Le défi du XXI e siècle pour les bibliothèques

Dominique Arot

Comme elle en prend l’initiative tous les deux ans, l’Association des bibliothèques publiques du Québec, qui regroupe environ 150 établissements et leurs responsables, a tenu forum du 14 au 16 septembre derniers à Shawinigan (province de Mauricie) en s’efforçant de scruter l’avenir des bibliothèques, au moment où le gouvernement québécois vient d’engager une politique incitative d’équipement informatique des familles 1.

L’observateur français est d’emblée frappé (comparaisons obligent) par l’organisation très méthodique des débats : temps de paroles limités pour les orateurs, animation des ateliers confiée à des professionnels de la communication. Méthode qui aboutit en fin de congrès à un relevé très précis de questions et de propositions. Autre sujet d’étonnement relatif, nos collègues québécois ignorent tout de l’usage de la langue de bois : les prises de position sont vigoureuses et solides et généralement dépourvues d’arrière-pensées tactiques ou de prudence hiérarchique excessive. Ce qui doit être dit est dit dans une forme directe qui n’exclut jamais l’humour ni le respect de l’interlocuteur.

Des bibliothèques indispensables

Une première table ronde – au Québec, on parle de panel – animée par Réjean Savard, professeur à l’École des bibliothèques et des sciences de l’information de l’université de Montréal, bien connu des lecteurs du BBF, s’efforçait de proposer « une vision élargie sur la bibliothèque du XXI e siècle ». Yvon-André Lacroix, directeur de la bibliothéconomie à la Grande bibliothèque du Québec, exprima un point de vue comparable à celui que j’avais développé comme premier intervenant : les bibliothèques, tout en changeant de forme, ne changent pas de valeurs et deviennent même plus que jamais indispensables. Mary Niles Maack, professeur à l’université de Californie à Los Angeles, est allée dans la même direction en insistant sur le nouvel âge d’or des bibliothèques publiques aux États-Unis : de plus en plus de bâtiments et un nombre toujours croissant d’usagers. Sylvie Nadeau, directrice provinciale du service des bibliothèques du Nouveau-Brunswick, présenta les projets innovants de cette région. Dans les débats qui suivirent, une constatation se dégagea : l’avenir des bibliothèques publiques passe par un engagement résolu, qui n’est pas toujours également acquis, des décideurs politiques.

Une seconde table ronde portait sur le thème « Clientèle, employés et convivialité ». Nic Diament présenta avec humour et conviction l’offre nouvelle de la Bibliothèque publique d’information (BPI) et les pratiques de ses divers publics. Nos collègues québécois, impressionnés par le fait qu’on doive organiser des files d’attente à l’entrée d’une bibliothèque, confirmèrent par leurs réactions que le prestige international de la BPI était toujours aussi vivace.

Jean Carette, professeur à l’université de Montréal, consacra son intervention aux personnes âgées et à leur accueil dans les services publics, confirmant ce qui est dit de l’accueil de tous les publics : c’est la qualité générale du service public proposé qui permettra de faire droit aux demandes spécifiques de telle ou telle catégorie d’usagers plus que l’addition de politiques communautaires spécifiques.

Dans une communication engagée qui fit forte impression sur la salle, Sylvie Tardif, responsable d’un service d’éducation populaire dans la région de Mauricie, se fit l’interprète des personnes les plus modestes (en France, nous parlerions du « quart-monde »), à la fois conscientes de ce que la lecture et la maîtrise de l’écrit pourraient leur apporter et tellement marquées par l’échec scolaire et par des conditions de vie difficiles qu’elles restent à distance des bibliothèques. Le travail de proximité (bibliothèques de rue, investissement de locaux proches des habitants, activités de petits groupes) demeure irremplaçable et constitue un des aspects du travail commun des associations et des bibliothécaires.

Des préoccupations communes

Des préoccupations communes, qui ne sont pas étrangères à celles des bibliothécaires français, formaient en quelque sorte la toile de fond de ce forum. Tout d’abord, la mise en oeuvre d’une réforme administrative profonde traduite par de nombreux regroupements de communes, semblait, à bon droit, déstabiliser les responsables de bibliothèques. La remise en cause de la gratuité (qui devient l’exception, hormis dans les zones anglophones) semblait, de l’avis général, de nature à dresser un obstacle supplémentaire pour une population dont le quart connaît de réels problèmes dans son rapport à l’écrit. Plus spécifique au Québec, la décision prise par l’État, dans le contexte de la crise budgétaire des années quatre-vingt- dix, d’instituer un moratoire sur la construction d’équipements culturels et, donc, de bibliothèques, préoccupe les bibliothécaires qui préconisent bien sûr la levée de cette mesure.

La conférence de conclusion de ce forum donnée par Lise Bissonnette, présidente de la future « Grande bibliothèque du Québec », au-delà de son aspect informatif, avait à l’évidence pour objet d’apaiser les inquiétudes des bibliothèques publiques concernant le rôle susceptible d’être tenu par la GBQ en termes d’animation et de coordination du réseau. Cette vertueuse déclaration d’intentions n’était pas sans rappeler quelques souvenirs mitigés chez un observateur français. L’idée, émise à cette occasion, de créer au Québec des bibliothèques municipales à vocation régionale ne contribuait pas à dissiper l’impression de flou de l’entreprise. La faible participation à ce forum des responsables des Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques, les CRSBP (mutatis mutandis, l’équivalent des bibliothèques départementales de prêt) n’était sans doute pas sans rapport avec ces incertitudes.

Les travaux statutaires de l’Association se révélèrent plein d’intérêt, Jean Payeur, responsable de la bibliothèque de Québec, présentant un projet de « Confédération québécoise du milieu documentaire », fédérant les bibliothécaires des collectivités, des universités, des écoles et les documentalistes, dessein ambitieux que les associations françaises suivront avec intérêt. Denis Boisvert, président de l’Association et responsable de la bibliothèque publique de Sainte-Hyacinthe, dans une intervention alliant heureusement hauteur de vue et pragmatisme, invitait les différents responsables présents à situer leurs bibliothèques dans un monde médiatique auquel elles peuvent, grâce à leur accessibilité, apporter beaucoup.

  1. (retour)↑  La prime gouvernementale, dans le cadre d’un programme de 480 millions de francs gérés par les caisses d’allocations familiales, permet d’acquérir un micro-ordinateur familial pour moins de 2000 francs français !