Une école ouverte dans une bibliothèque municipale

L'expérience d'Örebro en Suède

Catharina Stenberg

En Suède, les bibliothèque municipales ont toujours eu un rôle important à jouer dans la transmission de la connaissance. L’exemple de la bibliothèque municipale d’Örebro, qui a créé, dans ses locaux, une école ouverte à tous, sans aucune contrainte, illustre l’un des points sur lesquels la loi de 1996 sur les bibliothèques insiste tout particulièrement, à savoir le développement de leurs missions pédagogiques.

In Sweden, the municipal libraries still have an important role to play in the transmission of knowledge. The example of the municipal library of Örebro, which has created, on its premises, a school open to all, without any constraint, illustrates one of the points on which the 1996 law on libraries particularly stressed, to know the development of their pedagogic missions.

Die schwedischen Stadtbibliotheken hatten bei der Weitergabe von Kenntnis immer eine wichtige Rolle zu spielen. Das Beispiel der Stadtbibliothek von Örebro, die in ihren Gebäuden eine allen ohne jede Einschränkung zugängliche Schule geschaffen hat, veranschaulicht einen der Punkte, auf den das Gesetz von 1996 über die Bibliotheken einen ganz besonderen Akzent legt, und zwar die Entwicklung ihrer pädagogischen Aufgaben.

En Suecia, las bibliotecas municiaples han tenido siempre un papel importante que desempeñar en la transmisión del conocimiento. El ejemplo de la biblioteca municipal de Örebro, que ha creado, en sus locales, una escuela abierta a todos sin ninguna restricción, ilustra uno de los puntos sobre los cuales la ley de 1996 sobre las bibliotecas insiste muy particularmente, es decir el desarrollo de sus misiones pedagógicas.

Une bibliothèque municipale qui crée une école ouverte, une école ouverte à tous, c’est une expérience de ce genre qu’on a vu naître il y a quelques années dans les bibliothèques suédoises. Les bibliothèques municipales suédoises, dont les racines plongent dans l’éducation populaire, n’ont jamais abandonné le mot « peuple » dans leur dénomination : « folkbibliotek », ou « bibliothèque pour le peuple »

Les bibliothèques municipales suédoises fonctionnent souvent comme des centres de ressources dans ce qu’on appelle « la société de la connaissance », dénomination attribuée par les instances ministérielles. Cela consiste à permettre à tous les adultes ayant un niveau d’éducation élémentaire de participer à ce qu’on appelle « l’élévation de la connaissance » (kunskapslyft), terme également choisi au niveau gouvernemental. Ce type d’enseignement est généralement dispensé par des organismes chargés de l’éducation populaire, dispersés dans tout le pays.

Pour un certain nombre de personnes plus âgées, il s’agit de pouvoir reprendre, durant le reste de leur vie, une formation, afin d’acquérir des connaissances qu’il ne leur avait pas été donné d’acquérir auparavant.

Comment une bibliothèque municipale suédoise, en créant une école ouverte, a-t-elle décidé de participer à cette politique d’éducation nationale continue? L’exemple de la bibliothèque municipale d’Örebro va nous aider à répondre à cette question.

Örebro se trouve dans le département de Närke. C’est une ville, centre administratif et régional, qui compte 120000 habitants environ. La bibliothèque départementale inclut la bibliothèque municipale de la ville d’Örebro, qui est politiquement gérée par une commission de formation.

Ce sont des décisions politiques et l’appui convaincu du directeur de la bibliothèque qui ont permis d’établir une école ouverte dans la bibliothèque municipale de cette ville. Créée en 1998, cette école ouverte a pour objectifs :

– d’offrir une formation continue à toute personne qui le désire;

– de développer les intérêts et les capacités de chacun;

– d’améliorer l’intégration des immigrés dans la société;

– de donner envie de se former tout au long de sa vie (lifelong learning);

– de rompre avec un isolement social.

L’école ouverte est située dans les locaux de la bibliothèque municipale. Son financement n’est pas seulement affaire de la ville, mais aussi de l’État suédois (à travers le projet « Élévation de la connaissance »).

L’école est ouverte quatre jours par semaine. Deux professeurs sont chargés d’instruire les nouveaux arrivants, qui viennent volontairement et à n’importe quel moment de la journée. Les bibliothécaires ne participent pas à cet enseignement, mais il peut leur être demandé de faire quelques conférences (booktalks).

La matière enseignée est choisie par les usagers dont on essaie de satisfaire toutes les demandes de formation. Une tendance se dégage cependant : les demandes portent surtout sur les mathématiques, la langue suédoise, la langue anglaise, et les nouvelles technologies.

Les usagers de l’école ouverte de la bibliothèque municipale d’Örebro doivent définir eux-mêmes le genre d’études dont ils ont besoin. Aucune inscription, ni enregistrement préalables ne sont exigés, et aucun contrôle de présence n’est effectué. Mais ceux qui participent inscrivent leur nom dans le livre des visiteurs.

Étudiants de tous âges : lycéens, retraités…

Au cours d’un trimestre, on dénombre quotidiennement une trentaine d’étudiants/usagers. Ce sont des adultes de tous âges, depuis des lycéens jusqu’à des retraités. Il y a à peu près autant d’hommes que de femmes.

Les locaux ressemblent aussi peu que possible à ceux d’une école. Les professeurs, appelés instructeurs, demandent aux usagers de définir les sujets sur lesquels ils désirent enrichir leurs connaissances et la méthode qu’ils souhaiteraient voir utiliser. La recherche de solutions individuelles est constante. Cela concerne aussi les horaires d’enseignement. Si les usagers le demandent, les instructeurs travaillent également le soir.

