Les bibliothèques universitaires
évaluation des nouveaux bâtiments (1992-2000)
La question de l’évaluation des services de bibliothèques apparaît depuis plusieurs années comme l’une des questions essentielles qui jalonnent désormais les publications et les conférences. Plus rares sont les ouvrages entiers consacrés à des études de cas réels après mise au point d’une méthodologie précise définissant à la fois le champ de l’évaluation, les critères et le groupe d’évaluateurs. L’ouvrage publié sous la direction de Marie-Françoise Bisbrouck, avec le concours de la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, répond à ce type d’objectifs dans le domaine des constructions : contribuer à une évaluation fonctionnelle des bibliothèques universitaires réalisées depuis 1991 à la suite des préconisations du rapport Miquel.
Constitués en groupe de travail, les évaluateurs ont été sélectionnés parmi les bibliothécaires ayant au moins cinq ans d’expérience en matière de conduite de projet, à partir de quatre critères cumulatifs : avoir mis au point un programme détaillé de construction, avoir travaillé avec la maîtrise d’œuvre dans les différentes phases d’un projet, avoir suivi le chantier de réalisation, et enfin – ce n’est pas le moins important – avoir fait fonctionner le bâtiment après sa mise en service.
Des projets représentatifs
Se fondant sur les résultats détaillés d’une enquête par questionnaire, les membres du groupe de travail ont défini les critères d’analyse des opérations et soumis à une évaluation critique une trentaine de projets représentatifs. Jusqu’à quel point le projet final est-il conforme aux objectifs initiaux ? Quelles mesures de fréquentation et d’usages ont pu être effectuées ? Comment s’est déroulée l’appropriation des espaces par les usagers (public, personnel) ? Y a-t-il eu détournement de ces espaces par rapport aux usages prévus par les concepteurs ? Quel est le niveau de qualité de la réalisation du bâtiment ? Comment s’est déroulée la relation maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre ? Quels ont été les principaux chantiers d’accompagnement nécessaires (réorganisation des collections, nouvelle organisation des tâches, informatisation, etc.) à la bonne fin de l’opération ?
Les conclusions d’ensemble du groupe de travail font clairement ressortir de grandes tendances et le rapport s’avère un bilan sans complaisance du plan Université 2000. Du côté positif, la réponse du public à l’ouverture des nouvelles bibliothèques est sans ambiguïté. Elle se traduit par un accroissement très sensible de la fréquentation (plus de 50 % en moyenne) et par un plébiscite des collections en libre accès. Le groupe a constaté également une amélioration générale du cadre de travail des utilisateurs, conséquence du soin apporté à la qualité architecturale des nouveaux bâtiments. Enfin l’intégration urbaine des nouvelles bibliothèques fait aussi partie des éléments de réussite des programmes.
Du côté des critiques, on constate également une forte convergence des observations. La sous-estimation des espaces publics entraîne un déficit fréquent en collections disponibles et en places de lecture. Ce déficit s’accentue rapidement du fait du succès même des nouvelles bibliothèques. Les exemples foisonnent de collections intégrées au service commun de la documentation après la rédaction définitive du programme, si bien que la question des extensions se pose déjà dans nombre de cas. La trop faible prise en compte des nouvelles technologies se traduit par le nombre restreint de places équipées de postes informatiques (moins de 5 %) et même la part insuffisante de places connectables à un réseau (moins de 20 %), notamment en raison des restrictions financières apportées aux programmes de câblage des bâtiments.
Les aspects architecturaux
S’agissant des aspects architecturaux, l’abus des surfaces vitrées en façade ou en toitures est responsable de dysfonctionnements multiples : problèmes de climatisation ou d’étanchéité difficiles à maîtriser, ou encore d’occultation insuffisante de la lumière directe. Le dialogue souvent insuffisant entre les partenaires d’un même projet a pour résultat d’éloigner du projet ceux qui en seront les premiers utilisateurs, à savoir le personnel de la bibliothèque. Une certaine méfiance de la maîtrise d’œuvre, voire de la maîtrise d’ouvrage, justifiée par des considérations de délais ou de coûts se traduit par une concertation sommaire avec les bibliothécaires, mais aussi parfois avec l’université elle-même. Enfin les méthodes forfaitaires de prévision des coûts et de détermination des enveloppes financières ne sont pas exemptes de lacunes importantes : conséquences des contraintes d’un établissement recevant du public mal appréciées, absence de prise en compte de spécificités particulières des bibliothèques (isolation phonique par exemple), et surtout, difficulté générale à prendre en considération le coût réel des équipements.
On regrettera que, parmi les critères d’évaluation définis, n’aient pu être retenues – faute de données disponibles suffisamment complètes et homogènes – ni l’analyse comparée des coûts de réalisation, ni l’étude des méthodes de conduite de projet et du choix des procédures administratives. Quoique réévalués depuis quelques années, les systèmes de référence en vigueur masquent en effet les aspects économiques des constructions au profit d’une approche surtout financière et comptable. La notion d’évolution du coût moyen de construction d’une bibliothèque pour une région donnée reste à établir, de même en ce qui concerne le coût des équipements. La question des procédures administratives et financières n’est pas moins importante. Les auteurs abordent à plusieurs reprises le sujet, notamment à propos du phasage des opérations, sans en faire un thème d’analyse à part entière : ces procédures pèsent toujours dans les délais de réalisation et par voie de conséquence sur les coûts. Une analyse comparative portant sur les différentes formes d’exercice de la maîtrise d’ouvrage eut été extrêmement utile, d’autant plus que près de 70 % des chantiers observés ont été pilotés par des collectivités territoriales. Ces analyses comparées restent donc à conduire.
Clarté et rigueur
Ces réserves exprimées, l’ouvrage a été rédigé par Marie-Françoise Bisbrouck avec la clarté et la rigueur auxquelles elle nous a accoutumés. Les exemples précis abondent et sont illustrés par des plans et des photographies. Une série de tableaux synoptiques permettent de comparer les opérations réalisées. L’utilisation de la couleur facilite la lecture des données. Deux index, l’un thématique et l’autre géographique, et une bibliographie complètent ce document de référence, organisé avec soin comme un instrument de travail à l’usage des professionnels.
Au moment même où se préparent les constructions de bibliothèques universitaires prévues dans le plan U3M, l’ouvrage paraît à point nommé et les auteurs sont assurés de ce point de vue d’avoir fait œuvre très utile. On souhaiterait que ce document maniable et facile à utiliser soit désormais grand ouvert sur le bureau de tous les ingénieurs régionaux de l’équipement, architectes, programmistes, universitaires, bibliothécaires qui vont participer à la réalisation des projets de la décennie à venir.