Les pôles thématiques à la bibliothèque de Limoges

Alain Duperrier

La Ville de Limoges a inauguré sa bibliothèque francophone multimédia (BFM) en septembre 1998. Sur le constat d’un réel succès populaire, il est proposé un retour sur les choix qui ont présidé à la répartition des collections dans ses espaces publics et leur articulation avec son organisation générale.

The town of Limoges inaugurated its Francophone multimedia library (BFM) in September 1998. Now that it has been accepted as a true popular success, it is proposed to return to the choices that existed at the distribution of the collections into their public areas and their integration with the library’s general organisation.

Die Stadt Limoges hat ihre frankophone, multimediale Bibliothek im September 1998 eröffnet. Der Artikel beschreibt den ungemeinen Erfolg dieses Unternehmens und gibt einen Rückblick auf die Entscheidungen, die zur Bestandaufstellung in den offen zugänglichen Räumen geführt haben und weist auf Zusammenhänge mit der Gesamtorganisation hin.

La Ciudad de Limoges inauguró su biblioteca francófona multimedia (BFM) en septiembre de 1998. A partir de la constatación de un verdadero éxito popular, se propone un regreso a las opciones que han presidido a la repartición de las colecciones en sus espacios públicos y su articulación con su organización general.

La Bibliothèque francophone multimédia de Limoges (Bfm) est ouverte au public depuis le mois de septembre 1998. « Bibliothèque municipale à vocation régionale », pôle associé à la Bibliothèque nationale de France dans les domaines du théâtre et de la poésie francophones, associé également au titre du dépôt légal « imprimeur en région », elle est organisée selon un principe de grands pôles thématiques.

Le nouvel équipement de la ville de Limoges connaît un vif succès : en deux ans, le nombre des inscrits sur le réseau Bfm (centre ville et quartiers) est passé de 35000 à 62000, qui empruntent annuellement plus d’un million de documents. Le nouveau bâtiment reçoit en moyenne plus de 2000 visiteurs par jour d’ouverture, soit environ 4500 les mercredis et les samedis de pointe. Rêver une bibliothèque, c’est rêver un mode de vie, un monde d’échanges entre les hommes, bref une société. Aussi la période de programmation est-elle extrêmement stimulante, qui permet d’envisager la projection de plusieurs représentations de la bibliothèque. Le mode d’organisation de ses collections et des services afférents n’est pas neutre : il révèle les intentions et valeurs véhiculées par ses concepteurs (élus, bibliothécaires, architectes…).

Quels sont les critères qui ont influencé l’organisation de la Bfm ? Avant toute chose et en priorité, la définition des services que la ville de Limoges souhaitait proposer à ses habitants : une grande liberté d’accès à l’information. C’est sur ce principe que s’est faite la structuration de pôles aux missions parfois très distinctes mais toujours cohérentes (un très grand volume documentaire pour le pôle Littérature, un nombre important de services différents pour le pôle Sciences). Il importait de constituer des équipes de taille équivalente, pour un volume de travail équivalent, permettant un réel enjeu de dialogue interne (une quinzaine d’agents en Littérature, Art, Science, Jeunesse). Des équipes aux identités bien affirmées du fait de leurs missions, toutes placées sous la responsabilité directe d’un bibliothécaire ou d’un conservateur.

L’organisation des pôles thématiques

La Bfm est structurée autour de pôles thématiques définis comme suit :

– Pôle Jeunesse : ensemble des collections jeunesse et adolescents en prêt et en consultation, centre régional de ressources pour la littérature jeunesse, salle de l’heure du conte…

– Pôle Art : collections de livres d’art, sport, bandes dessinées adultes, discothèque, vidéothèque, artothèque, auditorium….

– Pôle Sciences : collections de livres de sciences pure et appliquée, de bibliothéconomie, informatique, médias… collections de livres en magasin « compactus », espace références, atelier multimédia, réseau de cédéroms, forum des périodiques…

– Pôle Littérature : collections de livres de philosophie, religion, sciences sociales, langues, littérature, histoire, géographie…

– Pôle Limousin et Patrimoine : collections régionales, fonds anciens ou rares, dépôt légal imprimeur…

– Pôle Francophone : collections de littératures francophones, documentation spécialisée…

Outre ces services et secteurs documentaires, la Bfm de Limoges comporte les pôles Accueil et Communication, Technique (informatique, bâtiment) et enfin Administration.

