Pédagogie et lecture(s) à l'université

François Lapèlerie

Les besoins réels en information des étudiants des premiers cycles universitaires sont essentiellement tributaires des contenus de l’enseignement, mais aussi des méthodes d’enseignement et de contrôle des connaissances. De plus, les étudiants ont une approche étroitement utilitariste des études supérieures, qui limite encore plus leurs demandes de documentation. Les bibliothèques universitaires ne semblent plus offrir ce que veulent les étudiants, sans doute par manque de crédits adéquats, mais aussi à cause d’une appréciation inexacte des besoins. Quelques solutions sont étudiées pour tenter de « faire lire » les étudiants de premier cycle…

The real information needs of students during their first (two) years at university are essentially dependent on the content of the lectures, but also on the teaching methods and assessment. On the other hand, students have a narrowly utilitarian approach to higher education, which limits even more their requests for material. University libraries no longer seem to offer what students want – undoubtedly through lack of adequate funds, but also because of an incorrect appreciation of their needs. Some solutions are explored aimed at tempting these first and second year students to “get down to reading”.

Der eigentliche Informationsbedarf von Universitätsstudenten während der ersten zwei Studienjahre lässt sich hauptsächlich von den Lehrinhalten, aber auch von Lehr- und Prüfungsmethoden bestimmen. Andrerseits nähern sich die Studenten dem höheren Studium mit einer fast ausschliesslich utilitaristischen Einstellung was ihren Informationsbedarf weiter begrenzt. Die Universitätsbibliotheken scheinen nicht mehr anzubieten als das was die Studenten verlangen, ohne Zweifel aufgrund unzulänglicher Mittel aber auch wegen mangelnder Kenntnis der Bedürfnisse. Der Artikel untersucht einige Möglichkeiten die Studenten der ersten zwei Studienjahre “zum Lesen zu bringen”.

Las necesidades reales en formación de los estudiantes de los primeros ciclos universitarios son esencialmente tributarios de los contenidos de la enseñanza pero también de los métodos de enseñanza y de control de los conocimientos.Además, los estudiantes tienen un enfoque estrechamente utilitarista de los estudios superiores, lo que limita aún más sus demandas de documentación. Las bibliotecas universitarias ya no parecen ofrecer lo que quieren los estudiantes, sin duda por falta de créditos adecuados, pero también a causa de una apreciación inexacta de las necesidades. Se estudian algunas soluciones para tratar de “hacer leer” a los estudiantes de los primeros ciclos.

Qu’arrive-t-il donc aux étudiants de DEUG (Diplôme d’études universitaires générales) ? On constate un taux d’échec très élevé à cet examen, variable certes selon les disciplines, mais toujours inquiétant 1. Quelle en est la cause ? Le niveau ? L’enseignement ? Les moyens mis à la disposition des étudiants ? Le bibliothécaire ne peut pas ne pas se poser la question, puisqu’il est impliqué dans ce processus de diffusion de la culture sanctionné par un diplôme.

Certes, personne ne peut avoir la prétention de résoudre en quelques pages ce problème ardu qui se pose depuis très longtemps. De nombreux excellents esprits s’y sont en effet frottés, ont proposé et mis en oeuvre des solutions, avec un résultat, semble-t-il, très relatif, puisque, à mode de calcul identique, la tendance ne semble pas s’inverser.

Le bibliothécaire peut cependant se demander si, toutes choses égales, il n’a pas une part de responsabilité dans cet état de fait. Il n’est pas, bien entendu, responsable de la modicité des crédits qui lui sont attribués, mais il peut, en comparant la situation française avec celle de pays mieux lotis, se demander quelle pourrait être sa contribution 2.

Le niveau

La cause serait-elle le niveau ? La formulation est ambiguë : est-ce à cause du niveau – trop faible – des étudiants, ou du niveau – trop élevé – des études ? Tout est dans la façon de voir le problème : on en jugera en fonction de ses convictions ou de son expérience.

Ce qui est certain, c’est que l’on peut entendre des lamentations à la fois sur le niveau intellectuel et sur le niveau de connaissances des étudiants. Encore faut-il savoir si c’est la constatation d’une réalité ou la répétition d’une complainte rituelle, à l’image de ce qu’on a pu mettre à jour dans l’enseignement secondaire. Baudelot et Establet ont en effet pu constater que « le niveau monte », contrairement à ce qu’on entend souvent (1).

Qu’en est-il dans l’enseignement supérieur ? Il n’est pas question de faire une vaste enquête sur le niveau moyen des étudiants accédant à l’université en l’an 2000, mais simplement de comparer ce que certains ont pu dire des étudiants il y a quelques années. Une enquête, qui se trouve avoir pratiquement 50 ans, est très instructive à ce sujet. En 1952, la revue Esprit fit paraître un numéro spécial intitulé Les étudiants (2). Que peut-on y lire ? Pratiquement les mêmes lamentations sur le (catastrophique) niveau des étudiants. Dans l’article « L’enseignement en accusation », le chapitre « Les professeurs ont la parole » semble avoir été écrit aujourd’hui malgré son demi-centenaire.

Le niveau des étudiants ? Constatation négative d’un professeur : « Le niveau des jeunes étudiants, je veux dire de ceux qui viennent de passer leur baccalauréat, me paraît en moyenne nettement faible. Ils manquent d’une bonne formation secondaire, et, plus encore peut-être, d’une bonne formation primaire (orthographe incertaine, rédaction floue, peu de précision et d’exactitude dans l’esprit). Certains … sont dans l’impossibilité à peu près complète de s’exprimer soit par écrit soit oralement. »

Curiosité d’esprit ? Un professeur de droit est impitoyable : « Les étudiants appliquent les méthodes en vigueur dans l’enseignement secondaire et copient servilement les cours qui leur sont dictés, pour pouvoir les ressortir intégralement aux examens. » Un autre professeur abonde : « Ils sont très scolaires. »

Les méthodes de travail ? J.-W. Lapierre, professeur à Aix-en-Provence n’est guère plus charitable : « J’insisterai davantage sur une critique moins courante et pourtant importante : les jeunes gens qui sortent de l’enseignement secondaire ne savent pas travailler personnellement. Ils y ont pris l’habitude d’une attitude purement passive et réceptrice… Ils ne savent pas travailler par eux-mêmes. Ils manquent des principes de méthodes les plus élémentaires. Ils ne savent pas comment s’y prendre, se noient dans une bibliographie ou une documentation. »

Dure « constatation » d’une absence de savoir, de savoir-faire et de méthode. Le portrait pouvait difficilement être plus accablant, puisque la revue Esprit ne peut citer de témoignage inverse.

