Le siècle d'or du livre d'enfants et de jeunesse, 1840-1940.
Jean-Marie Embs
Philippe Mellot
En 285 pages richement illustrées, Jean-Marie Embs et Philippe Mellot, libraires de livres anciens, retracent la diversité d’un siècle d’édition pour l’enfance et la jeunesse, doré comme les tranches des ouvrages qui leur étaient destinés et comme le plus génial des illustrateurs du siècle (si l’on ose ce jeu de mots !).
Un catalogue
C’est un travail monumental que ce catalogue raisonné qui énumère méticuleusement toutes les éditions, le plus souvent illustrées, des récits dédiés à l’enfance. Car c’est bien d’un catalogue qu’il s’agit, destiné au collectionneur soucieux de dénicher les meilleurs « crus » en matière de beaux livres, et non une analyse historique ou sociologique, littéraire ou artistique, susceptible d’enrichir la réflexion ou d’approfondir la recherche en la matière.
C’est d’ailleurs à lui que les auteurs s’adressent explicitement dans leur introduction : « Quant au collectionneur, peut-être n’y retrouvera-t-il pas le reflet complet de ses trésors ; sans doute y puisera-t-il des informations nouvelles qui lui permettront d’enrichir un univers, parfois un peu limité par une spécialisation qui l’a rendu si exigeant dans ses acquisitions et si expert dans ses recherches. »
Certes, cet ouvrage somptueux ne déparera pas dans la bibliothèque d’un collectionneur aux côtés des « joyaux de la littérature enfantine qui font partie du patrimoine collectif ». Mais curieusement, les remarquables photographies qui l’illustrent ne présentent que les couvertures des livres qui s’étalent au long des pages comme dans les vitrines de Noël d’autrefois, ou comme sur les rayonnages des librairies spécialisées. Les auteurs cèdent très rarement à la tentation d’entrouvrir ces pages… dans un souci de conservation, pour ne pas casser la reliure ou parce que l’objet de cette « étude libre, teintée de fantaisie et de nostalgie » n’est pas le contenu mais le contenant ?
Dans leur introduction, Jean-Marie Embs et Philippe Mellot justifient le choix des dates retenues, depuis 1840, apogée du mouvement romantique qui voit également la naissance et l’épanouissement de l’édition industrielle du livre, jusqu’à la seconde guerre mondiale, en signalant que, dès 1914, l’ère du beau cartonnage est révolue, alors que le livre d’enfant continue à s’épanouir. En effet, le développement de la bourgeoisie et l’industrialisation vont permettre la floraison des livres et des jouets pour enfants, réservés néanmoins aux nantis et « véritables mirages pour les plus démunis », jusqu’à ce que le ministère de l’Instruction publique en fasse profiter les élèves les plus méritants.
Après un « aperçu historique et technique » très détaillé, décrivant toutes les techniques d’illustration (gravure sur « bois de bout », remplaçant le « bois de fil », gravure sur cuivre, lithographie, chromolithographie…), les auteurs ont choisi un classement thématique qui peut paraître séduisant, mais qui a le tort de bousculer la chronologie et de morceler l’œuvre d’un auteur ou la carrière d’un éditeur. Ainsi, l’œuvre de Jules Verne est éclatée en plusieurs chapitres où ne lui sont consacrés que de brefs paragraphes perdus au milieu d’abondantes citations ; elle ne fait l’objet d’un chapitre entier que pour détailler par le menu tous les types de cartonnages existants (p. 221 à 239).
Génies incontestés et créateurs mineurs
Contrairement au dicton, l’abondance peut nuire parfois, surtout lorsque l’on accorde la même place aux génies incontestés et aux créateurs mineurs. Ainsi, la production de la comtesse de Ségur n’est pas mieux traitée que « les charmants récits familiaux » de Zénaïde Fleuriot dont « l’œuvre d’une bonne tenue littéraire est méprisée injustement » ! On pourrait dresser un véritable florilège des expressions d’un passéisme nostalgique, servi par un style désuet et maniéré, et étendre au livre en général, opposé au multimédia, ce que les auteurs nous disent de l’abécédaire : « Solide, maniable, clair et lisible, le texte badinant gaiement avec l’image dans un ballet coloré, tel il restera longtemps encore jusqu’au jour où l’écran aux inquiétantes promesses l’aura réduit à l’abandon dans les vitrines d’un musée de la lecture perdue. »
On ne peut distinguer les contributions respectives des deux auteurs que par l’afféterie du style de l’un et la relative sobriété de l’autre. Heureusement, c’est à la plume de ce dernier qu’on doit le chapitre 13 : « Histoire, patriotisme et conquêtes coloniales », dont on pouvait craindre les accents chauvins après la lecture des premiers chapitres. Cependant, l’œuvre de Hansi, entre autres, se résume à « des amours de paysages et des places de villages dorées » sans aucune référence aux thèses de Claude-Anne Parmegiani, développées dans son ouvrage Les Petits Français illustrés, paru au Cercle de la librairie en 1989, pourtant cité dans la bibliographie.
Enfin, il manque un index des auteurs et des illustrateurs détaillé qui pourrait pallier les inconvénients du classement thématique. Or, le dictionnaire des illustrateurs, de 41 pages, qui énumère tous les titres et toutes les éditions d’un créateur, ne renvoie pas au corps de l’ouvrage. Seul l’index des auteurs (hors dictionnaire) permet de faire des recherches, impossibles pour les illustrateurs.
On souhaiterait également pouvoir localiser tous ces beaux livres dont on nous fait miroiter les splendeurs. Les remerciements adressés en dernière page aux heureux propriétaires de ces trésors ne suffisent pas à nous en informer.
On voit bien les limites d’une telle somme, qui a l’ambition d’être un ouvrage de référence sans en avoir la rigueur et qui ne répond pas non plus aux attentes des amateurs de livres d’art trompés par sa maquette séduisante.