Library Trends

Assessing Digital Library Services

par Yves Desrichard
ed. Thomas. – Library Trends, Fall 2000, 49 (2) 2001. Urbana-Champaign, Ill. : Graduate school of library and information science. – 169 p. ; 23 cm. ISSN 0024-2594 : 18,50 $

L’austère revue Library Trends, publiée par la Graduate school of library and information science de l’université de l’Illinois, a consacré son dernier numéro de l’année 2000 à « Assessing Digital Library Services », autrement dit à l’évaluation des bibliothèques électroniques – si l’on peut traduire ainsi l’expression digital libraries. Bien sûr, la diversité des thèmes et des points de vue abordés ne permet guère d’en faire (sinon trop rapidement) une synthèse, mais l’on peut quand même discerner quelques lignes de force dans la lecture des différentes interventions.

Enseignement et systèmes d’information géographique

Le premier article est consacré à l’ Alexandria Digital Earth Prototype, que ses promoteurs présentent comme un outil d’aide à la formation à distance des enseignants sur les systèmes d’information géographique. Sujet « pointu », mais avec lequel les rédacteurs de l’article ont le mérite de prendre leurs distances pour élaborer un questionnement plus général sur la mise en œuvre de tels outils. Ayant posé comme principe que « la pédagogie est plus importante que l’information », ce avec quoi l’on sera parfaitement d’accord, ils passent en revue les principes du bon succès de tels prototypes : il faut savoir poser les bonnes questions, mettre en forme avec soin les informations proposées, pouvoir répondre aux questions des étudiants et, donc les anticiper...

Bref, à partir d’un large corpus d’informations sous forme numérisée, il faut bâtir une ou plusieurs sessions de formation adaptées à une démarche d’enseignement. Mettant l’accent sur la nécessaire identification préalable des étudiants et de leurs besoins, voire de leurs manières d’apprendre, l’article laisse cependant le sentiment que l’évaluation du projet est largement prématurée par rapport à son développement, même si cette idée de « dossiers documentaires informatisés » non pour remplacer les enseignants, mais comme appui et comme outil pédagogique, est intéressante.

Le deuxième article évalue les services proposés par l’Internet Public Library, un service de questions/réponses un peu à la manière de celui que propose, à Paris, la Bibliothèque publique d’information. Hélas, l’article est essentiellement une compilation de chiffres, dont les auteurs ne se soucient guère de tirer des orientations générales ou, à tout le moins, hors d’une logique purement quantitative.

Heureusement, la contribution suivante, malgré son titre clin d’œil, se révèle l’une des plus passionnantes du recueil. « Bundles in the wild » étudie les processus de collecte et d’utilisation d’information dans un service de soins intensifs, dans le cadre plus vaste d’un travail sur la collecte d’ensembles d’information permettant de faire face à des situations critiques et nécessitant des réactions rapides de la part des responsables (opérations chirurgicales, pilotage d’avions, contrôle aérien). Il est rare de lire un compte rendu aussi pragmatique, fait sur les lieux mêmes « de l’action », avec les praticiens, médecins, infirmières, et autres, à partir de données collectées sur le terrain, des plus sophistiquées (résultats d’examens) aux plus improbables, comme les messy bundles, feuilles volantes utilisées par les médecins pour noter au vol des informations qui se révéleront peut-être indispensables à la survie d’un patient. On recense tout, des circonstances de production de ces documents jusqu’à leur usage selon le niveau des personnes impliquées. Aucun dogmatisme, aucun a priori didactique, bref une approche modèle pour une conclusion des plus roboratives : quelle que soit la qualité du système d’information, ce sont les experts qui, toujours, apportent la valeur ajoutée nécessaire à l’information.

L’article suivant est un délayage déjà lu mille fois sur les enjeux des digital libraries, mais il est là encore suivi d’une présentation passionnante, celle du « Perseus Digital Library », une bibliothèque électronique qui existe depuis 1987, et dont le contributeur propose une évaluation à la fois quantitative et qualitative. Dès 1989, les concepteurs du site s’étaient orientés vers le choix de SGML ce qui, à l’époque, témoignait d’une prescience peu commune. La base propose un ensemble de textes en grec, de traductions en anglais, et d’autres informations sur le monde grec ancien. S’y adjoignent des images, un atlas, une encyclopédie, bref une somme en ligne sur Homère, Eschyle et le monde et la civilisation grecs.