Force est cependant de constater que cette génération si décriée, qui entra à l’Université en 1950, ne s’est pas, par la suite, si mal tirée d’affaire 3… Si, à 50 ans de distance, entre une époque où l’université élitiste et sélective de fait (sinon de droit) n’accueillait que 140000 étudiants (139533 exactement au 31 juillet 1951), et une époque où l’université démocratisée en accueille près de 2000000, on lit exactement les mêmes critiques, on peut se poser des questions sur les critères utilisés.

Les besoins documentaires

L’enseignement et les moyens mis à la disposition des étudiants ? Les deux sont également liés : l’enseignement est tributaire des moyens mis à la disposition des étudiants et les moyens humains et matériels conditionnent l’enseignement lui-même. Et les bibliothèques figurent parmi les moyens mis à la disposition des étudiants. La bibliothèque universitaire remplit-elle son rôle d’auxiliaire auprès des étudiants de premier cycle ? Pour répondre à cette question, il faut au préalable cerner les besoins en information de ces utilisateurs de la bibliothèque.

Les besoins documentaires des chercheurs scientifiques ont été abondamment étudiés, parce que cela est relativement aisé. Le chercheur étant une créature douée de raison, son comportement est donc prévisible : en fait, ses besoins doivent être rationnels, simples pour ne pas dire simplistes et, par voie de conséquence, faciles à satisfaire, à condition d’avoir de l’argent pour le faire. Et aussi, certainement, parce qu’il est plus noble d’étudier l’espèce chercheur que d’étudier ou de tenter d’étudier l’espèce étudiant, qui semble avoir un comportement irrationnel, et dont les besoins et les pratiques ne semblent pas correspondre à ce qu’on serait en droit d’attendre d’une espèce semble-t-il trop idéalisée.

On a étudié assez souvent les lectures étudiantes (3), ce qui n’est pas exactement la présente problématique et qui, de toute façon, conduit à se poser aussitôt d’autres questions, en négatif si on peut dire : quelles sont les non-lectures étudiantes, puisque l’étudiant est souvent accusé de ne pas avoir lu ce qu’il aurait dû lire, ou de ne pas lire ce qu’il devrait lire, ou de ne plus lire du tout (on entend même : sait-il (encore) lire ?), et aussi, pourquoi ne lit-il pas ?

Quand on étudie les lectures étudiantes, on constate telle ou telle pratique : si on n’a pas l’explication de cette pratique, l’intérêt de cette constatation sera assez restreint ou du moins très relatif. Si on ne veut pas chercher à innover et si on décide de se conformer à ce que l’on découvre, cette démarche sera tout au plus utile à définir des choix d’acquisitions mimétiques.

Essayer de découvrir les besoins de lecture(s) et trouver le pourquoi de ces besoins permet de se poser des questions fondamentales sur l’utilité des bibliothèques, sur l’éventuelle nécessité de réformer les bibliothèques, et même sur celle de voir exister des bibliothèques universitaires destinées aux étudiants de 1er cycle.

Un enseignement magistral

Qu’est-ce qui, de façon sous-jacente, définit les besoins de lecture ou, plus largement, d’information des étudiants ? À l’évidence, ce sont les programmes qui définissent le contenu des besoins. Si la biologie cellulaire est au programme de la première année de Deug, les étudiants auront besoin d’information sur la biologie cellulaire. Cette constatation ne nous informe pas sur le type de présentation souhaitable. Mais au-delà des programmes, ce sont les méthodes pédagogiques et le type de contrôle des connaissances qui définiront plus précisément le contenant et parfois même le contenu. Sur ce point on en arrive à ne plus savoir si ce sont certaines méthodes pédagogiques qui ont conduit à certains types de contrôle, ou si ce sont ces types de contrôle qui ont, au contraire, impliqué ces méthodes pédagogiques, voire déterminé le contenu de l’enseignement...

D’autres contraintes pèsent aussi sur les pédagogues : le grand nombre d’étudiants de 1er cycle, le faible nombre d’enseignants et le manque de locaux 4.Toutes ces contraintes obligent à un enseignement magistral, en amphis, parfois (ou souvent) surchargés, où l’étudiant comprend ce qu’il peut, sans avoir avec les enseignants 5 les rapports qui seraient nécessaires. Les TD (travaux dirigés) et éventuels TP (travaux pratiques) qui accompagnent les cours magistraux ne peuvent en aucun cas pallier les insuffisances théoriques ou ce que le cours magistral n’a pu faire assimiler. Le cours magistral, à l’origine tradition universitaire, devient aussi le moyen d’opérer la « sélection scolaire honteuse que pratiquent les universités françaises » (4), conséquence de la pénurie de moyens, de locaux et d’enseignants. Or chacun sait que l’enseignement magistral en amphi n’est pas le type d’enseignement idéal, et ce quel que soit le public, qu’il soit étudiant de 1 re année de 1er cycle ou de 3 e cycle. Il n’est pas le meilleur moyen de développer l’autonomie des étudiants. Un enseignement uniforme, ex cathedra, supposé s’adresser également à tous, c’est-à-dire jusqu’à 400, 500 ou 600 étudiants, ne s’adresse plus en fait à personne, et prolonge et caricature les pratiques scolaires de l’enseignement secondaire (5). Cela conduit l’étudiant à rechercher ailleurs une information déjà synthétisée, prédigérée, « mcdonaldisée » 6.

