Actualités québécoises
Marie-Cécile Domecq
Du 25 au 27 mai 2000, la Corporation de bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ) tenait son 31e congrès annuel à Hull (Canada). À cette occasion, une trentaine de conférenciers étaient venus partager leur expérience et leur savoir. Comme chaque année, une grande variété de conférences ont été présentées, certaines illustrant la thématique annuelle – le client : moteur du changement –, d’autres abordant des préoccupations ou dossiers de l’heure.
Vers la bibliothèque de Babel
Pour la conférence d’ouverture du Congrès, Christian Vandendorpe, de l’université d’Ottawa, proposa une réflexion sur l’un des sujets les plus en vogue de ces dernières années : Internet et le document numérique 1.Au cours d’un historique de l’écriture et de ses supports, il évoqua l’évolution de la mise en pages des textes et de son influence sur la lecture. Depuis le papyrus, l’homme a toujours cherché à rationaliser ses modes d’écriture et à améliorer ses performances de lecture, en créant de nouveaux supports plus aisés à utiliser et à conserver, en introduisant des innovations telles que la séparation des mots par des espaces ou l’introduction de la ponctuation... Indéniablement, Gutenberg et la machine à imprimer ont été aussi innovateurs que l’hypertexte..., mais là où les livres et l’imprimerie imposaient ordre et rigueur, l’hypertexte redonne la primeur à la création de la mise en pages (tant pour la typologie que pour le texte), au symbolisme et au virtuel (pensez aux romans « interactifs » de la littérature jeunesse, ces « livres dont vous êtes le héros ») ! Autre réflexion de Christian Vandendorpe citant Alain de Lille, Internet est comme Dieu... « c’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part », détenteur de tous les savoirs et réceptacle de tous les textes.
Et les bibliothèques ? Quel va être leur rôle dans ce nouvel environnement ? Lieux d’archivage, garantes des vieux textes et des antiques supports ? Christian Vandendorpe proposa une image évolutive et hybride des bibliothèques, devenues des instruments d’organisation dans le monde immense d’Internet, véritable représentant de la « Tour de Babel ». Sa réflexion situa le document hypertexte dans une évolution humaine somme toute rassurante. Son exposé historique permit de relativiser la portée des changements générés par les documents hypertexte et nous fit faire le tour de la boucle : l’hypertexte n’est ni plus ni moins que le papyrus dans un format plus évolué !
La Grande Bibliothèque du Québec en mouvement
Au congrès de l’année passée, la CBPQ avait invité Lise Bissonnette, nouvelle directrice la Grande Bibliothèque du Québec (GBQ), à venir rencontrer les professionnels et à présenter les derniers développements 2 du projet. Cette année, l’invitation a été réitérée : Lise Bissonnette est donc venue faire le point et répondre aux questions et préoccupations de l’assistance, tout en espérant que cette rencontre soit un lieu d’échange.
Après un survol historique et politique du projet de construction, elle a rappelé que, depuis le 19 janvier 2000, un décret du Gouvernement du Québec lui donne une autonomie exceptionnelle pour la construction et que des budgets supplémentaires lui ont été alloués. La décision pour le choix des architectes devait être rendue publique à la fin du mois de juin 3 . Pour sa directrice, la GBQ doit être « un lieu civique d’un type inédit, qui permette un accès démocratique au savoir » : « lieu civique » par le choix de son emplacement au sein du Plateau Mont-Royal, « accès démocratique au savoir » par son ouverture sur la diversité des besoins des citoyens ; ainsi 29 espaces culturels ont été identifiés et devront prendre place dans ce nouvel espace. La GBQ reste un sujet de controverse important, et beaucoup d’efforts sont actuellement faits pour faire connaître les décisions de manière adéquate.
Quelques nouvelles des principaux dossiers de l’heure ont été données : en ce qui concerne les négociations pour le développement des collections, Lise Bissonnette espère pouvoir signer des ententes avec la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ) et la Bibliothèque de la ville de Montréal cet automne ; en janvier, Alain Boucher a été nommé au poste de directeur de la planification des technologies de l’information ; Isabelle Charuest a été engagée au printemps 2000 comme coordonnatrice des acquisitions et du développement des ressources documentaires et informationnelles ; quant à la planification de l’ouverture de la bibliothèque, aucune date n’est encore avancée.
Du côté de l’assistance, on commenta les ententes et les implications dans le développement des collections : plusieurs participants ont vivement manifesté leur intérêt de voir la GBQ mettre en place des accords avec des bibliothèques autres que la BNQ et celle de la ville de Montréal. Les bibliothèques scolaires sont les principales intéressées.
