L'art d'informatiser une bibliothèque
guide pratique
Pierre-Yves Duchemin
On avait salué comme il se doit, il y a quatre ans, la parution de la première édition de L’Art d’informatiser une bibliothèque, rédigée par Pierre-Yves Duchemin, conservateur à la Bibliothèque nationale de France. Somme d’emblée indispensable à tous les bibliothécaires qui souhaitent appréhender de manière à la fois générale et précise l’informatisation de leur établissement, cet « Art » nous revient dans une nouvelle édition revue avec la collaboration de Dominique Lahary.
Informatisation et réinformatisation
Signe des temps, l’auteur indique en préambule que son ouvrage aurait pu s’appeler tout aussi bien L’Art de réinformatiser une bibliothèque, ou L’Art de gérer l’informatique dans une bibliothèque. C’est que deviennent de plus en plus rares les établissements qui n’ont pas déjà une première expérience de l’informatisation de leur gestion documentaire, alors que se multiplient ceux qui souhaitent acquérir nouveaux matériels et logiciels up to date. Par ailleurs, le Système de gestion intégré n’est plus l’unique voire l’essentielle préoccupation des professionnels, qui ont désormais à composer avec la multiplication d’autres outils informatiques, comme les accès Internet mis à la disposition du public, les réseaux de cédéroms, etc.
En quatre ans, beaucoup d’évolutions se sont produites, mais il est rassurant de constater que, loin de céder aux sirènes médiatiques au goût du jour (et démodées le lendemain), Pierre-Yves Duchemin n’a pas modifié de fond en comble le contenu et le plan de son ouvrage, l’un et l’autre ayant prouvé il est vrai leur intérêt et leur pertinence. Nouveaux supports, nouvelles normes ou nouveaux langages prennent place dans un continuum raisonné, sans se trouver privilégiés du fait de leur jeune âge…
On retrouvera donc dans cette deuxième édition tous les développements sur les grandes fonctionnalités d’un système intégré de gestion de bibliothèque, sur la passation d’un marché, sur la démarche qualité, sur les formats, etc. Une somme peu commune utilement complétée d’un glossaire, et d’une bibliographie plus fournie encore que dans la première édition – et qui comporte bien sûr un grand nombre d’adresses Internet.
Ajouts et simplifications
Au chapitre des simplifications, on appréciera que l’exposé des politiques publiques et de l’état actuel d’informatisation des bibliothèques françaises ait été ramassé et clarifié, alors qu’il était plus éparpillé dans la première édition. Signe des temps sans doute, où l’on voit que les grands plans nationaux sont souvent battus en brèche par l’initiative locale, et que les politiques publiques volontaristes voire autoritaires ont plus de mal à faire admettre leur opportunité et leur intérêt.
Dès lors, l’usager d’emblée satisfait ne peut que pister les écarts les plus patents d’avec la première édition, qui justifient que, de quelque 400 pages, on soit passé à près de 600 ! La répartition de certaines rubriques a été revue, de même que l’ordre de présentation de certains chapitres ou de certains sujets, le tout semblant souvent judicieux, la clarté et la précision du sommaire permettant très facilement (en l’absence d’index) de trouver rapidement le chapitre ou le paragraphe sur un sujet donné.
Si un petit chapitre est consacré au développement des logiciels libres, le sujet n’est pas pour autant exagérément détaillé. Il est vrai que, au risque de paraître cynique, nombre de débats autour de ces questions intéressent davantage les informaticiens que les professionnels de la documentation, ces derniers étant avant tout soucieux de trouver le meilleur rapport qualité/prix d’un produit – puisque prix, de toute façon, il y a. De même, intranet et extranet sont expliqués, mais, là encore, leurs caractéristiques techniques ne sont qu’évoquées, au profit d’une explication claire de leur intérêt (ou non) pour un établissement documentaire.