Le contrôle des connaissances

Le contrôle des connaissances lui aussi s’adapte à ces conditions particulières. Le grand nombre des étudiants pousse à des contrôles souvent peu adaptés, de fait destinés à prolonger ou à rendre plus efficace la sélection par la pénurie. Très récemment encore, le travail personnel était exclu pour des raisons évidentes d’impossibilité matérielle 7.Le contrôle des connaissances prend alors la forme d’épreuves sur table inadaptées, de simples questionnaires, de QROC, quand ce n’est pas de plus en plus souvent de QCM 8.Or le QCM est le système de contrôle des connaissances le plus incongru et le plus parfaitement antinomique à l’enseignement supérieur. La pratique du QCM conduit les enseignants à adapter le cours à la forme de l’examen, c’est-à-dire à une fragmentation des connaissances, à une absence d’esprit de synthèse et une négligence de l’expression.

On voit cependant certains professeurs tenter de donner de la place au travail personnel ou en groupe dès le 1er cycle. Cette pratique permet de développer l’autonomie des étudiants. Ces derniers peuvent avoir à traiter un sujet nécessitant collecte d’information, réflexion, esprit de synthèse et souci de l’expression écrite. Mais cette pratique ne peut être que réduite, étant donné les effectifs étudiants.

De son côté, l’étudiant de 1er cycle immergé dans ce milieu n’a qu’un but : obtenir son partiel, son diplôme de fin d’année, son DEUG, au moindre prix. Ce n’est pas dénigrer la gent étudiante que de faire cette constatation : le principe du moindre effort est un principe qui régit toutes les activités humaines. Pour éviter cette expression qui a une connotation un peu péjorative et qui semble porter un jugement moral défavorable – moindre effort étant alors assimilé à paresse –, on peut avoir recours à des expressions plus nobles relevant de la stratégie : l’étudiant ajuste les moyens aux fins pour obtenir le résultat désiré. Il ajuste donc son effort intellectuel, moral et financier à l’objectif, qui est d’obtenir son diplôme 9. Et naturellement, sauf exception, aucun étudiant n’ira au-delà de ce qu’il est nécessaire d’acquérir : le niveau presque minimal requis de connaissances, sous une forme efficace, standardisée, prévisible, toutes caractéristiques de la « mcdonaldisation » 10.

Les manuels

Les besoins en information découlent de ces conditions d’apprentissage et de contrôle des connaissances. L’offre des bibliothèques universitaires françaises correspond- elle aux besoins ? Les bibliothèques françaises fournissent essentiellement des manuels, quelques abonnements de niveau étudiant, et des aides diverses, variables selon les disciplines et les enseignants 11. Depuis peu, en France, Internet s’est ajouté aux sources d’informations mises à la disposition des étudiants.

On s’aperçoit que cette information ne correspond pas forcément aux attentes des étudiants. Étant donné la pédagogie universitaire, l’étudiant souhaite trouver une information en phase directe avec le cours et le contrôle des connaissances. Il a plusieurs besoins. Il peut vouloir comprendre ce qu’il n’a pas éventuellement compris : le cas est fréquent. Ce qu’il veut alors, ce n’est pas un manuel qui expliquerait le programme de l’année dans telle discipline. Retrouver la (plus ou moins grande) partie non comprise d’un cours suppose un effort très important : trouver un manuel, rechercher dans ce manuel ce qui n’a pas été compris, lire un ou plusieurs chapitres pour n’en retenir que la partie recherchée. En général, cela est trop demander : l’effort est trop grand pour le résultat obtenu. L’étudiant de 1er cycle préfère souvent renoncer.

De plus, l’étudiant a recours au manuel comme substitut total du cours. L’assiduité au cours magistral n’est pas obligatoire et les statistiques qu’on a pu faire des cours réellement suivis sont éloquentes. Il arrive aussi de plus en plus fréquemment qu’un enseignant « s’inspire » de très près d’un manuel pour son cours magistral (ce qui est une manifestation supplémentaire du désintérêt des enseignants pour l’enseignement en DEUG).L’étudiant cherche donc à le découvrir, et ce manuel devient le substitut du cours magistral : l’étudiant peut ainsi se croire dispensé d’assister auxdits cours magistraux. Avec pour conséquence qu’il photocopie systématiquement les pages ou chapitres utiles.

Plus généralement, le manuel est le manuel prescrit par l’enseignant. Déjà l’enseignant amoindrit la curiosité d’esprit chez l’étudiant en limitant a priori les lectures prescrites par un choix trop limité de documents. On voit alors des étudiants repartir de la bibliothèque sans rien emprunter, s’ils ne trouvent pas le manuel conseillé par le professeur. Souvent ils n’ont même pas la curiosité de rechercher et de trouver un autre manuel qui contiendrait la même information. Le type de manuel que l’étudiant souhaiterait serait à la rigueur du genre « La collection qui vous ouvre la porte des grandes écoles », comme les PUF ont sous-titré (très sérieusement) leur collection « Major » !

Les substituts du cours

En fait, ce que l’étudiant souhaiterait trouver à la bibliothèque, c’est le polycopié du cours, soigneusement compilé et corrigé, si possible par le professeur, ce qui présenterait de nombreux avantages. Il aurait le cours, en version « autorisée » (comme on a pu le dire de certaines biographies), contenant exclusivement le minimum vital sur lequel porterait l’examen. L’étudiant devient un consommateur, terme déjà vu plus haut, caractéristique de notre époque, qui recherche le produit le plus adéquat, le plus « mcdonaldisé », à son problème de consommation. Il faut ajouter que certains professeurs se prêtent à ce système et fournissent leur cours, quand ce n’est pas un salmigondis de cours et de photocopies (illégales) de pages de manuels et d’articles, sorte de « maxi-polycopi(ll)é », dans lesquels ces mêmes professeurs prétendent voir « de la valeur ajoutée » (sic), comme cela m’a été très sérieusement dit. Cela est corroboré par une demande constante des étudiants : avoir à disposition à la bibliothèque les « annales » des examens des années précédentes, si possible corrigés, comme cela se faisait et se fait encore pour le baccalauréat. Certains éditeurs se sont fait une spécialité de publier ces annales corrigées. Certaines bibliothèques universitaires ont même été jusqu’à mettre en ligne ou sur cédérom ces précieux documents pour en faciliter l’accès. Ce qui permet d’améliorer encore plus le bachotage, la primarisation de l’enseignement supérieur.

