Bibliothèques départementales et développement local
Hélène Grognet
Du 13 au 15 novembre 2000 se sont tenues près d’Angers, au château du Plessis-Macé, les 14 es journées d’études de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP) 1. André Lardeux, président du conseil général a souligné, outre la beauté indéniable du site, sa place dans la politique culturelle du département : lieu d’accueil pour le festival du théâtre d’Anjou, lieu de découverte pour les scolaires. Le thème des journées d’études étant « Bibliothèques départementales et développement local », il était tout à fait judicieux selon lui de les tenir en Maine-et-Loire, un département qui oeuvre en faveur de réseaux intercommunaux et de conventions d’animation culturelle dans le cadre des pays.
Une question de premier plan
Martine Blanchard, directrice de la bibliothèque départementale de prêt (BDP) d’Eure-et-Loir, présidente de l’ADBDP, a reconnu que le thème n’était sans doute pas original, de nombreux congrès et colloques l’abordant ces temps-ci, mais a rappelé que la question de l’intercommunalité se posait avec une acuité toute particulière pour les BDP dont les actions sont enracinées dans un territoire de proximité. Pour l’ADBDP, l’État doit plus que jamais réaffirmer son rôle : une loi sur les bibliothèques devrait garantir la cohérence de la lecture publique. Pour Michel Clément, directeur régional des Affaires culturelles (Pays-de-Loire), l’intercommunalité est une question de premier plan, et la dimension des services culturels y est essentielle, particulièrement en ce qui concerne l’enseignement musical et la lecture publique. Les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) s’emploient à développer les partenariats, avec des conventions tripartites État/collectivités/structures intercommunales.
La Direction du livre et de la lecture (DLL) travaille en liaison étroite avec l’ADBDP : des réunions régulières feront suite notamment aux travaux entamés à Eymoutiers (Limousin), en mai 2000, lors du séminaire annuel de la DLL et des conseillers livre et lecture, consacré au monde rural. Par ailleurs, arrivera prochainement à la DLL une bibliothécaire qui sera spécifiquement chargée du suivi des BDP et qui sera leur interlocuteur privilégié.
L’État, même si quelques problèmes de bâtiments subsistent çà et là, a transmis aux conseils généraux des équipements en ordre de marche, et ceux-ci ont fait fructifier cet héritage à des degrés variables. Les dépenses d’investissement des départements sont passées de 90 MF en 1993 à 114 MF en 1999, et certains prévoient des constructions nouvelles (Bouches-du-Rhône, Hérault) de façon plus rapide que prévu. De ce fait, le taux d’aide au titre du concours particulier en faveur des départements a tendance à baisser (un peu plus de 30 % depuis 2 ans). Cette évolution ne doit cependant pas freiner les efforts consentis. L’intercommunalité va générer de nouvelles répartitions dans les rôles respectifs des bibliothèques municipales et des BDP : certaines de ces dernières interviennent déjà dans les villes de plus de 10000 habitants, des médiathèques intercommunales existent (La Rochelle), des annexes de BDP jouent le rôle de bibliothèques municipales (BM).
Ce phénomène se développe dans le contexte d’une structuration de la lecture publique qui s’est effectuée par strates : agences de coopération, pôles associés de la Bibliothèque nationale de France (BnF), bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR). On voit déjà se dessiner certaines évolutions : réflexions sur la nécessité d’articuler les équipements entre villes-centres et villes périphériques (Rennes, Amiens), exemples de dépassement des cadres administratifs (une seule BDP pour la Savoie et la Haute-Savoie, réflexion sur la liaison avec un équipement universitaire dans les Hautes-Pyrénées). Enfin, la DLL travaille à la révision de la circulaire relative au concours particulier, dont la rédaction actuelle, en termes de calcul des m 2 à atteindre par rapport à la population, est un frein aux projets intercommunaux. Soucieuse d’associer les professionnels à ses travaux, elle a dernièrement organisé une réunion sur ces thèmes avec des directeurs de BM, et en prévoit une autre avec l’ADBDP début 2001.
