Le droit d'auteur et les bibliothèques
On peut dire de cet ouvrage qu’il vient à point nommé ou qu’il s’est longtemps fait attendre.
À point nommé, au moment où la communauté professionnelle des bibliothécaires, réveillée en sursaut par les auteurs-éditeurs dopés à la directive européenne, choit brutalement sur la carpette du droit de prêt. Longtemps attendu, parce que la teneur aussi bien que la tonalité de cette picaresque nouvelle querelle des anciens et des modernes – les uns ou les autres pouvant apparaître, selon le point de vue, anciens ou modernes – souligne les carences de la culture juridique chez les bibliothécaires. Ça, on le savait déjà, puisqu’aussi bien les formations de bibliothécaires, toutes catégories confondues, qu’elles soient initiale, post-recrutement ou continue, ont longtemps superbement négligé l’aspect juridique des activités des bibliothèques, n’inculquant à leurs ouailles que des préceptes techniques (éventuellement surgonflés scientifiques) et les indispensables bons sentiments nécessaires à l’accomplissement d’une mission sociale.
Le fait juridique
Or le fait juridique, têtu comme tous les faits, frappe à la porte des bibliothèques, endormies – tout au moins en France – sur un mol oreiller coutumier. Aujourd’hui, avec l’évolution des modes de diffusion des œuvres, la transmission à distance, la circulation internationale de la documentation et la nécessaire harmonisation des législations et des mécanismes de protection des œuvres qui en découlent, le droit et singulièrement le droit d’auteur en bibliothèque ne peut plus être involontairement ou délibérément ignoré. Nous vivons une époque de mutation des pratiques en bibliothèques, où la coutume tolérante laisse de plus en plus la place à l’intransigeance du droit. Autant être averti, informé, non seulement pour ne pas tomber dans l’illégalité, mais pour participer en connaissance de cause aux débats sur les modalités d’application de ce droit.
Si Le Droit d’auteur et les bibliothèques est un ouvrage percutant, ce n’est pas seulement en raison de la pertinence intrinsèque des communications qu’il rassemble, mais parce qu’il a été conçu et réalisé par un collectif mixte de juristes et de bibliothécaires. Organisé autour d’un cadre législatif et réglementaire qui rend compte de la propriété littéraire et artistique dans l’espace français et européen et en constitue la première partie, il décline, dans une seconde partie, les différents domaines et supports sur lesquels il a prise : statut de l’œuvre dans les bibliothèques, reprographie, droit de prêt, spécification des problèmes posés par les documents sonores, audiovisuels et numériques. La troisième partie est un précieux guide pratique, à entrées alphabétiques, synthétisant la définition juridique et la problématique spécifique de plus d’une cinquantaine d’actes, dispositifs, personnes morales, pratiques ou technologies. En tant que de besoin, chaque notice renvoie aux chapitres juridiques qui forment le socle de l’ouvrage. Ceux-ci ont été confiés, pour la partie nationale, à Emmanuel Pierrat, bien connu des lecteurs de Livres Hebdo pour ses chroniques très claires et d’une grande valeur pédagogique pour les non-initiés que sont les bibliothécaires, et, pour la partie européenne, à Anne-Sophie Étienne, chargée de mission sur ce domaine spécifique à la Direction du livre et de la lecture.
La protection des œuvres
Traitant du droit d’auteur dans les bibliothèques, l’ouvrage s’intéresse à tout ce qui relève de la protection des œuvres dans le fonctionnement des bibliothèques. Il a même une autre ambition : rappeler implicitement que tous les actes pratiqués dans une bibliothèque ont un sens auquel devrait correspondre un statut, qu’un cadre législatif pour les bibliothèques fait toujours défaut en France, alors qu’il serait nécessaire pour lever les ambiguïtés sur les pratiques.
Deux chapitres, bien sûr, étaient particulièrement attendus, par certains avec un tromblon. Ils sont au rendez-vous et ne déçoivent pas. Ils sont d’ailleurs complémentaires, comme les deux volets d’un diptyque. Le point de vue des utilisateurs, d’abord, défendu dans un exposé lapidaire et néanmoins complet des enjeux et des inquiétudes des bibliothécaires face à l’évolution et aux nouvelles emprises du droit sur les activités des bibliothèques. Le rôle des associations de bibliothécaires, américaines, européennes et françaises y est pointé avec pertinence, de même que l’émergence des consortiums, outils de négociation avec les éditeurs pour l’accès aux documents électroniques. Quant au chapitre sur le droit de prêt, il constitue à l’heure actuelle la meilleure synthèse sur le sujet, pour peu que l’on veuille bien s’élever au-dessus d’un débat volontairement (par intérêt) ou involontairement (par ignorance) biaisé.
Au total, Le Droit d’auteur et les bibliothèques est un ouvrage indispensable et incontournable, même si dans une prochaine réédition, certains points gagneraient à être développés et, sans doute, mis à jour, tels que le droit des archives, la numérisation, les rapports spécifiques de la BnF au droit d’auteur ou certaines notices du guide pratique. Vétilles par rapport à la somme d’informations rassemblées et analysées, et qu’il faut probablement imputer aux délais de publication.