L’utilisation d’Internet a-t-elle modifié cet état de choses ? La réponse est sans doute à nuancer selon les disciplines, mais l’influence d’Internet sur le 1er cycle est encore très faible en France : la pédagogie privilégiant le cours magistral au détriment du travail personnel et du travail de groupe n’incite pas l’étudiant à re-chercher ailleurs ce dont il a besoin, comme on l’a vu. Et cela d’autant moins que l’information en langue française accessible sur Internet et susceptible d’intéresser les étudiants de DEUG est d’un accès très difficile, noyée dans des masses d’informations inutiles. Troisième raison qui limite le recours à Internet : le très faible nombre de postes mis à disposition des étudiants et la très mauvaise formation des étudiants à l’utilisation de cet outil, pour ne pas parler du déficit collectif surprenant des connaissances générales en informatique des étudiants, même scientifiques.

La lecture étudiante

Dans ces conditions, peut-être la bibliothèque universitaire ne répond-elle pas dans sa forme actuelle à ce que les étudiants attendent d’elle. Que faut-il faire ? Se lamenter ? Quand on remonte tant soi peu dans le temps, on s’aperçoit que c’est un discours récurrent. Par exemple, sous le titre qui donne une impression de déjà-vu : « Comment faire lire les étudiants ? », Livres Hebdo fait en 1992 le compte rendu d’une manifestation fort intéressante. Des « Journées de la lecture étudiante » furent organisées, à Royaumont, du 7 au 10 juillet 1991 par la toute nouvelle Mission de la lecture étudiante de la DPDU (Direction de la programmation et du développement universitaire), sous la direction d’Emmanuel Fraisse. Le programme ? Lutter contre la baisse de la lecture étudiante et « constituer un réseau interprofessionnel pour enrayer ce phénomène » (6). Tout le monde, « bibliothécaires et enseignants, chercheurs et étudiants, éditeurs, presses d’universités et libraires », s’accorda pour « confirmer un appauvrissement inquiétant de la demande en livres des étudiants ». Les séminaristes de l’abbaye de Royaumont purent entendre ensuite d’importantes personnalités, comme Daniel Renoult, Serge Eyrolles, Evelyne Pisier, directeur du livre et de la lecture de l’époque. Qu’en est-il resté ? Rien de durable, semble-t-il, si ce n’est « quelques semaines d’animation autour du livre » dans une vingtaine d’établissements… Il semble bien que l’on remette l’ouvrage cent fois sur le métier sans que pour autant des solutions soient trouvées.

L’enseignement supérieur aux Etats-Unis

On peut aussi se demander : que se passe-t-il dans d’autres pays, mieux lotis, au moins financièrement ? Peut-on y apprendre quelque chose ? Le cas des États-Unis par exemple est intéressant, pour deux raisons : les moyens financiers des universités et donc des bibliothèques y sont notoirement plus importants qu’en France, malgré les difficultés récentes, et l’utilisation d’Internet s’y est développée et a atteint un niveau remarquable depuis déjà longtemps, y compris chez les étudiants des deux premières années. On peut donc se demander si pédagogie, contrôle des connaissances et Internet dans un milieu plus favorable peuvent donner de meilleurs résultats.

Aux États-Unis, l’enseignement supérieur se subdivise en undergraduate et graduate. Le 1er cycle ou undergraduate dure 4 ans 12 : il est sanctionné par le grade de Bachelor. Le cycle supérieur ou graduate comporte deux grades : le Master’s degree, qui s’obtient en moyenne en deux ans et le PhD, ou doctorat, en au moins trois ans. Le 1er cycle a souvent lieu dans des « colleges » (publics ou privés), qui ne vont pas au-delà, ou dans des universités. Le 2 e cycle n’est en général préparé qu’à l’université. Les États-Unis comptent plus de 3500 établissements d’enseignement supérieur. Sur ce chiffre, plus de 2000 n’offrent que le grade de Bachelor. Parmi les autres, la Carnegie Foundation for the advancement of teaching a, en 1994, classé 88 universités en « Research I » et 37 en « Research II ». Ces universités sont les meilleures universités, qui, tout en délivrant le grade de Bachelor, se consacrent en priorité à la recherche 13.

L’enseignement undergraduate est-il différent du nôtre ? On sait que les établissements d’enseignement supérieur aux États-Unis sont concurrentiels et sont classés selon leur excellence. Mais on a découvert récemment des choses surprenantes. Une commission, appelée Boyer Commission (7), du nom de son défunt président, a étudié la qualité de l’enseignement undergraduate et a dénoncé la piètre qualité des conditions de travail, de l’enseignement et de la pédagogie dans les universités de recherche, donc des universités d’élite. Ce Rapport a entraîné de nombreux articles d’enseignants approuvant ses conclusions (8). Certaines de ces critiques semblent sorties de publications françaises…

Les term papers

Aux États-Unis, de la high school à l’université en passant par le « college », la pédagogie n’est pas la même qu’en France. L’enseignement y est beaucoup moins magistral à la fois par méfiance du discours théorique, solide tradition de pragmatisme, et par souci d’efficacité : un des grands principes de l’enseignement aux États-Unis est l’expérience personnelle. Le travail et l’initiative individuels des élèves et des étudiants sont primordiaux et cela dès la première année.

Les « assignments » y sont plus nombreux qu’en France et le term paper, sorte d’essai, scientifique ou littéraire, joue un rôle essentiel. Plusieurs fois par an, au cours de chaque cycle (term) d’enseignement, les étudiants se voient attribuer des sujets précis qu’ils doivent traiter sous forme de « papier » (d’où l’expression term paper). Cette pratique suppose un effort personnel important de la part de l’étudiant. Il doit faire une bibliographie sur son sujet, lire les documents qu’il a trouvés, réfléchir et rédiger un travail personnel de synthèse, selon une norme, soit propre à l’établissement, soit plus généralement internationale (APA 14, MLA 15, Chicago 16, Turabian 17, etc.), et le présenter en utilisant au minimum un traitement de texte, et, dans de nombreux cas, des logiciels complémentaires (tableurs, statistiques, illustrations, etc.). Le term paper peut comporter, selon que l’étudiant est dans une high school, au « college » ou à l’université, de 3 à 50 pages ou plus. Toutes les matières sont concernées, les sujets sont très variés et selon le niveau d’étude peuvent aller du plus simple au très complexe.