Permettant une stricte définition des missions de chaque équipe, le principe de cette organisation n’est pourtant pas traduit en l’état dans les espaces publics. Il convenait de structurer en amont les services à proposer aux lecteurs, lesquels doivent pouvoir, sans connaître l’organigramme interne, circuler librement dans la Bfm. Par exemple, les pôles Littérature et Sciences partagent un même plateau, sans qu’aucune frontière physique ou symbolique ne soit signifiée aux usagers. La départementalisation de l’organisation interne de la bibliothèque ne doit pas forcément engendrer une stricte sectorisation architecturale pour le public.

Des équipes proches du public

Les équipes de chaque pôle sont situées dans des bureaux indépendants les uns des autres, répartis dans le bâtiment, et toujours à immédiate proximité des espaces publics. La configuration dominante est celle d’un « espace bureau » par pôle (invisible pour les usagers), jouxtant une banque de prêts et de renseignements – à la fois généraliste et spécialisée – et un magasin de diffusion. Ce dernier, d’un potentiel de stockage d’environ 30000 documents pour chaque pôle, est directement géré par l’équipe concernée. Il est à distinguer des réserves générales placées sous la responsabilité des magasiniers. Ainsi, les bureaux des personnels de la bibliothèque, de même qu’un premier niveau de documents conservés en magasins, sont à la fois au cœur des espaces publics et invisibles depuis ceux-ci.

Chaque pôle offre une immédiate disponibilité auprès des lecteurs, tant pour l’ensemble des sollicitations communes à la Bfm que pour des requêtes plus contextuelles.

La proximité de ces équipes aux volumes publics induit, outre une forte appropriation par tous de ces espaces, une grande réactivité de chaque pôle et une pertinence certaine des bibliothécaires quant aux collections en présence dans leur environnement immédiat. L’existence des magasins de diffusion (dits aussi de « proximité »), directement gérés par les spécialistes de chaque domaine, est également un atout appréciable. En revanche, il convient parfois de redonner corps à une plus grande mutualisation des missions des pôles, afin de prévenir toute situation de replis des équipes les unes par rapport aux autres.

Choix d’une classification traditionnelle

La classification retenue est celle de Melvil Dewey ; l’implantation multi-supports a été le plus souvent écartée. Cependant, le projet Bfm avait initialement envisagé une autre hypothèse de travail : un classement croisé « centres d’intérêts/Dewey » et une forte mixité des différents supports. Une préfiguration des collections avait été engagée dans l’ancienne bibliothèque et avait abouti à leur répartition en une trentaine de centres d’intérêts : animaux, art, communication, corps, croyance, enfant, histoire, humour, informatique, littérature, livre, loisir, maison, musique, nature, paysage, philosophie, poésie, politique, préhistoire, santé, science, société, spectacle, sport, télévision, temps libre, théâtre, travail et vécu. Les réflexions menées par l’équipe de direction du projet Bfm, mise en place entre-temps, ont conduit à l’abandon de cette voie. Sans discréditer le principe d’une organisation en centres d’intérêt, il est apparu inadapté à la taille du nouvel équipement : manque de lisibilité de l’ensemble, cloisonnement des champs documentaires, question de leur cohérence, de leur complétude, de leur évolution, dilution des responsabilités vis-à-vis des collections, etc. La notion de centres d’intérêt a semblé plus adéquate à un volume documentaire immédiatement appréhendable par le public (tant visuellement que physiquement), c’est-à-dire à une bibliothèque de plus petite taille. Et si la bibliothèque est une représentation du monde, il est intéressant de remarquer que les schémas d’implantation du mobilier établis sur cette première hypothèse de classement aboutissaient tous à des propositions de type alvéolaires, en nid d’abeilles, à des collections repliées sur elles-mêmes. Cette conception était en décalage avec l’esprit qui préside aujourd’hui au lieu, esthétique qui participe grandement de son succès populaire.