Comme je l’ai déjà souligné, tout est basé sur le principe du volontariat de la part des étudiants/usagers. Aucune note n’est donnée, aucun examen exigé. Ceux qui participent régulièrement à l’école ouverte de la BM d’Örebro peuvent obtenir, à leur demande, un certificat de présence.

Le programme d’enseignement couvre plusieurs cours de l’école élémentaire suédoise ainsi que du lycée. Les instructeurs peuvent également ajouter des contenus éducatifs qu’ils jugent indispensables.

Les étudiants ont, de plus, la possibilité d’utiliser toutes les ressources de la BM d’Örebro – les livres, les autres médias, et aussi, bien entendu, les bases de données utilisées pour la recherche d’information. Il s’agit d’aider à faire évoluer les compétences créatives, sociales et communicatives de chaque individu ou bien d’un groupe. Dans le processus d’aide à la recherche d’information, les bibliothécaires interviennent – et c’est une de leurs fonctions habituelles – en apprenant aux usagers de l’école ouverte à améliorer leurs capacités de recherche dans la bibliothèque elle-même.

Une amélioration du rôle pédagogique

La loi sur les bibliothèques suédoises (SFS 1996 : 1596, Bibliotekslagen) insiste sur le fait que « pour promouvoir l’intérêt pour la lecture et la littérature, pour développer l’information, la formation et des actions culturelles, il faut que tous les citoyens aient accès à une bibliothèque municipale ». Sur ce point la loi est exigeante. Elle impose désormais à chaque commune de créer une bibliothèque et d’offrir ses services à la population. On peut donc déduire que la loi exige des bibliothèques suédoises d’améliorer et d’approfondir leurs missions pédagogiques. Cette même loi exprime aussi qu’un des buts essentiels des bibliothèques municipales et scolaires consiste à accorder une forte attention à certains groupes défavorisés (les handicapés, par exemple), ainsi qu’aux immigrés et aux autres minorités – en offrant, par exemple, de la littérature en langues étrangères et des activités bien adaptées à chacun de ces groupes.

À mon avis, la bibliothèque municipale d’Örebro a bien compris les idées essentielles de cette loi, fruit d’une volonté officielle de faire évoluer les bibliothèques.

Qu’en pensent les bibliothécaires ?

La direction de la bibliothèque municipale d’Örebro a une vision très positive de cette action. Pour elle, avoir établi cette école dans la bibliothèque est un atout. La fréquentation de l’école – milieu ouvert où tout le monde peut venir – permet, en effet, à ses usagers de découvrir la bibliothèque. De plus, au contraire de certaines écoles, la bibliothèque n’est pas liée à une notion d’obligation. Pour la direction, il est également bien que la bibliothèque puisse rémunérer elle-même le personnel de l’école ouverte.

Mais certains bibliothécaires émettent des réserves et sont réticents à l’idée que la bibliothèque s’occupe d’enseignement. Il n’est pas évident non plus de déterminer quand s’arrête l’offre de la bibliothèque et quand doit commencer celle de l’école ouverte. Le métier de bibliothécaire diffère de celui de professeur, mais, à Örebro, les deux rôles semblent de temps en temps se confondre.

Cette expérience d’école dans une bibliothèque a eu un fort impact en Suède. Par-delà cette notoriété subsiste le vieux rêve de la bibliothèque comme lieu où tout citoyen a le droit de se procurer les outils nécessaires pour participer à la démocratisation de la société, à l’évolution vers une société plus égale et plus juste.

Comme l’a souligné le professeur Maj Klasson, la démocratisation du savoir pourrait être considérée comme un exemple moderne de la longue tradition suédoise d’éducation populaire, où la bibliothèque municipale a un rôle important à jouer dans la transmission de la connaissance, et où elle peut intervenir à divers niveaux dans l’éducation populaire libre et volontaire.

Comme il y a cent ans, cette éducation populaire en Suède se déroule dans des cercles d’étude, où des étudiants se réunissent le soir, après une journée de travail, et étudient sur un thème donné.

L’école ouverte d’Örebro pourrait aussi, à mon avis, s’inscrire dans une tradition de bibliothèque sociale. C’est une nouvelle façon d’aller vers les non-usagers – question souvent débattue en Suède –, vers ceux qui ne sont pas assez motivés pour fréquenter spontanément la bibliothèque.

Il s’agit aussi d’une mutation des actions menées par les bibliothèques, d’une évolution qui se manifeste dans le travail quotidien, mais qui reste cependant encore assez peu répandue en Suède.

Comme sans doute tout profond bouleversement dans la manière de travailler d’une bibliothèque, ce type d’école ouverte dans une bibliothèque municipale nécessite d’importantes ressources humaines et financières.

D’autres questions restent encore à poser, fort liées à cette transformation de la bibliothèque municipale : un tel renouveau pédagogique ne risque-t-il pas de perturber les habitudes des « vieux » usagers de la bibliothèque? Les actions pédagogiques doivent-elles se développer au détriment des actions de médiation culturelle de la bibliothèque? Comme je l’ai déjà souligné, la loi sur les bibliothèques suédoises exige de la bibliothèque municipale de « promouvoir l’intérêt pour la lecture et la littérature ».

La politique suédoise en matière de lecture publique a pour but, depuis les années quatre-vingt, de diffuser, par le biais des bibliothèques, des ouvrages de fiction, de poésie et des livres « de bonne qualité », comme on dit en Suède, à des groupes toujours plus vastes… Les objectifs seront-ils si différents, qu’il sera impossible à une seule bibliothèque de tous les remplir? La décision sur le choix de la priorité est une décision politique… qui peut d’autant plus varier que chaque municipalité suédoise se gère librement. La commune d’Örebro a, quant à elle, choisi la priorité pédagogique pour sa bibliothèque.