Une politique d'acquisition pour une bibliothèque d'étude et de recherche
Valérie Travier
L’excellente monographie de Valérie Travier est une première en France. Outre les manuels, on dispose déjà sur le sujet d’articles divers, soit résumés des chartes documentaires d’établissements de recherche (Sorbonne, Bibliothèque nationale de France) ou d’étude (Bibliothèque Sainte-Geneviève), soit exposés sur des points particuliers (classifications, analyses de la demande, rapports entre les différents supports…). Mais il n’a encore jamais été donné à des professionnels de lire une étude de cas, où l’on peut suivre le cheminement de la réflexion d’un bibliothécaire chargé de développer les principes de constitution et d’acquisition d’un fonds documentaire.
Merci aux Presses de l’Enssib de publier in extenso (112 pages hors annexes) un tel exercice. Il se révèle fort instructif aussi bien pour des bibliothécaires peu au fait des enjeux de politique documentaire que pour des lecteurs plus avertis. Les premiers y trouveront un exemple très concret, puisqu’il s’agit des principes de reconstitution de la collection de lettres de la bibliothèque de Lyon 2/Lyon 3 détruite en majeure partie lors de l’incendie de juin 1999. Pragmatique au plan bibliothéconomique, l’étude n’abdique pas toute ambition théorique. C’est au contraire tout son prix. Elle réalise une synthèse inédite prenant en compte les fortes contraintes dues à la situation universitaire lyonnaise, avec une cartographie très précise des besoins des utilisateurs, tout en définissant une véritable offre documentaire (qu’est-ce qu’une collection de référence ? Que signifie « étude et recherche » ?). Elle prouve ainsi à l’ensemble de la profession qu’une dialectique bien menée entre demande et offre est praticable, et ne fait peur qu’à ceux qui préfèrent subir les prescriptions pas toujours cohérentes de leurs publics.
Pour des professionnels qui ont déjà eu ou ont à conduire une réflexion semblable, le mémoire de Valérie Travier est très stimulant. Réalisé dans un temps court dans un contexte difficile (rivalités des universités, bibliothèque traumatisée par le sinistre…), c’est une leçon de pragmatisme… politique : il nous indique comment coordonner des acquisitions et quelles méthodes ou outils de gestion documentaire proposer pour qu’il y ait un suivi et même une appropriation au sein de la bibliothèque au-delà de la commande. Rien ne manque dans ce travail (comparaison avec d’autres expériences, contexte de la recherche, typologie et limites de la collection, usage de l’interdisciplinarité, sans parler des abondantes et utiles annexes…), même si le temps imparti pour un mémoire d’Enssib entraîne quelques déséquilibres (appréciations parfois rapides dans les comparaisons ou sur la documentation électronique/numérique ; élaboration d’indices intéressants mais parfois un peu pointus).
On aura compris que c’est l’esprit plus que la lettre qu’il faut retenir de cette remarquable étude toute d’intelligence, écrite dans une langue limpide. Souhaitons que des cas d’école d’une telle qualité se multiplient, afin que l’on puisse disposer en France d’un corpus ambitieux bien nécessaire au développement des collections de bibliothèques.