Lecteurs entre page et écran
Arole (Association romande de littérature pour l’enfance et la jeunesse) publie la revue Parole et organise, depuis 1985, des journées de réflexion sur la littérature pour la jeunesse, cette fois-ci consacrées aux nouveaux supports.
Les jeunes lecteurs sont invités à passer de plus en plus fréquemment du livre à l’écran : quels problèmes spécifiques cela pose-t-il ? Quelle est l’implication pour les bibliothécaires pour la jeunesse et, plus largement, quels changements dans la communication ces nouveaux apports virtuels amènent-ils ? tels ont été les différents thèmes abordés.
Les bibliothécaires pour la jeunesse sont confrontés à la question du choix et donc de l’analyse de ces nouveaux supports. Pour ces prescripteurs-médiateurs se pose également la question de la réception qu’en ont les jeunes.
Les cédéroms, typologie et réception
Pili Muñoz, rédactrice en chef de la revue Lecture jeune, propose une analyse critique d’un paysage éditorial contrasté, qui oscille entre une offre commerciale « offensive » et des produits plus exploratoires. En 1999, les ventes ont décollé et la cible jeunesse est une réalité. C’est d’ailleurs la principale motivation d’achat des familles, ce qui explique la faible proportion de créations originales par rapport aux produits éducatifs ou aux dérivés de supports papier ou de séries TV, dessins animés, etc. Ces documents sont complexes à analyser : la qualité de l’illustration d’un livre ne garantit pas forcément un bon cédérom. De même, lorsqu’un album est transformé en récit interactif, l’équilibre entre ce qui est de l’ordre du ludique et ce qui est de l’ordre de l’apprentissage est modifié de façon souvent discutable.
Georgia Leguem, bibliothécaire à la médiathèque des enfants de la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette, pose la question du choix et de l’analyse des produits électroniques pour enfants à partir d’exemples, comme le Théâtre de minuit d’après Pacovska 1, qui invente une écriture « multimédia » et apporte une lecture différente de celle du livre, ou L’album secret de l’oncle Ernest 2 qui permet une remarquable et rare liberté de circulation.
Quant à l’usage des cédéroms en bibliothèque et au rôle que peut jouer le bibliothécaire, les études sont encore peu nombreuses. Il est intéressant de lire l’analyse précise que Georgia Leguem tire de l’exemple de la médiathèque de la Villette en ce qui concerne le public, le comportement et les goûts des enfants, le rôle assigné aux bibliothécaires et l’évolution dans les stratégies d’offre de ces nouveaux supports.
Vincent Jouve nous ramène au Petit prince de Saint-Exupéry, et, à partir de « cette aventure désenchantée », à la difficulté à rendre vivante la lecture sur écran. En effet, les parcours programmés ne pourront jamais rivaliser avec les capacités personnelles du lecteur. En revanche, l’écran permet de commenter la page imprimée et d’en enrichir la lecture.
Autre exemple, l’étude menée par Alain Vuillemin et Karine Gurtner sur les dérivés électroniques des Contes de Charles Perrault, dont les premières tentatives remontent à 1972 et dont l’intérêt scientifique, mais aussi esthétique, varie considérablement d’un produit à l’autre.
Le numérique en bibliothèque et dans la société de l’information
Patrick Bazin, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, élargit le débat à la question du numérique, risque ou chance pour les bibliothèques ? Ses conclusions sont optimistes, à condition que la bibliothèque se positionne clairement par rapport aux autres institutions culturelles et éducatives, de plus en plus nombreuses à offrir initiation et accès aux nouvelles technologies. À elle « d’aménager un espace public du savoir », notion que développe Patrick Bazin en la situant à l’articulation du public et du privé.
Christian Doelker analyse le fonctionnement de la société de l’information en opposant la recherche vitale d’informations qui sont exploitables car univoques, par opposition à la lecture de textes ou d’images, sur papier ou sur écran, « sémantiquement pluristratiques ». Le lecteur doit apprendre à distinguer ces deux niveaux de lecture de façon à en maîtriser le sens.
En conclusion, Jean Perrot s’intéressa aux relations littérature-image depuis les débuts de la littérature pour la jeunesse au XVIIe siècle. Il parle de retour du sublime et « parie » sur l’interactivité, déjà présente dans les livres-jeux, qui modifie le statut du jeune lecteur sur la base du rapport à l’illusion.
Ces actes témoignent de l’intérêt de ces journées. Les communications se complètent bien, même si ce sujet d’actualité est loin d’avoir été épuisé en 85 pages. La diversité des thèmes abordés montre bien que l’on manque encore de recul. S’il est important de se situer dans une problématique générale, il est nécessaire de multiplier les études spécifiques concernant l’offre apportée aux jeunes lecteurs. Comme se demandait Josiane Cetlin dans l’introduction de ces journées : quels seront les souvenirs de lecture des enfants d’aujourd’hui quand on sait que la mémoire, au-delà du sens, se nourrit de sensations, d’odeurs, d’atmosphère... ? À suivre !