Véronique Chatenay-Dolto, directrice-adjointe à la DLL, a ajouté que la réflexion se poursuivait au sujet d’une loi sur les bibliothèques, à laquelle reste attachée Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication. Certains participants ont répété leurs inquiétudes sur plusieurs sujets : le droit de prêt (comment les hypothèses actuelles – soit un paiement à l’achat accompagné d’une contribution forfaitaire calculée sur le nombre d’usagers – tiennent-elles compte des petites bibliothèques rurales, gratuites, tenues par des bénévoles, et fragiles ? Comment les collectivités vont-elles pouvoir supporter ces charges supplémentaires ?), le plafonnement des rabais aux collectivités (le problème ne se situe-t-il pas également au niveau des relations entre éditeurs et libraires ?), le concours particulier (nécessité de calculer différemment les taux).Véronique Chatenay-Dolto a redit la volonté de la DLL de travailler à des hypothèses et à des simulations qui tiennent compte de ces paramètres et qui ne soient pas pénalisantes pour la lecture publique.
Réflexions théoriques
Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS, partenaire de l’Observatoire des politiques culturelles, a ensuite introduit quelques réflexions théoriques, tirées d’une étude menée sur les politiques culturelles de sept communautés d’agglomérations. D’une manière générale, la loi Chevènement de 1999 pose un cadre national homogène, mais qui se décline en fait différemment selon les situations locales, et l’on va d’une position autoritaire de la ville-centre au consensus le plus abouti, en passant par le souhait d’une réflexion étayée par des études, des conventions… Les maires des villes-centres, leaders des agglomérations, ont un rôle capital : ils savent donner du sens, et ils sont la garantie de la manière dont vont se répartir les charges financières. Les agglomérations déclinent la compétence optionnelle « Équipements culturels et sportifs » d’une manière très variée : archéologie, médiathèques, art contemporain, musiques actuelles… Les options prises sont liées à l’histoire, et la culture est un domaine fort pour le démarrage des agglomérations. Il faut noter que la notion d’intérêt communautaire est un élément flou, et que seule une agglomération a essayé de définir comment un projet pouvait être d’intérêt communautaire.
Les acteurs sont différemment impliqués. Alors que les élus, de façon homogène, veillent aux équilibres territoriaux, notamment dans le péri-urbain, les milieux culturels, en fait peu intégrés dans les processus, réagissent différemment selon leurs intérêts : le milieu associatif et amateur est à l’écart même de la simple information, les grandes institutions sont très liées aux leaders déjà cités. Un même décalage s’observe chez les partenaires institutionnels : les conseils généraux ressentent les communautés d’agglomérations comme une menace sur le plan culturel, notamment quand l’agglomération redessine son territoire d’une manière plus large que dans le district précédent ; les régions, qui financent finalement largement les politiques des villes, sans les influencer, s’intéressent plus aux pays. Quant aux DRAC, elles vivent les communautés d’agglomérations comme l’occasion de poser des conventionnements stables.
Trois modèles semblent émerger : le premier où la problématique n’est que la réduction des charges de centralité, la communauté d’agglomération étant vue comme le moyen de faire payer les grands équipements centraux à une base de population plus importante. Dans le deuxième, la communauté définit une politique culturelle, sectorielle ou non, dont elle assume le projet et la mise en oeuvre. Quant au troisième, que l’on pourrait qualifier de plus démocratique, mais qui n’est pas actuellement effectif, il pose comme principe que la communauté d’agglomération est d’emblée compétente pour tout, mais qu’elle délègue à la commune ce pour quoi elle est la plus efficiente. L’enjeu est clairement le péri-urbain, à la démographie galopante, et aux disparités énormes (de 1 % à 10 % du budget municipal consacré à la culture).