Pour l’enseignant, le term paper est un moyen d’évaluation complet de l’étudiant. Il permet de contrôler ses capacités d’auto-information en bibliothèque, ses connaissances, son esprit de synthèse, ses qualités d’expression et sa maîtrise des logiciels informatiques utilisés.

On voit immédiatement la place essentielle qu’occupe la biblio thèque dans cette pédagogie. Elle est la source d’information des étudiants, qui ne peuvent pas ne pas la fréquenter. Cette pédagogie très active suppose donc un effort personnel intense, tellement intense même qu’en application toujours de la loi du moindre effort, certains ont cherché les moyens de se fatiguer le moins possible.

Le plus simple de ces moyens consiste à copier ce qui a déjà été rédigé sur le sujet à traiter, et, si possible, le texte même d’un term paper ancien, sans bien entendu le citer. Ce qui est tout à la fois une manifestation de paresse intellectuelle, un cas de plagiat et donc une fraude caractérisée. Il y a en effet une certaine différence entre lire des livres, des articles de revues et des encyclopédies et en faire une synthèse, à condition de mentionner le cas échéant par la note appropriée une éventuelle citation, et recopier un texte tout fait en le faisant passer pour son travail personnel.

La génération couper-coller

Internet a aggravé la situation. On s’est aperçu depuis longtemps aux États-Unis de certains effets pervers négatifs d’Internet, qui, pour certains, l’emportent largement sur les effets positifs en pédagogie. Il n’y a plus appropriation de l’information, mais psittacisme.

Dans le meilleur des cas, les élèves et les étudiants recherchent des sites comportant des informations, qu’ils n’essaient même pas d’assimiler ni de transformer en savoir pour pouvoir répondre au travail de synthèse qui leur est demandé. Au mieux, ils ne font qu’un centon de citations, souvent sans même citer leurs sources, dans l’espoir que l’enseignant n’y verra que du feu. C’est ce que certains ont appelé la génération couper-coller (« cut and paste generation »). On se croirait revenu à la logosphère, pour reprendre le vocabulaire médiologique de Régis Debray (9), donc à l’avant-imprimerie, où l’élève se contentait de recopier les grands auteurs et d’apprendre par cœur les commentaires de ses maîtres, sans la moindre réflexion, ni étude critique…

Le pire est bien sûr arrivé. Des sociétés ont donc vu le jour qui proposent, gratuitement ou souvent moyennant finance, des sujets tout traités… Ce qui n’est ni plus ni moins que du plagiat. L’étudiant dispose, en ligne, des sujets classés par discipline, et peut télécharger le texte correspondant à son sujet. Une recherche « term paper » sur Internet fournit des dizaines de sites 18. Sous des titres volontairement provocateurs, sont ainsi disponibles plusieurs dizaines de milliers de term papers.

Le comble n’est pas encore atteint. Sur Inforocket 19, les étudiants mettent à prix leurs sujets. Les candidats rédacteurs proposent leur texte et l’étudiant choisit celui de la personne qui proposera le meilleur rapport qualité-prix.

Pour pallier ce plagiat et cette tricherie généralisée, des sociétés ont créé des programmes informatiques qu’elles vendent aux universités ; ces programmes permettent de détecter les plagiats et donc aux enseignants d’agir en conséquence avec les plagiaires 20.

Ce problème de plagiat et de fraude, qui est à l’opposé de l’appropriation d’un savoir, est extrêmement grave aux États-Unis (10). Des universités ont intenté des actions en justice contre ces sites : actions qu’elles ont perdues, bien sûr… au nom de la liberté d’accès à l’information (11). Internet n’est pas forcément l’outil pédagogique que certains pouvaient imaginer. Loin de susciter la curiosité intellectuelle, il peut favoriser paresse et plagiat.

Les réponses des bibliothécaires

Que proposent les bibliothécaires ? Sur ce point précis, on peut constater sinon un divorce entre les bibliothécaires et les enseignants, du moins une absence de dialogue. Le problème du « cyber-plagiarism » ou du « computer-aided cheating » ne semble pas avoir atteint les bibliothécaires. D’un côté on peut lire dans les revues professionnelles des articles très satisfaits de bibliothécaires qui décrivent les services informatisés exceptionnels qu’ils proposent à leurs étudiants, sans évoquer le problème ; et il faut consulter les revues consacrées à l’enseignement ou simplement les quotidiens pour prendre la mesure du problème et lire les critiques les plus sévères des enseignants à l’égard d’Internet.

Plus généralement, les bibliothécaires apportent plusieurs réponses. D’un côté, une réponse théorique, qui apparaît dans les « policies » 21 écrites des universités concernant les bibliothèques. La lecture de ces policies est assez décevante. Elles se contentent souvent d’affirmer de grands principes ou des tautologies assez curieuses. On pourra se reporter à certaines de ces policies accessibles sur Internet, ainsi qu’au texte de certaines conférences (12).

Les généralités sont du type : « We provide quality services and resources that are responsive to the needs of our primary users » (Purdue), sans définir quels sont ces besoins…

Ce qui est inspiré des Guidelines de l’ACRL (Association of College and Research Libraries) : « Undergraduate libraries acquire and provide ready access to information resources that meet the needs of their primary clientele… »

« To provide undergraduate level information resources in electronic format » (Texas University), sans préciser quoi ni pourquoi.

À ce niveau des policies, les bibliothèques se gardent bien de prendre des positions claires. En particulier, malgré le titre très avant-gardiste de son programme : « Undergraduate library services in the 21st century », l’université du Maryland se contente de prévisions plutôt prudentes. On peut lire par exemple : « Libraries of the future will be a blend of electronics and print », « Electronics will not replace print resources », ce qui est une belle prophétie qui ne nous avance pas beaucoup.

L’écrit de la policy semble en deçà des réalisations et ne pas s’être mis en phase avec elles. En effet peut-être faut-il aller directement visiter les bibliothèques elles-mêmes (13).

