La documentation électronique en ligne.
Aline Girard-Billon
Le vendredi 26 mai, alors que se déroulait en parallèle à Luxembourg une journée d’étude sur l’intercommunalité, s’est tenu à Nancy à l’invitation de l’Institut de l’information scientifique et technique (Inist) un pré-séminaire sur « la documentation électronique en ligne ». Après une brève allocution de bienvenue d’Alain Chanudet, directeur de l’Inist, la matinée, animée par Gérard Briand, a vu se succéder à la tribune juristes et professionnels des bibliothèques et de la documentation pour un état des lieux.
L’état du droit
Tout d’abord, l’état du droit fut exposé par Alain Marter, avocat spécialiste du droit d’auteur et professeur associé à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib). Dans une intervention d’une remarquable clarté, il a rappelé les sources du droit d’auteur, dont la conception remonte à 1777, les règles du droit de la propriété littéraire et artistique régie par la loi du 11 mars 1957 actualisée en 1985, règles reprises dans le Code de la propriété intellectuelle de 1992. Puis il s’est interrogé sur la façon dont le respect des droits patrimoniaux (droits de reproduction et de représentation) par lesquels l’auteur contrôle la commercialisation de son oeuvre, et le respect des droits moraux (droit de divulgation, droits au respect du nom et de la qualité et au respect de l’œuvre, droit de retrait) qui fixent les liens entre l’auteur et l’œuvre, peuvent être assurés dans le domaine de la documentation électronique. Cette question est largement traitée au sein de la Communauté européenne, dans des débats longs et contradictoires, qui jusqu’à présent n’ont pu aboutir à un consensus, mais qui laissent apparaître une tendance nette, celle d’une faible tolérance à l’égard des utilisateurs finals (dont les bibliothèques), non autorisés en principe à déroger au droit d’auteur 1.
Fred J. Friend, juriste lui aussi, directeur de la communication à l’University College of London, a tout d’abord poursuivi le développement précédent. La question de la propriété littéraire, maîtrisée et limitée dans le cadre de l’édition imprimée, est devenue un véritable enjeu, notamment économique, depuis que la technologie (reprographie, informatique) permet de nouvelles appropriations de la chose écrite. Puis il a exposé en détail les avantages liés, dans le domaine de l’édition électronique, à l’extension du système de licence entre l’éditeur et la bibliothèque, largement pratiqué au Royaume-Uni 2. Il a souligné la nécessité de simplifier les procédures, et si possible de les modéliser, sur la base de termes communs acceptés par les éditeurs, libraires, bibliothécaires et usagers, et dans le cadre de la législation européenne.
L’état de l’offre éditoriale
C’est l’état de l’offre éditoriale dans le domaine de la documentation électronique en ligne que l’intervention de Simone Jérôme, chercheur à l’université de Liège et responsable de la bibliothèque de chimie de l’université, devait nous permettre d’appréhender sur un plan global. Or, dans le discours, d’une part la documentation électronique en ligne s’est trouvée réduite aux périodiques électroniques scientifiques, d’autre part l’exposé sur les avatars du journal scientifique depuis sa création en 1665, bien que brillant et humoristique, a accentué la dérive du propos.
Il n’en reste pas moins que les informations sur les périodiques électroniques scientifiques étaient pleines d’intérêt, aussi bien sur l’évolution du contenu (périodique clone de l’édition imprimée, périodique à valeur ajoutée, périodique exclusivement électronique) que sur les méthodes de vente actuellement pratiquées (ventes par lots, prix différencié selon les catégories de clients, pay per view, présentation en portail). Simone Jérôme, comme son prédécesseur, a insisté sur la nécessité pour les bibliothèques de s’organiser face au monde de l’édition et de la diffusion, par la négociation de licences et par la constitution de consortiums, tout en faisant apparaître que la pratique du consortium risque rapidement de peser par son centralisme et la lourdeur bureaucratique associée, et de freiner la recherche de solutions véritables.
