Bibliothèques publiques et nouvelles technologies
Combattre l'exclusion des « publics défavorisés »
Anne-Catherine Fritzinger
Un colloque intitulé « Bibliothèques publiques et nouvelles technologies : comment combattre l’exclusion des “publics défavorisés” 1 » a réuni à Lisbonne, du 11 au 13 octobre 2000, une quarantaine d’intervenants, originaires du Portugal, des États-Unis, d’Allemagne, de Suède, de Grande-Bretagne, de Hollande, du Mexique et de France (la bibliothèque municipale de Marseille).
Une gageure
L’organisation de ce colloque représentait à bien des égards une gageure, tant du point de vue de l’étendue du thème abordé que de celui de la diversité des communications et intervenants. Les co-organisateurs 2 de cette manifestation qui sont d’une part, la municipalité de Lisbonne (département de la Culture), et d’autre part, CITIDEP (Centro de Investigação de Tecnologias de Informação para uma Democracia Participativa), symbolisent à eux seuls à la fois les difficultés liées à l’ambition d’un tel programme et l’intérêt qu’il y a à aborder cette question sous un double point de vue, en l’occurrence celui du bibliothécaire, et celui du chercheur qui s’intéresse au rôle des nouvelles technologies de l’information dans le domaine de la participation publique et démocratique de tout citoyen.
En effet, CITIDEP, à l’initiative duquel ce colloque a été organisé 3, est avant tout un centre de recherche sur les technologies de l’information envisagées du point de vue du rôle qu’elles ont – ou auraient – à jouer dans une démocratie participative. Si cet organisme a souhaité s’associer aux bibliothèques municipales de Lisbonne pour le colloque de l’année 2000, c'est bien sûr très largement parce que la question de l’information (et des technologies de l’information) est centrale pour les bibliothèques, mais aussi parce que le projet de construction d’une nouvelle bibliothèque centrale à Lisbonne offrait une occasion intéressante pour reposer et repenser cette question. C'était également, sans doute, le moment pour quelques professionnels des bibliothèques portugaises de dresser un bilan relatif à certaines opérations d’informatisation et de modernisation dans les bibliothèques publiques portugaises.
La formation de l’usager
Compte tenu de l’ampleur du thème du colloque, les différentes communications proposées ont couvert des aspects multiples de la question des nouvelles technologies qui, si elle n’a pas toujours été abordée sous l’angle de leur application, usage et rôle dans les bibliothèques, a tout au moins été envisagée en tant que moyen, pour le « citoyen-usager » des bibliothèques, de s’approprier et d’être partie prenante dans le processus d’information. C'est pourquoi, pour une très large part, la question des technologies de l’information a été posée comme étant prioritairement celle de la formation de l’usager à ces technologies, dans le but de parvenir à une maîtrise des outils d’information, et d’être à même de les employer dans le cadre d’une participation directe.
Ainsi, la quarantaine d’interventions prononcées au cours de ces trois journées a plus particulièrement abordé les questions suivantes : la citoyenneté et l’exclusion sociale dans une société de l’information, l’auto-apprentissage, l’éducation et la formation continue, les services publics d’information en faveur des communautés, les accès à Internet et au courrier électronique pour les publics défavorisés, la numérisation et la diffusion du patrimoine culture, les missions de la bibliothèque publique et les nouveaux services.
Très souvent, ces interventions ont été une juxtaposition de ces diverses approches, plus qu’une tentative de les articuler : ainsi, les chercheurs impliqués dans le travail de CITIDEP se sont bien sûr tout particulièrement intéressés aux premiers aspects évoqués ci-dessus – la question de la formation et celle du rôle que pourraient et devraient jouer les nouvelles technologies dans un contexte démocratique de participation publique du citoyen –, tandis que les bibliothécaires ont davantage mis l’accent sur les nouvelles offres de services et possibilités de diffusion de l’information.
Une réflexion commune
Néanmoins, cette rencontre devait précisément permettre aux « deux parties » concernées, si l’on peut dire, d’amorcer une réflexion commune sur ce sujet. Si cela ne s’est pas toujours traduit dans des interventions ou dialogues, il est en revanche indéniable que l’ensemble de ce qui a pu être dit et évoqué ne pouvait qu’encourager à la réflexion sur les technologies de l’information dans les bibliothèques. Il s’agit, plus particulièrement, de s’interroger sur le rôle que les bibliothèques pourraient avoir à jouer dans la mise à disposition de ces technologies, dans la formation de l’utilisateur et, plus largement, dans leur exploitation et usage « démocratique » – auquel cas, la question rejoint plus globalement celle de la signification, des enjeux et de la fonction de la bibliothèque dans la société et les débats qui la traversent. Là également, les réponses des bibliothécaires à ces questions et leur manière de concevoir la fonction de la bibliothèque dans ce contexte, tout autant que le type de services devant être offerts aux usagers, exprimaient des préoccupations et hypothèses très diverses, traduisant peut-être autant de cultures des bibliothèques.
Ainsi, tel responsable d’une petite bibliothèque de la banlieue de Stockholm évoquait les « stratégies démocratiques locales » à l’œuvre dans la bibliothèque, en soulignant qu’un tel établissement se devait avant tout d’être à l’écoute des besoins et attentes des groupes et communautés qu’il dessert. Au contraire, François Larbre, directeur des bibliothèques municipales de Marseille, a relativisé à la fois la dimension sociale des bibliothèques et le rôle qu’elles auraient à jouer en termes d’apprentissage et de formation aux nouvelles technologies. Selon lui, la question centrale du point de vue du bibliothécaire reste celle de l’organisation des services et de l’offre documentaire : en proposant une offre de services adaptée, la bibliothèque devient l’établissement de celui qui se l’approprie et non la réponse aux besoins supposés ou exprimés d’une communauté particulière.
Enfin, certaines interventions ont également fait état des réflexions sur des projets (en cours ou à venir) de construction de bibliothèques : la future bibliothèque de Lisbonne, grand établissement culturel qui englobera également les archives et des salles de spectacles, la future bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR) de Marseille, ainsi que l’état des réflexions préliminaires à un éventuel projet de nouvelle bibliothèque à Stuttgart comme à Birmingham.