Un nouveau concept s’est fait jour pour l’undergraduate library, celui d’information commons 22. Carla Stoffle, doyenne des bibliothèques de l’université de l’Arizona (Tucson) a été parmi les premières à mettre en oeuvre ce concept. Stoffle a créé un nouveau service complet : « Nous sommes en train de construire un centre d’apprentissage (learning center) intégré, qui se connectera à la bibliothèque par ce que nous appelons“information commons”… Il remplacera notre service de référence traditionnel. La moitié des 600 places auront une workstation. Ce ne seront pas seulement des bibliothécaires qui travailleront dans ces “communs”; pour nous, ce sera le centre d’information du campus. Des informaticiens seront là, avec aussi du personnel chargé d’enseignement, pour être tuteurs et aider à la rédaction. Les étudiants auront la possibilité de travailler ensemble autour d’un écran, ou en groupe autour d’une table. Ils auront la possibilité d’apporter leur propre ordinateur portable et de travailler avec… Le bibliothécaire (sera) un partenaire actif des enseignants dans la création des cours – pour le contenu. Nos bibliothécaires passent plus de temps à travailler avec les enseignants, à développer le curriculum… » 23. L’exemple arizonien n’est qu’un exemple parmi bien d’autres aux États-Unis et au Canada.

Est-ce la solution, non seulement aux problèmes des bibliothèques, mais aussi à la crise qualitative de l’enseignement undergraduate ? L’avenir le dira, mais l’expérience semble intéressante. Elle suppose cependant des moyens financiers adéquats, une coopération faculté/bibliothèque exemplaire, des bibliothécaires de qualité, spécialistes de disciplines académiques et non pas polyvalents et pluridisciplinaires… Toutes ces conditions ne permettent pas d’en envisager une application en France dans les conditions actuelles.

Un futur incertain

Que peut-on faire déjà sans rêver ? On comprend que la bibliothèque n’est que le reflet de l’université qu’elle dessert, que ce soit au plan très local d’une université donnée, ou plus largement, au niveau national. La qualité du service offert par les bibliothèques aux étudiants de DEUG n’est aussi que le reflet de l’intérêt que portent les universités à ces étudiants. Or, souvent, l’enseignement est sacrifié à la recherche ; les enseignants n’étant pas récompensés de l’investissement qu’ils font, ou qu’ils pourraient faire. Une conséquence est la pression qu’exerce l’université sur la bibliothèque pour favoriser a priori la documentation de recherche au détriment de la documentation pédagogique, quelle qu’en soit la forme 24. Ce qui a pour résultat de négliger cette documentation. De plus, en cas de difficultés financières, la documentation étudiante devient la variable d’ajustement du budget (par exemple, si le dollar, qui sert à payer près de 50 % des périodiques scientifiques, augmente de 20 % une année, ce sont les sommes consacrées aux étudiants qui diminueront d’autant).

Si ces problèmes sont résolus, la question reste cependant entière. À certains types de pédagogie et de contrôle des connaissances correspondront toujours les mêmes demandes des étudiants. La bibliothèque doit-elle les satisfaire, même si ces demandes ne correspondent pas à ce que le bibliothécaire imaginait, dans sa naïveté de prosélyte de la culture générale désintéressée ? Ou faut-il tenter de changer les méthodes pédagogiques pour que les besoins des étudiants changent ? Ce serait certainement encore plus naïf.

Faut-il tenter, dans l’un ou l’autre but, de s’appuyer sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication ? Certes, mais s’il y a des certitudes, il y a aussi encore plus de questions sans réponses.

Prédire le futur est parfois risqué, peut engager dans des impasses par excès de futurisme ou… le contraire 25. Par exemple, lors des journées « Universités 2000. Quelle université pour demain ? », qui eurent lieu à la Sorbonne du 26 au 29 juin 1989, Olivier Duhamel, professeur à l’université de Paris I, présida la table ronde consacrée au thème : « Méthodes d’enseignement de l’an 2000 ». Et, en matière de haute technologie, pour ce groupe de travail et cet enseignant, « la modernisation des locaux » se résuma à : « bibliothèques, photocopieuses et machines à traitement de texte » (14)… Programme futuriste pour l’an 2000 !

Internet et pédagogie

Le souhait d’accéder aux NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) est ambigu. S’il s’agit de permettre aux étudiants de DEUG d’accéder sans discernement au web mondial, on peut se demander s’il s’agit d’un progrès. Outre la perte de temps induite, l’accès à ce qu’on a pu appeler « le tout-à-l’égout mondial » n’est ni formateur ni instructif. S’il s’agit d’accéder par Internet à de nouveaux moyens pédagogiques, ciblés et construits rationnellement en vue d’une progression des connaissances et utilisant des techniques spécifiques, beaucoup reste à faire. Les exemples n’abondent pas de sites congruents à la pédagogie du premier cycle.

Certains peuvent être, à l’égard d’Internet, comme les Grecs de l’Antiquité qui manifestaient la plus grande méfiance à l’égard de l’écrit, après l’invention de l’écriture alphabétique. Socrate raconte, dans le Phèdre de Platon, que le dieu Theut fit don de l’écriture au roi Thamous. Or l’écriture, dit Thamous, n’est qu’un instrument de paresse et d’illusion ; l’écrit est une parole morte, une parole de l’oubli. Et Thamous réplique ainsi à Theut : « Quant à la science (procurée par l’écrit), c’est une illusion, non la réalité que tu procures à tes élèves. Lorsqu’avec toi, ils regorgeront d’une information abondante sans avoir reçu d’enseignement, ils se croiront compétents en mille choses, au lieu que la plupart du temps ils sont dénués de tout jugement ; et ils seront en outre insupportables, parce qu’au lieu d’être savants, c’est savants d’illusion qu’ils seront devenus. »

Les dangers sont nombreux. L’exemple américain nous démontre qu’Internet peut être le pire des outils, favorisant plagiat et paresse chez une « cut and paste generation ». Or nous n’échapperons pas à cette évolution. Un organisme a commencé il y a peu de temps à proposer ce genre de service aux étudiants français. Ce site s’inspire des term paper mills américains 26. Il est désolant de voir certains journaux, y compris Le Monde 27, se réjouir de l’apparition de ce genre de site.

