Le livre

mutations d'une industrie culturelle

par Jean-Michel Salaün

François Rouet

Paris : La Documentation française, 2000. – 306 p. ; 24 cm. – (Les Études de la Documentation française). ISBN 2-11-004459-4/ISSN 1152-4596 : 124,63 F/19 euro

L’étude économique de François Rouet, directeur de recherche au département « Études et prospectives » du ministère de la Culture et de la Communication, en est à sa deuxième édition. Il s’agit donc de l’actualisation d’un document qui reste la référence pour quiconque s’intéresse aux développements industriels de l’édition. Il en a, en effet, les qualités indispensables : la précision et la sûreté de l’information, toutes les données ont été vérifiées, toutes les sources sont indiquées ; et le souci de la complétude et de la rigueur de l’analyse, sans esquiver ni les zones d’ombre, ni les hésitations de l’interprétation.

Un exercice salutaire

Concernant une branche où les esprits s’enflamment facilement, où les arguments sont souvent plus polémiques que réellement fondés, où le secret commercial règne, l’exercice est salutaire, même si, du coup, la densité du texte le rend austère. Mais il s’adresse plus aux étudiants ou aux professionnels qu’aux curieux des petites histoires éditoriales. Le livre est divisé en quatre parties de longueurs décroissantes :

– la première est baptisée « L’économie éditoriale ». On y trouvera une explication de la notion de concurrence appliquée à la filière, une présentation détaillée du duopole Hachette-Havas, des maisons moyennes (Gallimard, Flammarion, Le Seuil, Albin Michel) et de la constellation des petits éditeurs, ainsi qu’une analyse de l’évolution contrastée du nombre de titres et des tirages, ou encore de la chaîne de production et de ses coûts ;

– la deuxième partie s’intéresse à la librairie et à ses dérivés, grandes surfaces, club de livres, soldes. Accroissement des grandes librairies, difficultés des petites et moyennes, modestie du livre en grandes surfaces, rôle dominant et hésitation de France-Loisirs dans la vente par correspondance et montée des soldeurs sont successivement analysés ;

– la troisième, nettement plus courte et curieusement appelée « La commercialisation du livre », concerne la diffusion et la distribution ;

– enfin, la dernière présente l’implication de la puissance publique, partagée entre un catalogue des actions publiques et une étude des effets de la loi Lang sur le prix unique du livre.

Une référence indispensable

Outre la synthèse et les données réunies, l’intérêt majeur du travail de François Rouet est de montrer la pertinence de l’analyse économique d’un secteur, qui trop souvent lui dénie toute légitimité, ou qui la caricature pour servir des intérêts catégoriels, et donc de pouvoir l’utiliser pour éclairer les décisions. Ce document est donc une référence indispensable pour tous les professionnels du livre. Dans une conclusion plutôt pessimiste, l’auteur indique : « Le commun dénominateur de tous ces aspects du fonctionnement et de la régulation dans la filière est de voir leurs évolutions atteindre leurs limites, même si une myopie naturelle fait toujours sous-estimer la possibilité de les repousser. » La charge vise principalement la logique de rentabilisation financière à court terme et ses conséquences. L’inquiétude est d’autant plus fondée que, depuis la sortie du livre, le poids des intérêts financiers s’est encore accru par des opérations de fusion et de rachat, parfois spectaculaires.

Nous aurons, malgré toutes les qualités notées, trois réticences, dont on se demande s’il s’agit de la part de l’auteur d’un excès de prudence ou d’un choix contestable. La première concerne la place des bibliothèques, réglées en quatre pages dans le chapitre sur « La diversité du soutien public ». Présenter l’implication des collectivités publiques dans les bibliothèques comme un soutien à la filière livre, au travers des acquisitions, est contestable. L’auteur ne saurait non plus évacuer le problème d’une analyse des bibliothèques dans l’économie du livre en traitant en une page ses « fonctions cachées ». Sans doute, les économistes ont encore du chemin à parcourir sur ce terrain, mais ce n’est pas les encourager que d’escamoter à ce point les difficultés.

La place faite au numérique paraît aussi trop décousue. On ne peut reprocher à l’auteur de ne pas avoir souligné les transformations induites par l’intégration de cette technologie. Mais le choix fait d’ajouter, comme des « couper/coller » dans chaque partie, des paragraphes, des encadrés, des digressions, rend difficile une vue d’ensemble et donne une impression d’exotisme. Traiter en un chapitre distinct cette question aurait, nous semble-t-il, permis de mieux en percevoir l’enjeu global et les incertitudes.

Enfin, l’absence totale d’allusion à l’édition précédente du livre est curieuse et pose problème. Outre le fait qu’un lecteur distrait pourra confondre les éditions, n’aurait-il pas été plus correct de le prévenir ? Un lecteur averti repère assez facilement les passages ajoutés ou corrigés. Mais surtout il aurait été plus intéressant pour lui, de montrer clairement l’évolution des études, des opinions et des faits. Ce parti pris est d’autant plus dommageable que les mutations, soulignées dans le titre, sont dans une phase explosive et que les discours sur « la nouvelle économie » sont aujourd’hui omniprésents. Pour une bonne compréhension des phénomènes, les évolutions dans l’analyse économique de la filière sont aussi importantes à suivre que celles de son économie.