Les bibliothèques dans les services d'archives
La situation des bibliothèques dans les services d’archives n’est pas toujours aisée à clarifier. Constituées d’ouvrages et de périodiques historiques et administratifs, en provenance de fonds publics ou privés, ou achetés, ces bibliothèques sont d’importance très variable d’un service à l’autre. La question principale à poser est celle de la conservation définitive de ce qui concerne un département ou une région par exemple, que ce soit par les bibliothèques ou les archives. La mise en réseau des informations et une sérieuse concertation entre les établissements pourraient permettre de déboucher sur des perspectives assurant l’avenir de cette conservation.
The situation with libraries that provide services for archives is not always easy to clarify. Consisting of historical and administrative documents and periodicals provided from public or private funding, or purchased, these libraries vary in importance from one service to the next. Currently the main question concerns the definitive conservation of material relating to an administrative department or a region – for example, should this be the province of libraries or archives? Getting the information on to a network, and serious consultation between the organisations, would open up the prospects of an assured future for this conservation.
Die Lage von Archivbibliotheken ist nicht immer leicht zu bestimmen. Mit historischen oder verwaltungsoreintierten Beständen von Büchern und Zeitschriften öffentlichen oder privaten Ursprungs oder aus Ankäufen, variiert der Umfang von Archiv zu Archiv. Die wichtigeste Frange derzeit betrifft die endgültige Konservierung des Materials das zum Beispiel einen Landkreis oder eine Region betrifft, entweder durch eine Bibliothek oder das Archiv selbst. Die Informationsvernetzung sowie sorgfältig ausgearbeitete Übereinkommen zwischen Einrichtungen könnten zu Lösungen führen, um diese Konservierung zu sichern.
La situación de las bibliotecas en los servicios de archivos no siempre es cómoda de clarificar. Constituidas de obras y de periodicos históricos y administrativos, provenientes de fondos públicos o privados, o comprados, estas bibliotecas sont de importancia muy variables de un servivio a otro. La cuestión principal que hay que plantearse actualmente es la de la conservación definitiva de lo que concierne un departamento o una región por ejemplo, ya sea por los bibliotecas o por los archivos. La puesta en red de las informaciones, y una seria concertación entre los establecimientos, podrían permitir desembocar sobre perspectivas que aseguren el futuro de esta conservación.
Les livres, au milieu des archives, ont du mal à trouver leur place. Qu’est-ce qu’une bibliothèque d’un service d’archives ? Comment s’est-elle constituée ? Comment s’enrichit-elle ? Que doit-on acheter ? Que doit-on faire des livres qui « entrent » avec des fonds d’archives, que ceux-ci soient privés ou publics ? Comment doit-on les traiter ? À la mode des archives ? À la mode des bibliothèques ? Comment doit-on les communiquer ? En libre accès, en accès réservé, en usuels ?
À quoi et à qui servent les livres conservés aux Archives ? Aux chercheurs ? Au personnel ? Aux administrations ? C’est en effet un débat, repris régulièrement par les archivistes, plus d’ailleurs que par les bibliothécaires 1.
Les mêmes livres se retrouvent-ils dans un service d’archives et dans les collections des bibliothèques, qu’elles soient de lecture publique, universitaires ou spécialisées ? Et, si la réponse est positive, pourquoi les garder dans les services d’Archives dont ce n’est pas la vocation première et qui, entre autres particularités, ne les communiquent généralement pas à l’extérieur ?
Face à toutes ces questions, les réponses – celle notamment que peut donner la réglementation – restent bien incomplètes, et surtout inégales dans leur objet 2.
Une chose est certaine, il n’y a pas un texte qui, à lui seul, traite de la question dans son ensemble pour les Archives 3. Sera-t-il donc possible de faire une synthèse et des propositions ? [cf encadré]
Constitution des bibliothèques des archives départementales
Il faut bien distinguer, dès le départ, la bibliothèque administrative et la bibliothèque dite « historique ».