L’utilisation de l’écran peut être une bonne chose si l’écran n’est pas un leurre destiné à masquer la pénurie en locaux, en enseignants, en bibliothécaires et en moyens (bibliothèques par exemple) et à faire des économies sur ces postes. En effet la relation personnelle est essentielle dans l’acte d’enseignement. Platon avait déjà démontré, il y a fort longtemps, que le maître et la relation au maître sont essentiels, à côté de l’écrit (15). L’écran ne doit pas non plus masquer le désintérêt des enseignants- chercheurs pour la pédagogie. L’écran peut en effet être un écran qui montre quelque chose, mais il peut aussi au contraire faire écran.

Des manuels multimédias interactifs

Il faut donc créer un nouveau type de manuel multimédia interactif, au service des étudiants, qui allie ce que souhaitent les étudiants qui veulent avant tout obtenir leurs diplômes, tout en essayant de les hisser un peu plus haut. Il s’agirait d’une solution alternative mettant en jeu la diffusion traditionnelle de l’information et sans doute aussi le manuel traditionnel. Ce service offert aux étudiants du 1er cycle se rapprocherait ainsi de la bibliothèque numérisée qui existe déjà pour le chercheur.

Ce manuel pourrait être créé par des enseignants aidés de bibliothécaires (ce qui rejoint les projets des « information commons ») : en effet, les enseignants ignorent souvent les méthodes de travail et les lectures des étudiants. Et il pourrait éviter le circuit commercial, créant des presses universitaires virtuelles.

À défaut, il serait possible de numériser et de rendre accessible à tous les étudiants de 1er cycle les textes et manuels ou chapitres de manuels essentiels, ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord et la rétribution des éditeurs commerciaux, et qui n’est pas impossible.

Dans tous les cas, les étudiants pourraient les consulter puis les télécharger sur des e-books personnels, dont il faudrait créer un modèle peu coûteux. Les étudiants pourraient avoir ainsi en permanence durant une année universitaire les textes dont la lecture serait requise. Ce qui ressemble au cartable électronique déjà réalisé par un éditeur pour les élèves de l’enseignement primaire. Peut-être sera-t-on ainsi conduit à modifier la structure des bibliothèques d’étude si les manuels de base sont numérisés et si les étudiants disposent d’un livre électronique.

Une offre complémentaire est également déjà possible à peu de frais. Plutôt que de diffuser des polycopiés plus ou moins exacts, il est possible d’enregistrer sous forme numérique les cours des enseignants, au moyen d’une simple webcam, et ensuite de les diffuser sur le réseau. Les étudiants auraient ainsi la possibilité de revoir, à discrétion, soit le cours entier, soit les passages qu’ils ont eu des difficultés à suivre.

Cela suppose bien sûr, et en premier lieu, l’accord des enseignants, ce qui est l’obstacle majeur. D’autre part, et d’un point de vue technique, cela suppose à la fois un serveur qui aurait de très grosses capacités de mémoire et un réseau à très large bande passante.

Ces perspectives ne sont pas très futuristes. Une entreprise privée américaine de Houston au Texas, Questia, annonce un service documentaire 28. Pour 360 dollars par an, un étudiant pourra se connecter à une bibliothèque universitaire digitale, qui pourra faire concurrence aux bibliothèques traditionnelles. Questia offre même un service visant les bibliothécaires. En ce qui concerne la diffusion, à volonté, des cours sur le réseau, c’est déjà fait dans de nombreux pays. Aux États-Unis, des regroupements d’universités sont en train de constituer des banques de cours produits par leurs meilleurs professeurs. L’accès à certains de ces sites est encore gratuit : lorsque les étudiants auront pris l’habitude de les consulter régulièrement, ces sites seront payants. La concurrence va devenir effective entre enseignants et entre pays, nécessitant une remise en cause des pratiques de chacun.

En France, « l’université du troisième millénaire » vient de voir le jour qui offrira un service complémentaire à l’université pour les étudiants de toutes disciplines. U3K 29« ne se substitue pas aux universités. Notre site est conçu comme un outil de révision permettant d’optimiser la préparation aux examens », indique Frank Attar, président du directoire d’U3K, répondant ainsi à la préoccupation utilitariste des étudiants.

Les nouvelles technologies vont donner une occasion de commercialiser l’enseignement supérieur, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’à présent, d’en faire un bien de consommation, qui répondra à la demande des étudiants. Le nouveau terme anglo-saxon « educommerce » est significatif (16).

Cette constatation n’est pas éloignée des préoccupations des bibliothécaires : des produits documentaires packagés destinés aux étudiants de 1er cycle peuvent voir le jour. Les bibliothécaires comme les enseignants ont une occasion à saisir rapidement.

