaux proposant des critères (quantité, adaptation, évolutivité pour l’étude des moyens matériels) et un choix de questions possibles pour juger de ces critères. Des tableaux de synthèse, en fin de parcours, permettent de dégager les forces et les faiblesses principales pour chaque type de données, puis de construire un diagnostic d’ensemble.
Choix et stratégie
Vient alors la seconde phase, celle des choix et de la stratégie à adopter. Le premier chapitre de cette partie, intitulé « Missions et objectifs », nuance la démarche marketing : « Il serait risqué de mesurer les services d’information par leurs seuls résultats commerciaux. (…) Les services d’information documentaire n’entrent donc pas, sauf exception, dans la convention fondatrice du marketing, contrairement aux activités commerciales ordinaires. La question de la ou des missions doit alors être précisée. »
Ce chapitre illustre le souci des auteurs d’adapter la démarche du marketing à cet objet particulier que sont les bibliothèques et centres de documentation et, dans le même temps, de poser un certain nombre de questions dérangeantes. Florence Muet et Jean-Michel Salaün rappellent en effet qu’on aurait bien tort de croire à la pérennité ou à l’évidence d’une mission, définie une fois pour toutes et que, par ailleurs, une mission se traduit en objectifs concrets, réalistes et critiques.
Construire une stratégie suppose alors d’envisager trois questions : la définition du public cible de la bibliothèque ou du centre de documentation (qui reprend le travail de segmentation réalisé en amont), celle de l’offre de services et celle du positionnement ou, pour prendre d’autres termes, de faire le choix de stratégies clientèle, de stratégies produits, et de réfléchir à ce qui permet d’affirmer l’identité du service d’information. L’orientation stratégique définitive consiste alors à construire les divers scénarios mettant en œuvre ces choix, à les planifier et à prévoir leur financement.
Plusieurs scénarios sont, en général, envisageables. Les études de cas réunies en fin de volume le montrent bien, il n’y a pas de réponse univoque de développement. Reste que si « plusieurs possibilités de stratégies, parfois équivalentes, peuvent être élaborées (…) il faut bien n’en choisir qu’une, on ne peut suivre plusieurs chemins en même temps. Ce choix est négocié avec la tutelle ou la hiérarchie de la bibliothèque ou du centre de documentation. Il implique d’avoir chiffré les coûts et repéré les avantages et inconvénients des différents scénarios ».
Pratique, adapté aux institutions et aux situations auxquelles il est destiné, évitant le jargon ou l’emphase de certains manuels de marketing généraux tout en donnant les définitions et les outils nécessaires, ce manuel est bien l’outil qui manquait, sur cet aspect, aux professionnels de la documentation.