Dès le début, une évaluation régulière du projet a été planifiée, ce qui explique sans doute que l’article propose une approche très fouillée, très complète, très pertinente, et plus quantitative que strictement technique. On en retient que l’utilisation d’un tel site peut entraîner les meilleurs comportements (stimulation des étudiants, des enseignants) comme les pires (copie pure et simple d’articles par des étudiants trop pressés ou paresseux). Les auteurs promeuvent au passage la notion séduisante quoiqu’un peu illusoire d’electronic campfire, et l’on en retient quelques chiffres qui laissent rêveurs : 250 000 requêtes par jour, 30 000 liens faits à la page d’accueil, le tout pour... 10 millions de dollars d’investissement, oui, vous avez bien lu, près de 70 millions de francs ! Où l’on vérifie tous les jours que les moyens des universités américaines sont sans commune mesure avec les nôtres...

Évaluation de l’évaluation

L’article suivant étant consacré, si l’on traduit correctement, à la « méta-évaluation » des services en ligne, on craint le pire et, comme le disait le regretté Henri Jeanson, c’est pire. Interrogeant vaguement les relations entre le service de références d’une bibliothèque et le reste de l’établissement, l’auteur s’égare dans des considérations très générales et, de fait, s’attarde plus sur l’évaluation de l’évaluation que sur celle des services en ligne ! Il pense que la distinction entre le monde réel et le monde virtuel va s’effacer, ce dont on peut douter avant de passer à l’exposé suivant, un peu du même genre, mais plus solide et mieux structuré.

L’auteur y compare l’utilisation des bibliothèques électroniques par la communauté de la recherche, américaine et britannique. Soulignant que la durée d’un projet ou d’un service peut devenir l’un des critères majeurs de son évaluation – ce qui ne manque pas de sens dans l’univers de l’information en ligne –, il s’interroge sur le fait de savoir s’il vaut mieux centrer l’évaluation sur le système ou sur l’usager. À notre sens, la question ne vaut même pas la peine d’être posée, et c’est aussi la conclusion de l’auteur, même si là encore on en reste à des propositions très générales.

Enfin, à travers l’exemple de la National Gallery of the Spoken Word, la dernière étude met l’anthropologie au service des digital libraries. L’auteur ne craint pas de s’impliquer personnellement dans sa rédaction, et l’usage du « je », étonnant dans ce genre de contexte – et absent des contributions précédentes – est tout à fait stimulant. Il définit différents « pays », comme la bibliothèque, l’école d’ingénieurs à laquelle elle est rattachée, mais aussi des organismes extérieurs dont l’importance est considérable, comme la fameuse National Science Foundation, et ce que l’on pourrait qualifier de « tribus » parfois opposées : humanistes et techniciens (sic), locaux et nationaux (re-sic), expansionnistes et non expansionnistes, etc. Cette façon de s’interroger sur la ou plutôt sur les cultures auxquelles appartiennent les usagers pour mieux apprécier le service rendu est des plus intéressantes, loin d’approches chiffrées louables mais rébarbatives.

Et, dans le même esprit que les millions de dollars évoqués plus haut, on appréciera à sa juste mesure cette remarque incidente de l’auteur soulignant que, « dans une université de 43 000 étudiants, un don de 3,6 millions de dollars ne recueille pas beaucoup d’attention de la part de l’administration de l’université » (authentique, page 381). De fait, cela ne représente pas plus de trente millions de francs, somme négligeable en vérité ! On constate donc que, pour pleinement apprécier la livraison de Library Trends, il faut se placer d’emblée dans un contexte scientifique et économique bien différent de celui des bibliothèques françaises. L’ensemble rassemblé hésite entre les propos trop dogmatiques et des approches pointillistes pas toujours bien maîtrisées, mais une bonne moitié des articles est tout à fait nécessaire à qui veut maîtriser les embûches et les succès des digital libraries.