La bibliothèque administrative
Celle-ci apparaît très vite dans la réglementation, dès 1837 ; elle est confiée aux archivistes en 1843 (en 1820 ils avaient déjà obligation de recevoir Le Moniteur) ; le règlement des archives départementales de 1921 y ajoute le dépôt de toutes les publications administratives du département ; en 1948, la Direction des archives de France incite fortement les archivistes à s’abonner à toutes les publications de la Documentation française ; elle leur fait obligation, en 1952, de s’abonner au Journal officiel complet et rappelle le devoir de recevoir toutes les publications administratives du département. Cet ensemble, officiel et obligatoire, constitue donc la base de la bibliothèque administrative des archives départementales.
Mais cette réglementation ne fut pas appliquée partout avec la même rigueur ni de la même manière, de sorte que les situations actuelles, d’un département à l’autre, sont très variables.
Les grandes publications officielles furent généralement traitées selon la réglementation ; mais dès qu’il s’est agi des publications administratives du département, la situation varia beaucoup selon les services départementaux, de la préfecture ou extérieurs, et d’un département à l’autre. Ici l’importance des fonds administratifs aboutit à la création d’un centre de documentation administrative, là la collecte et l’inventaire des publications administratives restent à faire.
Il faut ajouter que la notion même de publication administrative a pu être interprétée de manière différente d’un département à l’autre, en y comprenant parfois des publications, à caractère administratif certes, mais non d’origine administrative.
La bibliothèque historique
Les bibliothèques « historiques » des archives départementales n’obéissent, elles, au départ, à aucune règle. Elles existent peu à peu, résultat de l’action propre d’un archiviste, de dons, d’acquisitions.
La première mention qui en est faite officiellement figure dans le règlement des archives départementales de 1921, aux côtés d’ailleurs de la bibliothèque administrative. On parle alors de bibliothèque « annexée ». Cependant, quelques textes ont contribué, plus ou moins directement, à leur développement.
Les dépôts
La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, entraîne le dépôt, dans des services publics (archives ou bibliothèques), des livres et manuscrits appartenant aux établissements publics du culte, séquestrés.
Le dépôt légal ou le dépôt administratif des publications périodiques, malgré les aléas de leur attribution au long des décennies, contribuent aux enrichissements : dès 1887, les journaux politiques doivent être déposés dans un premier temps à la préfecture (25 juin), puis aux archives du département (2 août). En 1921, ce dépôt est confié à l’archiviste départemental, et passe en 1925 à un fonctionnaire de la préfecture, « intelligent » est-il précisé ; en 1941, il revient à nouveau aux Archives, est attribué aux bibliothèques classées en 1943 ; depuis 1962, les publications périodiques locales doivent être déposées aux Archives.
Les derniers textes, et principalement la loi du 20 juin 1992, avec ses décrets d’application, précisent que le dépôt légal éditeur général revient à la Bibliothèque nationale, le dépôt légal imprimeur départemental à certaines bibliothèques municipales, désignées elles-mêmes par décret pour une région donnée. Pour les périodiques édités localement existe en plus un dépôt éditeur auprès des préfectures. Dans un département donné, on peut donc se retrouver avec un double dépôt de périodiques, s’ils sont en même temps édités et imprimés dans le département. Normalement, les périodiques recueillis par les préfectures devaient y être conservés, mais un arrêté récent, daté de 1997, précise que les déclarations de périodiques, et donc aussi les périodiques, doivent être versés au bout d’un an au service des archives compétent. Plusieurs services d’archives assurent donc, actuellement, cette conservation ; les archivistes sont souvent amenés à y opérer un certain tri, selon des critères – souvent très subjectifs – propres à chaque département, et à chaque archiviste.
Découlant de ces variations, des mesures parallèles sont prises : en 1944, il est conseillé aux archivistes de se faire « servir » les périodiques locaux, puisqu’ils n’en seront plus destinataires par le dépôt légal, mais il n’y a plus aucune obligation.
Autre mode d’acquisition, les travaux des chercheurs. Depuis 1949, ceux qui ont utilisé des sources d’archives sont invités à déposer le résultat de leurs travaux, qu’ils soient dactylographiés ou imprimés (circulaire de la Direction des archives de France).
En 1954, avec l’apparition du microfilm, la même direction incite les services à compléter par ce moyen les lacunes importantes de la bibliothèque.