L’état actuel de l’intercommunalité culturelle
L’ADBDP, pour préparer ces journées, a tenté, au moyen d’une enquête menée en juin auprès de ses adhérents, d’observer l’état actuel de l’intercommunalité culturelle. Didier Guilbaud, directeur départemental des bibliothèques et de la lecture en Touraine, en a rapporté les conclusions que l’on retrouvera plus détaillées dans un prochain numéro de Transversales. Contentons-nous ici de relever deux points :
– la réflexion des communautés d’agglomérations autour d’un réseau de lecture publique avec des communes de moins de 10000 habitants est une porte d’entrée pour les BDP ;
– les incidences, jugées plutôt positives, de l’intercommunalité sont des créations d’emplois, des budgets plus importants, une meilleure implication des communes, la rationalisation de la desserte, la restructuration des missions en direction des réseaux (prêt, expertise, expertise accompagnée de services…).
Guy Dupré, chargé de mission « Pays » au conseil général d’Ille-et-Vilaine, avait accepté la tâche aride de présenter les cadres techniques, juridiques et financiers de l’intercommunalité. Restituer tous les éléments ferait double emploi avec les informations disponibles dans divers ouvrages ou articles du Journal des Maires, de La Gazette des communes … Rappelons simplement que nous sommes le dernier pays européen à ne pas avoir opéré sa révolution intercommunale, que la loi Chevènement a introduit des éléments financiers extrêmement incitatifs et que peuvent se superposer différentes formes d’intercommunalité.
Plusieurs directeurs de bibliothèques départementales de prêt, accompagnés d’élus et de bibliothécaires du réseau ont présenté leurs expériences et le fonctionnement au quotidien des équipements intercommunaux.
En Saône-et-Loire, c’est dès 1985 que se sont créées des bibliothèques intercommunales. Aujourd’hui, le réseau est composé de 57 bibliothèques intercommunales, avec 154 bibliothèques dans des communes associées et 127 bibliothèques municipales-relais. Des conventions règlent précisément l’engagement de chacune des parties, en termes de desserte, de budgets, d’animations… et prévoient également les « divorces » possibles !
En 1999, le recrutement d’un emploi-jeune chargé de la mise en réseau des bibliothèques a permis de réaliser un bilan plutôt positif remis en octobre 2000 : la circulation des informations fonctionne bien ; celle des documents s’effectue majoritairement à partir des bibliothèques intercommunales vers les relais ; dans 44 % de ceux-ci, il y a au moins une personne ayant bénéficié d’une formation ABF, et la tarification commune est bien respectée. Les difficultés se situent au niveau des acquisitions et des catalogues partagés.
En Mayenne, la politique culturelle du département s’est appuyée sur un schéma culturel à dix ans, établi sur la base d’états des lieux – 1993 : Plan Musique et Danse ; 1996, Plan Lecture ; 1998, Plan Cinéma. Le conseil général se positionne comme coordonnateur par rapport à l’intercommunalité et la DRAC est étroitement associée. Le réseau de lecture publique s’appuie sur les pays et se structure autour de trois échelons : les têtes de réseau, les bibliothèques-relais, les points-lecture. En douze ans, seize postes ont été créés par les pays.
En 1992, a été conçu en Moselle un nouveau programme de médiathèques annexes (Nilvange et Bitche pour l’instant) qui relaient l’action de la BDP en offrant un vaste choix de documents (20000 au moins en permanence contre 2000 dans un bibliobus). Le point fort est le partenariat étroit, financier et technique, entre la commune et le département : chacun est responsable, il n’y a pas d’assistanat, et la BDP se positionne à côté des médiathèques, pas devant elles.
Enfin, l’Ille-et-Vilaine – en la personne d’Annie Dourlent, directrice de la BDP, et de Jean Pihan, de l’université de Rennes – a présenté une étude sur la mise en place de médiathèques de pays, reposant sur la conjonction d’une « antenne déconcentrée » de la BDP et d’une médiathèque ouverte au public, sur la base d’un projet défini en concertation entre le département, le pays et la commune d’implantation.
Approches diversifiées
Dans le souci de diversifier les approches, l’ADBDP avait programmé une intervention sur l’intercommunalité dans le domaine de la musique, par Stéphane Carpentier, directeur de l’Association départementale de développement de la musique (ADDM) en Maine-et-Loire.