Conclusion fort à propos pour introduire l’intervention suivante, celle d’Iris Reibel, directrice du Service commun de la documentation (SCD) de Strasbourg 1, qui a décrit dans le détail les modalités de fonctionnement du consortium Couperin (COnsortium Universitaire pour les PÉRIodiques Numériques). Constitué dans l’optique d’un service multisites et d’une approche pluridisciplinaire, le consortium Couperin (association loi de 1901 depuis janvier 2000) réunit aujourd’hui plusieurs bibliothèques universitaires et a pour objectif de négocier avec les éditeurs de périodiques électroniques et d’élargir la couverture documentaire en mutualisant les abonnements. Il a passé des accords avec des éditeurs de périodiques électroniques scientifiques, tels qu’Elsevier, Academic Press, American Chemical Society, Springer, Wiley, American Institute of Physics. La négociation porte en principe sur la totalité des titres d’un éditeur, néanmoins la question de l’accès aux années antérieures n’est pas encore totalement résolue 3.
Francis André, responsable du service Prospectives de l’Inist, a animé la séance de travail de l’après-midi, centrée sur le rôle de l’administration du ministère de l’Éducation nationale et sur l’édition scientifique, après avoir clos la matinée par une présentation de l’offre électronique du CNRS, offre institutionnelle originale qui se distingue des modèles contractuels offerts par les éditeurs commerciaux.
Démarche et implication institutionnelle
Quelles sont aujourd’hui la démarche et l’implication de la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation (SDBD) dans le domaine de la documentation électronique? La SDBD, par la voix de Chantal Freschard, chef du Bureau de la modernisation des bibliothèques, définit dans ce champ son action selon plusieurs axes : observation des usages et de l’offre, incitation et soutien, coordination et partenariat. L’observation repose essentiellement sur l’enquête statistique annuelle qui permet d’apprécier l’évolution des pratiques des usagers des bibliothèques universitaires, l’état de l’offre documentaire électronique et les projets de groupements d’achats. L’incitation est forte et le soutien réel (notamment par la prise en charge partielle des surcoûts d’abonnements aux périodiques électroniques), mais il faut constater que la part réservée à l’acquisition de documents électroniques (43 MF en 1999) reste faible sur un budget global lui-même peu élevé (300 MF pour environ 100 bibliothèques dépendant de l’Enseignement supérieur) et constant depuis plusieurs années. Les consortiums sont certes la solution à la mutualisation des ressources électroniques, mais la SDBD ne peut jouer le rôle de coordinateur et de négociateur national, d’une part par manque de ressources humaines et financières, d’autre part en raison de l’existence de besoins documentaires très spécifiques selon les universités, censés trouver plus facilement une solution dans des négociations entre partenaires concernés.
À sa suite, Bruno Van Dooren, chef du projet bibliothèque à l’Association de préfiguration de l’Institut national d’histoire de l’art, a présenté rapidement les grandes lignes du « rapport Van Dooren » Bibliothèques universitaires et nouvelles technologies, élaboré à la demande du ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie et remis en juin 1999. Trois programmes y sont détaillés : organiser la production des documents électroniques, organiser la diffusion de l’information électronique, organiser les conditions d’usage des technologies de l’information. Précisons que l’ensemble du rapport est accessible sur le site du Ministère 4.
La journée s’est terminée par une table ronde sur l’édition scientifique qui a repris les thèmes traités dans la journée, sans réels développements nouveaux. Au total, des informations précises et intéressantes, peu de débats, quelques propos témoignant d’une anxiété de la profession face à l’édition électronique et d’un besoin important de « décodage » du domaine qui paraît encore « fermé » à beaucoup, mais aussi d’une méconnaissance du rôle de l’éditeur, qu’il soit électronique ou traditionnel. Un regret cependant : que le thème annoncé « La documentation électronique en ligne » ait été traité presque exclusivement sous l’aspect des périodiques électroniques. L’édition électronique en ligne va aujourd’hui bien au-delà…