Culture en prison

Sébastien Raimondi

Les rencontres « Culture en prison », organisées à Nîmes le 12 décembre 2000 par l’agence de Coopération pour le livre en Languedoc-Roussillon (CLLR) s’apparentaient à une réunion de travail. Leur but n’était pas seulement de faire un bilan, mais aussi de produire de nouvelles perspectives, avec notamment la signature prévue d’une convention réunissant la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), la Direction régionale des services pénitentiaires (DRSP) et la CLLR. Une collaboration institutionnelle exemplaire, qui entérine le rôle de l’agence de coopération comme force de proposition et comme « médiateur » institutionnel. La matinée fut consacrée aux intervenants institutionnels, et l’après-midi à la présentation d’expériences et de projets concrets. Les pauses et le repas furent avidement utilisés par les uns et les autres pour créer des contacts et échanger expériences et informations. De la même façon, tous les intervenants ayant assisté à la journée entière, de nombreux échanges concrets eurent lieu pendant les interventions.

Une collaboration interministérielle récente

Si la collaboration interministérielle justice-culture est à plusieurs reprises qualifiée de « solide et ancienne » par les intervenants, elle est tout de même plus jeune que d’autres, et va moins de soi : l’instruction est depuis 1975 dévolue au ministère de l’Éducation, les questions médicales au ministère de la Santé (comme de récents échos de scandale nous l’ont rappelé), et des partenariats sont mis en place avec les municipalités. C’est-à-dire que l’administration pénitentiaire a mené dans les trente dernières années une véritable « révolution culturelle » en déléguant aux autorités concernées différentes tâches ne relevant pas spécifiquement de son rôle premier.

La volonté politique de faire entrer la culture en prison – et notamment son fer de lance : la lecture – date des années 1970, et a connu ses principaux développements avec les travaux de la commission (informelle) Lang-Badinter en 1986 et le fameux « rapport Soulier ». En 1985 avait lieu le premier colloque international sur la culture en prison.

Des circulaires définissent les moyens statutaires et financiers dédiés à l’introduction de la culture en prison. Les bibliothèques sont évidemment concernées au premier plan, avec leur mission de s’adresser à tous. Celle de Nîmes est citée en exemple : Muriel Stiegler, « médiatrice du livre » de la bibliothèque Marc-Bernard (annexe de Carré d’art bibliothèque) y est détachée en quasi-totalité auprès du fonds de la bibliothèque de la maison d’arrêt de Nîmes. De nombreuses difficultés concrètes demeurent cependant, tant les deux mondes – la prison et la société civile en général, comme le montrent plusieurs rapports parlementaires, et la prison et la culture en particuliers – semblent étrangers l’un à l’autre. Par exemple, les limites territoriales ne se recoupent pas : le système pénitentiaire a son organisation propre, indépendante des limites régionales.

La situation générale des prisons est si difficile que les initiatives culturelles passent au second plan. Le volontarisme ministériel, les initiatives locales et les engagements personnels ne suffisent pas toujours pour combler le fossé qui existe entre les deux mondes : une lecture en prison prévue depuis des mois peut être annulée sans préavis pour des raisons liées à la sécurité interne de l’établissement pénitentiaire, et sans que ses responsables ne doivent se justifier... Jean-Pierre Michallet, animateur d’ateliers d’écriture à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, se verra demander ses papiers chaque semaine, invariablement pendant des mois, et n’entrera pas s’il a le malheur de les oublier une seule fois... Des contraintes rigides du côté des établissements pénitentiaires, une certaine difficulté, de la part des acteurs culturels, à se faire entendre par eux. La culture n’est pas la première préoccupation des directeurs de maisons d’arrêt. D’ailleurs, les crédits de subventions affectés à la constitution de fonds dans les bibliothèques ne sont pas utilisés dans leur totalité. Les moyens financiers existent, mais demeurent sous-utilisés, comme le fait remarquer Colombe Babinet, chargée de mission développement culturel à la Direction de l’administration pénitentiaire. Le Centre national du livre (CNL) peut aider les bibliothèques à créer des fonds thématiques. Même si ces aides ont avant tout pour but d’aider les éditeurs, en encourageant l’achat d’ouvrages à rotation lente, les dossiers fondés sur un projet de constitution de fonds pour un établissement pénitentiaire sont rarement rejetés. Seul problème : le CNL réclame le co-financement à 50 % du projet, et a des exigences fortes en termes de contenu du fonds et de suivi de projet (présence de personnel qualifié, intervention d’une bibliothèque de lecture publique, accès direct).

Une mise en pratique difficile

Même dans le cas de bonnes volontés réciproques des administrations culturelles et pénitentiaires, comme à Nîmes, d’autres problèmes se posent, qui rendent difficile la mise en pratique des projets. Un problème d’espace : où installer les livres (dans une petite pièce libérée pour l’occasion, dans un couloir, etc.) ? Un problème de fonctionnement : comment gérer leur roulement (accès libre, présence de personnel qualifié, désignation d’un détenu-bibliothécaire, formé par qui ?)... D’autres questions essentielles furent évoquées par Muriel Stiegler : à qui prête-t-on, de quelle façon (il lui arrive de prêter des ouvrages dans le couloir, quand la relative chaleur du lieu et sa présence ne suffisent pas à encourager les timides) ? Les livres sont-ils le meilleur moyen d’accès à la culture en général (concrètement, une offre culturelle élargie prend presque toujours le livre comme point de départ) ? Cette présence culturelle en prison ne comble-t-elle pas d’autres manques (déficits d’expression, manques affectifs), dont la « gestion » demanderait des compétences spécialisées ? Si la culture est considérée, au même titre que la santé, comme une nécessité vitale, alors le chemin à parcourir est encore long. L’engagement et l’enthousiasme des « pionniers » donnent en tout cas confiance dans l’avenir des projets à l’œuvre.

Quelques liens utiles :

http://www.ffcb.org (la Fédération française pour la coopération desbibliothèques, des métiers du livre et de la documentation publie la liste des missions de développement culturel en milieu pénitentiaire en région)

http://www.cllr.net (site de l’agence de Coopération pour le livre en Languedoc-Roussillon)

http://www.justice.gouv.fr/minister/mindap.htm (ministère de la Justice, présentation de l’Administration pénitentiaire)

http://www.agence-livre-auvergne.com/Prisons.htm (une mission en région : le site de l’Agence régionale pour le livre en Auvergne).