L’ADDM se veut trait d’union entre les structures intercommunales, très développées dans ce département, les institutions (DRAC) et les artistes. Le premier propos de l’ADDM est de clarifier les aides existantes : en effet, le conseil général subventionne les pays sur des conventions d’objectifs (écoles de musique, spectacle vivant, diffusion…), ainsi que les structures importantes (festivals, ADDM…). Il octroie des aides à la création pour les musiciens, plasticiens… et passe des conventions d’objectifs (actions en milieu scolaire, en milieu rural…) avec l’Orchestre régional… Si l’on ajoute que les équipements subventionnés par la DRAC ont aussi des missions de développement culturel, et que le conseil régional peut également être partenaire, on aboutit à un paysage assez complexe. Parfois même ambigu : le conseil général ne finance pas les amateurs, mais il peut subventionner un pays qui développe des actions où parfois vont figurer des pratiques d’amateurs. Autre problème, le chevauchement des dispositifs : le conseil général aide au fonctionnement d’une structure qui va travailler à un projet de résidence avec un pays, qui sera lui-même aidé à ce titre. Enfin, si chaque pays met en place son action, il y a un risque évident de « balkanisation ». Le réseau des écoles de musique doit se restructurer autour des communautés de communes et des pays : les écoles seront aidées si leur subvention principale est intercommunale. L’ADDM, à la demande du conseil général, travaille à un plan de formation, à des programmes de résidences à l’échelle de trois ou quatre pays, et à une requalification de l’offre en terme de spectacle vivant.
Enfin, Jean-Yves Pineau, agent de développement employé par une association, en Indre-et-Loire, est venu montrer comment les acteurs d’un territoire pouvaient porter un projet de développement. À partir du diagnostic établi sur un collège d’une baisse prévisible des effectifs et d’un double constat, celui d’une crise dans une zone rurale située au Nord de Tours et du manque de volonté politique de développer une intercommunalité, s’est constituée une association dont l’objectif était de regrouper des acteurs locaux (économiques, associatifs, personnes morales et particuliers) pour monter un projet de re-développement de ce territoire composé de quatorze communes, dont la plus importante avoisine les 1700 habitants. Ce territoire désorganisé est devenu un espace de projet, dont l’identité s’est cristallisée autour de son appellation Pays de Racan. Ont été créés une Maison de Pays, une saison touristique, des opérations de valorisation des produits et des patrimoines locaux, un festival de musique (Les Bucoliques), et l’association a soutenu la formation continue des acteurs avec l’appui du collège, ainsi que l’accompagnement de projets. Aujourd’hui, le Pays de Racan existe (il figure dans les guides Gallimard). La réussite économique est indéniable, ainsi que la réussite culturelle avec la création de deux autres associations, l’une portant sur les musiques actuelles, l’autre, La Maison des Écritures, qui organise des résidences d’auteurs, des lectures, des randonnées littéraires, des animations autour du conte… et dont le rayonnement s’étend jusqu’à la Sarthe. Christiane Pollin, du Centre national du livre, a pu, entre deux interventions, discuter avec les participants sur les aides octroyées par le CNL.
C’est Anne-Marie Bertrand, chargée de mission à la DLL, qui a effectué la synthèse de ces journées, auxquelles étaient présents 140 congressistes, représentant 60 BDP, et l’inspection générale des bibliothèques. Ce fut pour elle l’occasion de donner les principaux résultats d’une étude toute récente, et non encore diffusée, de la DLL sur l’évolution des BDP, à partir des rapports quantitatifs des années 1985, 1990 et 1995: l’augmentation des moyens est constante, mais moins rapide depuis la décentralisation ; les modes d’action des BDP ont commencé à changer avant la décentralisation ; l’écart entre les établissements s’est réduit (on passe d’un rapport de 1 à 8 avant la décentralisation à un rapport de 1 à 4 ou 5 après la décentralisation).