Pôles associés
Numérique et numérisation
Bertrand Calenge
Pour la cinquième journée réunissant les pôles associés à Paris le 21 mai dernier, la Bibliothèque nationale de France (BnF) avait choisi de tracer les perspectives offertes par l’information numérique. Sujet un peu vaste et parfois rebattu, qui offre l’avantage d’appeler des témoignages venus d’horizons variés, et l’inconvénient d’être un peu « fourre-tout ». La journée, qui avait attiré un grand nombre de personnes, n’échappa ni à l’un ni à l’autre, mais fournit à bien des égards une utile mise au point.
Tour d’horizon
La matinée fut consacrée à un balayage général des réalisations et coopérations dans le domaine du numérique, champ dans lequel la BnF est réputée pour son activité. Claude Jolly, pour la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, s’attacha au paysage universitaire, pour lequel le numérique est à la fois un objet essentiel d’approvisionnement documentaire et un outil de production d’information. Le développement de consortiums d’établissements pour l’abonnement à des périodiques électroniques est un fait majeur de ces dernières années, qui se heurte aujourd’hui à trois problèmes : la conformité au nouveau code des marchés publics, la multiplicité des initiatives non coordonnées de la part des instituts de recherche, et la question cruciale des modalités d’archivage à long terme. Du côté de la production, les initiatives fleurissent également de façon coopérative, que ce soit dans le domaine patrimonial (base d’enluminures médiévales 1 par exemple) ou dans un cadre plus général (Bibliothèque Rhône-Alpes d’information numérique). L’État lui-même apporte son concours propre, par l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES) et le Centre informatique national de l’enseignement supérieur (CINES) notamment, par des outils de formation (FORMIST), par des études (enquête en 2000 sur un corpus de 2 400 revues auprès de 6 établissements, en vue d’analyser la couverture documentaire en sciences exactes), et par des projets en cours d’arbitrage (diffusion numérique des thèses, portail d’accès à des revues en sciences humaines et sociales). Pour donner accès à ce foisonnement, les outils d’accès se multiplient, qu’il s’agisse des systèmes d’information documentaires des établissements, de portails thématiques spécialisés, ou bien sûr du système universitaire de documentation piloté par l’ABES.
Côté culture, Laure Cédelle, de la Direction du livre et de la lecture, souligna la variété des initiatives des bibliothèques municipales en matière de numérisation, mais aussi l’existence de multiples travaux dans d’autres secteurs, comme l’architecture, l’Inventaire, etc. Le ministère de la Culture travaille donc à la réalisation d’un vaste catalogue pluridisciplinaire présentant des fonds – et non des documents individuels – numérisés. Constitué au départ avec des notices réalisées par les directions de l’Administration centrale, ce catalogue pourrait être à terme alimenté par les établissements eux-mêmes 2.
Ce souci d’associer les différentes facettes de la culture se retrouve dans les programmes internationaux et particulièrement européens, qui encouragent les projets associant notamment bibliothèques, archives et musées. Élisabeth Freyre, de la BnF, présentant l’implication de la BnF dans ces programmes, décrivit particulièrement RENARDUS et NEDLIB : le projet Renardus 3 veut constituer un portail d’accès européen aux ressources scientifiques et culturelles d’Internet, le projet NEDLIB 4 – achevé en 2000 – a élaboré un modèle de dépôt des documents électroniques en vue de leur accès et de leur conservation à long terme.
La coopération internationale peut être le fait des bibliothèques elles-mêmes, et c’est ce que Suzanne Jouguelet, de la BnF, souligna en présentant le consortium RLG (Research Libraries Group) auquel la BnF adhère depuis octobre 1999 5. Ce consortium, qui réunit 160 adhérents (des grandes bibliothèques de recherche, mais aussi là encore des archives – dont la direction des Archives de France – et des musées) a constitué une base bibliographique de 100 millions de notices – 36 millions de titres – en 365 langues. Il héberge en outre des bases spécialisées (dont Hard Press Book, catalogue de livres du xve siècle à 1830, réalisé par le Consortium européen des bibliothèques de recherche-CERL, ou AMICO, base d’images des musées). RLG travaille en ce moment sur trois projets à l’horizon 2003 : le partage des ressources par fourniture à distance (programme SHARES), la conservation à long terme des documents numériques (programme PRESERV élargi), enfin, l’archivage numérique. Bien que piloté par des bibliothèques, RLG s’ouvre également aux autres acteurs du patrimoine culturel, puisqu’il développe un programme « Cultural materials alliance », qui vise à développer une base collective de documents de tous types, utiles pour la recherche culturelle.
Ateliers
Cinq ateliers permirent aux participants d’approfondir des questions particulières, et de découvrir qu’à travers des sujets aussi différents que les catalogues, les collections audiovisuelles, la fourniture à distance, la conservation, ou les interfaces de consultation, certains points revenaient de façon récurrente. D’abord le sentiment très net que nous nous trouvons dans une période de transition où il faut à la fois fonctionner selon des schémas éprouvés et aborder de nouvelles façons de faire : cela est flagrant lorsqu’on examine les compétences à l’œuvre, les bases à constituer, voire la question de la fourniture à distance – toujours nécessaire mais concurrencée par la question plus simple de l’accès à distance. Dans cette période de transition, où l’information primaire se distingue de moins en moins de l’information secondaire – mais où il faut envisager de recopier tous les 10 ans les mémoires numériques pour espérer les conserver –, quelques pistes se dégagent. D’une part la souplesse du numérique impose le respect d’un noyau dur de normes très précises, si l’on veut coopérer et échanger. D’autre part, le travail du bibliothécaire est appelé à devenir de plus en plus important : les gigantesques catalogues/bases en constitution réclament un véritable travail éditorial, et bientôt ces catalogues seront ou devront être des bibliographies, pensées, triées et commentées par les professionnels. Perspective stimulante donc, mais trop peu confrontée pendant cette journée aux contraintes des droits à négocier, et encore plus à l’énergie et aux budgets qu’il faudrait dégager pour hâter sa naissance, voire simplement l’accompagner. Or, la souplesse et la richesse de l’information numérique ont un coût financier et humain très important : peut-être de prochaines journées donneront-elles l’occasion d’en évaluer le poids.