Bref, les bibliothèques historiques des Archives sont la résultante de toutes ces directives, à valeur d’ailleurs plus ou moins réglementaire. Il faut y ajouter les acquisitions à proprement parler, et les dons d’ouvrages faits aux Archives, constitués uniquement de livres et périodiques, ou inclus dans des fonds comprenant aussi des archives. Une circulaire conjointe de la Direction des archives de France et de la Direction du livre et de la lecture précise, en 1994, que les Archives ne doivent pas recueillir des fonds de bibliothèques privées, voire publiques (bibliothèque scolaire par exemple).
Quelque nuance cependant peut être apportée dans l’interprétation de ce texte, pour le cas particulier que pose, et de manière fréquente, l’existence de fonds constitués d’archives, d’ouvrages et de périodiques.
Ce dernier groupe entre parfaitement dans la définition des archives donnée par la loi d’archives de 1979 : « ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité. »
Ce qui veut dire qu’une personne qui a produit des archives, s’est procuré des ouvrages ou périodiques « dans l’exercice de son activité », terme qui englobe à la fois la vie professionnelle et la vie personnelle, et souhaite en faire don ou dépôt aux Archives, pourrait voir ce fonds scindé en deux, une partie allant dans une bibliothèque, l’autre aux Archives.
Les Archives en France sont fondées sur un principe très important, celui du respect des fonds, qui oblige à conserver l’unité de constitution d’un fonds, principe généralement non suivi dans les collections courantes des bibliothèques. La partition induirait que, dans ce cas, si les livres allaient dans des bibliothèques, ils seraient classés parmi les autres ouvrages de la bibliothèque, et selon les règles de bibliothéconomie en usage, sauf peut-être dans les bibliothèques qui ont des fonds spécialisés ou patrimoniaux classés selon des principes qui leur sont propres.
Il me semblerait toutefois regrettable que, pour un même donateur, les archives soient d’un côté et les livres de l’autre, tant ces derniers peuvent être utiles à la compréhension d’un fonds et éclairer sur les modes de pensée du donateur, ses goûts, ses centres d’intérêt.
Il se trouve ainsi, et le cas est fréquent dans les archives, que des familles, des groupes sociaux, des entreprises, des artisans ont conservé, puis remis aux Archives des ouvrages ou publications très spécialisés, parfois d’intérêt très local, ou spécialisé dans les domaines qui les préoccupaient, et qui ne rentrent pas nécessairement de façon cohérente dans les collections d’une bibliothèque donnée.
Pour ces ensembles, une formule simple d’identification et de classement existe dans les services d’archives : ils sont inventoriés dans le fonds du donateur, mais leur catalogage est fait selon les normes en usage pour la bibliothèque, ce qui permet alors de constituer une base de données bibliothèque d’archives particulièrement intéressante, car enrichie de ces apports très spéciaux, tout en protégeant le principe du respect des fonds.
Les acquisitions
Pour les acquisitions proprement dites, les situations sont très variables d’un service à l’autre, liées aux possibilités offertes par le budget certes, mais aussi aux politiques définies par l’archiviste : quels genres d’ouvrages ou de périodiques doit-on acquérir pour les archives, en sachant toutefois au départ qu’ils ne seront jamais communiqués à l’extérieur ?
La circulaire de 1994 est claire : « La vocation des Archives est de mettre à la disposition des chercheurs soit des ouvrages de référence relatifs à l’histoire générale ou locale, soit des ouvrages complémentaires des fonds conservés par le service d’archives » ; on pourrait tout de suite ajouter les ouvrages nécessaires à l’activité professionnelle des personnels et à leur formation ; mais sans doute aussi les publications d’intérêt local en général, ou qui ont comme cadre le département, voire la région (ce qui peut englober certains romans, d’Alexandre Dumas à Jean-Claude Izzo, en passant par Marcel Pagnol, dans le contexte des Bouches-du-Rhône et de Marseille).