  1. (retour)↑  On peut calculer ce taux d’échec de différentes manières, de façon à le maximiser ou le minimiser, selon ce que l’on veut démontrer. L’essentiel est toujours d’indiquer le mode de calcul retenu. On peut le calculer par rapport aux effectifs des étudiants inscrits à l’université ; ce qui maximise le pourcentage. On peut le calculer par rapport aux étudiants qui ont régulièrement suivi les travaux dirigés (ce chiffre est contrôlable) ; ce qui minimise le pourcentage. Et on peut le calculer par rapport aux seuls étudiants qui se sont présentés aux examens ; ce qui minimise encore plus les résultats. On a pu constater, en première année, des taux largement supérieurs à 50 % par rapport aux effectifs inscrits. Des taux comparables sont atteints dans d’autres pays, en Belgique par exemple.
  2. (retour)↑  Ces réflexions concernent surtout les bibliothèques scientifiques, mais peuvent sans doute être étendues à d’autres disciplines.
  3. (retour)↑  Cette constatation peut laisser des doutes. Si on en croit les théories de Bourdieu et Passeron sur « la reproduction » dont l’université serait l’instrument (à son insu ?), le tableau aurait dû au contraire être idyllique. En un temps où seuls les représentants des classes aisées, détentrices de la culture, avaient de fait accès à l’université, où la sélection se faisait par l’argent et le niveau social, les étudiants auraient dû avoir un niveau tout autre que le niveau décrit : on se serait attendu au contraire à un niveau collectif très élevé, reflet du niveau de culture des classes privilégiées ayant accès à l’université. Or il n’en est rien : le tableau pouvait être difficilement plus critique et plus négatif.
  4. (retour)↑  Cela doit bien entendu être relativisé. Par exemple le taux d’encadrement des étudiants varie d’une discipline à l’autre. En général, le taux d’encadrement dans une faculté de sciences est largement supérieur au taux d’encadrement dans une faculté de lettres. Sans que pour autant les résultats de 1er cycle soient proportionnels aux taux d’encadrement.
  5. (retour)↑  Pour de nombreux enseignants, enseigner en 1er cycle est presque déchoir, ou à tout le moins un pensum, dont ils cherchent à se débarrasser le plus rapidement possible. La qualité de l’enseignement s’en ressent nécessairement.
  6. (retour)↑  On connaît la thèse de George Ritzer, qu’il a exposée dans son livre célèbre : The Mcdonaldization of Society. An Investigation into the Changing Character of Contemporary Social Life, revised ed. Pine Forge Press, 1996.
  7. (retour)↑  Le Ministère a déjà mis en oeuvre les travaux personnels encadrés (TPE) au lycée, malgré les réticences des enseignants. Arrivera bientôt à l’université une génération qui aura été habituée à cet équivalent des term papers et ne pourra qu’être très surprise par l’enseignement à l’université.
  8. (retour)↑  Le QROC est le Questionnaire à réponses ouvertes courtes ; le QCM, le Questionnaire à choix multiples.
  9. (retour)↑  Cet ajustement a lieu à tous les niveaux. L’étudiant en 1er cycle universitaire non seulement suit moins d’heures de cours hebdomadaires, mais encore consacre moins de temps au travail personnel que l’étudiant en CPEG (classe préparatoire aux grandes écoles). Pour prendre un exemple dans la même discipline, un étudiant en CPEG littéraire suit réellement environ 32 heures de cours et consacre 29 heures au travail personnel, soit 61 heures de travail hebdomadaires ; tandis que l’étudiant en UFR (Unité de formation et de recherche) de sciences humaines, pour 12 heures de cours réellement suivis, ne consacre que 16 heures au travail personnel, soit 28 heures hebdomadaires de travail : du simple au double. Ces chiffres peuvent aussi expliquer en partie l’échec dans les premiers cycles universitaires. On se reportera au tableau très éloquent publié p. 138 de La vie étudiante, par Claude Grignon et Louis Gruel, Paris, PUF, 1999.
  10. (retour)↑  Des études canadiennes ont aussi abouti à cette même conclusion : « La clientèle universitaire est plus jeune, moins motivée, moins disponible et peu attirée par le développement intellectuel. Les débats d’idées, le bouillonnement intellectuel, les demandes de travail innovatrices et participatives les intéressent moins que les résultats : c’est ce qu’on appelle couramment des consommateurs de cours… », in : Louise Langevin et Monik Bruneau, Enseignement supérieur. Vers un nouveau scénario, Paris, ESF, 2000, p. 18.
  11. (retour)↑  Dans l’ESGBU (Enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires), le critère essentiel d’activité a été et reste le nombre de prêts à domicile. Il est difficile de quantifier de nombreux services immatériels que peut rendre une bibliothèque.
  12. (retour)↑  L’étudiant y devient successivement freshman, sophomore, junior, senior.
  13. (retour)↑  Cependant dans le lot, seules deux universités sont seulement graduate : Rockfeller University et University of California (San Francisco).
  14. (retour)↑  American Psychological Association.
  15. (retour)↑  Modern Language Association.
  16. (retour)↑  Chicago Manual of Style.
  17. (retour)↑  Kate Turabian est l’auteur d’un manuel de style très connu aux États-Unis.
  18. (retour)↑  Voici quelques sites parmi les plus connus : The Paper store : http://www.paperwriter.com BigNerds : http://www.bignerds.com An evil house of cheat : http://www.cheathouse.com Genius papers : http://www.geniuspaper.com Research paper : http://www.researchpaper.com
  19. (retour)↑  http://www.inforocket.com
  20. (retour)↑  Deux sociétés sont connues : Glatt plagiarism services : http://www.plagiarism.com Welcome to plagiarism.org : http://www.plagiarism.org
  21. (retour)↑  Tous les services d’une université, donc toute bibliothèque universitaire, doivent avoir et tenir à jour, une « policy » ou guide expliquant sa « philosophie », ses buts, ses justificatifs et ses principes de fonctionnement, « policy » qui doit bien sûr être mise en oeuvre.
  22. (retour)↑  Une recherche « information commons » sur n’importe quel moteur de recherche donne un très grand nombre de sites.
  23. (retour)↑  Pour faire une visite guidée de ces « information commons », on peut, à défaut d’aller en Arizona, se reporter à la page du site de l’université de l’Arizona. http://dizzy.library.arizona.edu/library/teams/pics pics.htm et http://arizona.edu/pubs/undergrad.html On peut y voir en détail les plans et maquettes ainsi que les services offerts aux étudiants. Les réalisations effectives sont plus importantes que ce qui était initialement prévu, surtout en ce qui concerne le matériel installé.
  24. (retour)↑  L’ESGBU ne permet pas de faire la part des différentes allocations – recherche/enseignement – dans les budgets des bibliothèques universitaires françaises.
  25. (retour)↑  L’expérimentation suivie éventuellement d’échec ne semble pas admise dans les bibliothèques universitaires. Sans doute parce que les budgets sont tellement mesquins que les bibliothécaires ne veulent pas risquer d’être accusés de gâcher des crédits ; le bibliothécaire n’a pas droit à l’erreur. Le droit à l’erreur n’est autorisé que lorsque les sommes portent sur des milliards (par exemple le plan câble ou le Concorde).
  26. (retour)↑  http://www.bibelec.com. Malgré ses dénégations, ce site n’est qu’une copie des sites américains. Son promoteur utilise les mêmes arguments que les promoteurs des sites américains.
  27. (retour)↑  On peut voir par exemple, l’article de Bertrand Lambert : « Sciences-Po en ligne », Le Monde, supplément Télévision Radio Multimédia, dimanche 11 - lundi 12 janvier 1998 ; ou un autre paru dans Alternatives économiques, mars 1999.
  28. (retour)↑  http://questia.com
  29. (retour)↑  http://www.u3k.fr en cours de construction.