Par ailleurs, et à quelques exceptions près, la répartition des supports dans la Bfm est elle aussi relativement traditionnelle. L’observation des pratiques des lecteurs en bibliothèques de lecture publique confirme un comportement privatif des usagers lié au type de support : « Je viens lire des magazines », « Je viens chercher une vidéo pour ce soir ». La relation au support, dans une grande bibliothèque (a contrario peut-être de structures plus petites), nous a semblé prédominante par rapport à la notion de thème documentaire. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple d’observer le volume et la diversité des lectures que font les usagers installés dans les chauffeuses du jardin d’hiver de la Bfm (Forum des périodiques). Quand on interroge ces derniers, on s’aperçoit qu’une bonne partie d’entre eux vient sans avoir de motivation a priori pour un titre en particulier. C’est d’ailleurs l’occasion de provoquer d’heureuses rencontres entre les lecteurs et des périodiques qu’ils ignoraient jusque-là. En tout état de cause, la question reste toujours posée de savoir si la bibliothèque a pour vocation de modifier un mode de comportement social ou, comme nous le pensons, si elle doit plus modestement – mais plus foncièrement – s’investir dans la valorisation du contenu des documents dont elle a la charge.

Favoriser la lisibilité des parcours

Enfin, outre les irremplaçables renseignements donnés par les bibliothécaires eux-mêmes, il est un outil qui doit normalement pouvoir rassembler différents supports sous une même thématique et orienter le lecteur : l’informatique. Il s’agit d’une de ses principales valeurs ajoutées. Un dernier module multimédia viendra d’ailleurs prochainement compléter le système d’information de la B f m . Il proposera une visualisation en deux et trois dimensions de la position géographique du lecteur dans le bâtiment et de l’ensemble de rayonnages correspondant à sa recherche. Enfin, au-delà de ces débats propres à la profession des bibliothécaires, débats sans conteste fondamentaux, il est d’autres lieux d’innovation à travailler, d’autres aspects de la « topographie des savoirs » qui ont une influence au moins aussi grande sur l’appropriation des collections publiques par les usagers : la signalétique, la lisibilité des espaces, l’organisation des circulations, l’implantation du mobilier, la qualité architecturale des espaces publics, la qualité de l’accueil…

Des espaces ouverts à tous

Une attention toute particulière a été portée à la présentation des collections dans les espaces publics : faire en sorte que la « topographie des savoirs » soit immédiatement appréhendée par le plus grand nombre. Les choix opérés passent par une grande lisibilité des volumes architecturaux, une implantation de mobilier à la fois rigoureuse et logique, en cohérence avec le classement décimal, mais pas rigide : comme sur une portée musicale, les alignements sont rythmés par des respirations (élargissement des espaces entre les rayonnages de temps en temps, mobiliers de forme ou de hauteurs parfois différentes, etc.). Les aménagements doivent permettre de glisser sans rupture d’un champ documentaire à un autre, de faciliter la fluidité et la libre circulation du public dans l’ensemble de la bibliothèque, tout en lui signifiant symboliquement les zones nécessitant une plus grande protection (espace de travail par exemple).

Travail sur la signalétique

Autre aspect ayant influencé les choix de la Bfm quant aux liens unissant les collections à leurs services gestionnaires : le travail sur la signalétique. Il a été opéré une déclinaison simple et continue (à partir de repères colorés) du plan général simplifié de la Bfm au panneau de détail (un champ documentaire), puis au pignon de rayonnage et aux réglettes sur tablettes. Certains de ces éléments graphiques seront prochainement repris dans le module d’orientation multimédia qui sera installé sur chaque poste informatique. Encore une fois, la signalétique est structurée autour des collections et services proposés aux lecteurs et ne reflète que très peu l’organigramme de la Bfm.

Enfin, tout principe d’organisation des collections étant une forme de reflet d’une société désormais en perpétuelle évolution, il nous a semblé qu’il convenait, autant que possible, d’opérer des choix qui pouvaient être non seulement pérennes à moyen terme, mais également inscrits dans un espace architectural susceptible de grande flexibilité sur une plus longue échéance.

Au travers de cette expérience, qui n’est nullement un modèle, nous espérons que le mode de fonctionnement de la Bfm de Limoges est l’écho harmonieux tant du projet politique qui l’anime, que de son projet esthétique : « Il convient qu’un bâtiment pour le livre traduise le double caractère du livre, ce qu’il a d’irremplaçable, d’être à la fois repli intime, dialogue privé de l’auteur au lecteur, mais aussi ouverture infinie au monde, façon d’être au monde. » (Pierre Riboulet, architecte de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges).

Octobre 2000