Par ailleurs, on s’intéressa aux relations entre la GBQ et Internet : les questions tournaient autour de son implication dans la gestion et la diffusion des documents sur Internet, et de son rôle comme bibliothèque de référence de sites et de ressources francophones disponibles sur Internet. Pour le moment, aucun scénario n’a été mis en avant, Lise Bissonnette et son équipe étudient les expériences des autres grandes bibliothèques nationales. Enfin, la question de l’embauche de bibliothécaires a été soulevée : quand, combien et comment. Actuellement peu de professionnels travaillent pour la GBQ (l’équipe au complet compte dix-huit personnes) et l’ouverture de postes ne débutera pas avant l’année prochaine. Rien de plus ne peut être avancé pour le moment.
L’échange a donc eu lieu : le projet de la GBQ touche toutes les bibliothèques du Québec et tous leurs professionnels. Lors de son prochain congrès, il est à prévoir que la CBPQ ne manquera pas de renouveler son invitation à Lise Bissonnette.
Les tendances professionnelles : 2000 et après
Bibliothécaires, quel va être votre devenir... ? Nous serions actuellement dans l’économie du savoir : « L’économie du savoir est une expression qui désigne l’apport des connaissances et de la technologie à la croissance économique ». De fait, il y a toujours eu du savoir dans l’économie, mais maintenant il est intégré directement dans la croissance. L’information, les communications et l’informatique se sont conjuguées pour transformer la société, mais est-ce suffisant pour la changer ? Pour qu’il y ait une économie du savoir, il faut que l’apport des connaissances et des technologies à la croissance de l’économie soit significatif.
Yves Lirette et André Desnoyers, économistes de Développement des ressources humaines-Canada, étudient les facteurs économiques selon les points de vue industriel (les industries à contenu de savoir élevé ont-elles pris de l’importance ?) et professionnel (les professions à contenu de savoir élevé ont-elles gagné de l’importance ?). En analysant les données pour la croissance au Québec et au Canada de 1985 à 1997 4, ils notent effectivement que ces industries et professions ont crû plus rapidement que les autres (plus du double). Ils définissent le phénomène comme l’émergence d’une économie du savoir, car les emplois se déplacent vers les industries et professions à contenu élevé de savoir, mais dans des proportions plus faibles que ce qu’ils s’attendaient à trouver. Par ailleurs, l’économie et la société se complexifient et le rythme du renouvellement des connaissances augmente, ce qui leur permet d’identifier une nouvelle économie, celle de l’apprentissage.
D’ici les cinq prochaines années, le taux de croissance de l’emploi au Québec devrait se maintenir malgré un ralentissement de l’économie – ce sont les domaines de la santé et des sciences naturelles et appliquées qui devraient être les plus en demande. Les professions en croissance seraient dans le domaine de la gestion, et parmi celles qui demandent des compétences professionnelles (par opposition aux compétences techniques ou élémentaires 5).
À partir de ces données, Yves Lirette et André Desnoyers ont tenté d’analyser le profil professionnel des bibliothécaires 6 et de dégager leurs perspectives d’emploi. Leur nombre devrait augmenter très légèrement au cours des cinq prochaines années. Mais les investissements dans les secteurs traditionnels des bibliothèques ne permettront pas de dégager de nouveaux emplois. La plupart des places à pourvoir seront le fait des départs à la retraite. La profession est en mutation profonde. Parmi les nouveaux créneaux, Internet serait un des principaux fournisseurs direct et indirect d’emploi : formation, recherche d’information, mise en place de ressources pour la recherche, organisation et diffusion d’information. Des postes liés à la gestion ou aux technologies de l’information et des communications pourraient offrir des débouchés intéressants. Parmi les nouveaux groupes de bibliothécaires, ils identifient les courtiers en information, les formateurs de gestion de l’information et les veilleurs stratégiques. Les travailleurs autonomes restent encore assez rares.
Les employeurs recherchent les caractéristiques professionnelles suivantes : des candidats maîtrisant les aspects techniques de la bibliothéconomie (la connaissance des logiciels, des nouveaux outils Internet, est un atout), se maintenant au courant de l’évolution de la profession, ayant une solide culture générale, un bon sens de l’organisation, des capacités à communiquer et à s’adapter, ayant pour qualités d’être autonomes, minutieux, polyvalents, ouverts d’esprit et... bilingues ! L’économie bouge vite. Les bibliothèques et les bibliothécaires ont leur place dans une économie toujours plus consommatrice d’information. Le dynamisme de la profession et son implication dans les nouveaux médias devraient permettre le développement de créneaux d’intervention.