La politique d’acquisition, certes, est liée aux possibilités financières. Un département « pauvre » ne se posera pas trop de questions, il achètera ce qu’il pourra. Mais pour un département riche, la question se pose autrement : mises à part les catégories d’ouvrages et publications énumérées ci-dessus, toutes, semble-t- il, indispensables dans un service d’archives, et constituant déjà une certaine quantité, que doit-il acheter en plus, sachant que les livres ne peuvent être consultés que sur place ? Les usagers des salles de lecture viennent davantage consulter les archives que les livres, sauf dans le cas d’ouvrages rares et spécialisés ou en lien direct avec leur recherche, qu’ils ne trouveront qu’en ces lieux.
À quoi bon alors acheter des livres qui ne seront pas beaucoup lus par le public des Archives ? Il résulte de ce qui précède des situations extrêmement variées d’un service à un autre. Dans la mesure où même l’application de la règle n’est pas observée partout de la même manière, y compris pour les bibliothèques administratives, les bibliothèques des services d’archives sont des ensembles composites, et pas toujours bien traités.
Perspectives
On pourrait, pour tenter des conclusions à partir de ces constats, se poser finalement une seule et unique question, et qui est bien celle que doivent se poser des conservateurs d’archives ou de bibliothèques : où doivent être conservés, définitivement, les ouvrages ou périodiques imprimés, auxquels je serais tentée d’ajouter la littérature grise, qu’elle soit d’origine administrative ou universitaire, et ceci en fonction des périodes où ils ont été produits et de la réglementation alors en usage, si fluctuante au cours des deux derniers siècles, des us et coutumes d’ici et là, d’une réglementation qui s’est affinée depuis la dernière décennie, du moins pour le dépôt légal, et de la mise en place relativement récente et sans cesse en progrès de bases de données informatiques et de réseaux d’informations réciproques.
C’est là que la concertation s’impose pour les Archives avec les autres bibliothèques, publiques ou spécialisées, d’une part, et avec les centres de production ou de conservation de publications administratives, de l’autre, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de dévolutions réglementaires.
Il arrive que les bibliothèques et les archives départementales achètent les mêmes livres, concernant notamment l’histoire locale, ou lorsqu’il s’agit d’éditions locales et d’ouvrages d’intérêt plus général dans les disciplines les plus usitées dans les archives (histoire, géographie, sciences sociales, économie, architecture), tous utiles en plusieurs endroits à la fois à un moment donné. Il s’agit bien évidemment, dans ce cas, de se situer dans une perspective de conservation à long terme de ces documents. Il faut absolument que les différentes institutions où il y a des livres en nombre important se concertent et décident qui va conserver des ouvrages qui, avec le temps, auront perdu leur intérêt immédiat pour la majorité des publics des bibliothèques municipales et départementales de prêt, voire universitaires. Dans ce cas, les Archives ne sont-elles pas les mieux placées, d’autant plus que leurs ouvrages, du fait de leur faible consultation, sont vraisemblablement en meilleur état que ceux des bibliothèques publiques ?
De même, pour les bibliothèques administratives, la concertation s’impose, plus difficile sans doute car touchant davantage de centres de documentation ou de grandes institutions administratives moins « organisés » entre eux que les bibliothèques. Le niveau départemental, voire régional, serait, me semble-t-il, l’échelon géographique intéressant de ces deux modes de concertation, car il offre au public la possibilité de consulter directement les ouvrages, quelles que soient les informations disponibles virtuellement à un niveau plus large par les moyens technologiques modernes.
Les avantages de cette concertation seraient en premier lieu de faire quelques économies peut-être déjà au moment des acquisitions, en se répartissant les types d’ouvrages ou de publications à acquérir, mais, surtout, au moment où se pose la question de la conservation « définitive ». C’est vraisemblablement entre les archives départementales ou municipales, d’un côté, et les « grandes » bibliothèques municipales ou bibliothèques spécialisées ou universitaires, de l’autre, que la répartition pourrait se faire.
Ce qui pouvait paraître impossible il y a encore quelques décennies devient imaginable avec les outils informatiques actuels. Ceux-ci permettent dans un premier temps la nécessaire mais très importante mise en commun des richesses des uns et des autres, et dans un deuxième temps une concertation approfondie sur les rôles respectifs à jouer et les décisions à prendre en conséquence pour la conservation.
Les institutions concernées, leurs tutelles administratives et financières, et leurs publics, ne pourront tous qu’y gagner à moyen et long termes.