Normalisation et standardisation
Plus décisifs sont les nouveaux développements du chapitre « Normalisation et standardisation ». Dans la première édition, le chapitre s’intitulait seulement « Normalisation ». La nuance est d’importance : elle sanctionne d’abord le fait que, en complément ou parfois à rebours des grands organismes comme l’Iso, l’Ansi ou l’Afnor, de plus en plus de produits deviennent des références du simple fait d’être, dans un secteur donné, les plus vendus ou les plus utilisés. Qui plus est, et le phénomène va s’accentuant, de plus en plus de standards, voire de normes, conçus sans l’aide de professionnels de la documentation, en viennent progressivement à s’imposer, eux aussi, dans une sphère jusque-là fort protectionniste, et qui se voit incitée, par exemple, à utiliser le format XML (Extensible Mark-up Language), y compris pour le catalogage, alors même que ce format a été préparé à de toutes autres fins.
L’exemple des métadonnées, pratiquement absentes de la première édition, vient aussi prouver que la généralisation de formats de documents électroniques comme HTML « oblige » d’une certaine manière les bibliothèques à susciter un travail de normalisation ou, en l’espèce, de standardisation (Dublin Core) de façon à prendre en compte tout à la fois le développement de ces formats et la spécificité du traitement documentaire, sans lequel il deviendrait (est déjà ?) impossible d’ordonner et de rechercher la masse de documents électroniques disponible.
Certes, les pages consacrées à ces sujets, ou au DOI (Digital Object Identifier) ou à HTTP (Hypertext Transfer Protocol) sembleront parfois bien ardues, mais la clarté de rédaction de l’auteur (des auteurs) permet toujours de comprendre les notions expliquées. On se permettra d’ailleurs, au passage, de souligner combien il est agréable de pouvoir lire des textes sur des sujets techniques – c’est-à-dire apprécier l’effort fourni pour rédiger en bon français, là où, de plus en plus souvent, on a l’impression de parcourir des manuels rédigés à la hâte et traduits par un logiciel...
L’accès public en ligne
Mais, à notre sens, la principale nouveauté de cette seconde édition est la création, presque ex-nihilo, d’un chapitre entier consacré à « L’accès public en ligne ». Le sujet était, certes, largement évoqué dans la première édition, mais il est significatif et parfaitement remarquable que Pierre-Yves Duchemin ait souhaité lui accorder une place essentielle, au cœur de son ouvrage. Car, dans une démarche d’informatisation, on avait souvent l’impression que le public était le grand oublié du projet. Désormais, un tel oubli sera inexcusable !
Présentant les différents périphériques utilisés par le public, le chapitre détaille ensuite les stratégies de recherche qui peuvent être mises à jeu : points d’accès, filtres, opérateurs, traitement des requêtes, rien n’est oublié, mais synthétisé avec beaucoup d’élégance. Affichage, tri des recherches sont mis en perspective avec l’ensemble des outils qui s’offrent désormais aux bibliothécaires comme à leurs usagers, qu’ils soient conservés et gérés au sein de l’établissement ou consultés, via des passerelles spécifiques, sur d’autres serveurs. Ce chapitre, modeste en nombre de pages, se révèle finalement l’un des plus stimulants, rappelant ce qui devrait être des évidences – bien souvent éludées, en fait, par une focalisation excessive sur des problèmes techniques.
La bibliothèque en ligne
Autre chapitre sinon créé du moins profondément remanié, celui consacré à la « bibliothèque en ligne », qui vient succéder, non sans malice, volontaire ou non, à la « bibliothèque virtuelle ». C’est que le virtuel a désormais été accommodé à tant de sauces différentes que le plat a perdu beaucoup de goût... et qu’il convient, par-delà les considérations philosophiques, de garder l’esprit pratique.
Sont ainsi repris et étendus tous les chapitres sur les formats de documents, avec une emphase particulière sur les outils de compression et de décompression des données, qui vient témoigner tout à la fois de la diversité des types de documents désormais disponibles sous forme numérique, et de la nécessité grandissante de la prise en compte des réseaux, de leurs débits et de leurs capacités, tant pour la gestion au sein d’une bibliothèque que pour l’échange avec des publics extérieurs. D’ailleurs, si la première édition s’attachait aux « images numériques », la seconde parle des « documents numériques », preuve de la vulgarisation croissante et des supports, et des usages – et des types de documents.
Au final, on ne peut que saluer cette initiative bien venue, d’autant plus que, si le nombre de pages a considérablement augmenté, le prix est resté pratiquement identique – initiative rare dont il convient sans doute de créditer le Cercle de la librairie !