Rapport pour les années 1998-1999

par Silvio Marchetti

Conseil supérieur des bibliothèques

Paris : Association du Conseil Supérieur des Bibliothèques, 1999. - 120 p. ; 30 cm. ISSN 1157-3600.

Le rapport du Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) offre, chaque année, un tableau précis des forces et des faiblesses des bibliothèques françaises. Avec l'inspection générale des bibliothèques (IGB), le CSB est l'une des deux instances capables de donner une vision en quelque sorte transversale de l'état des bibliothèques. Ainsi, sa lecture attentive s'impose aux bibliothécaires, mais aussi « au public large de tous ceux qui, à titres variés, prennent intérêt aux bibliothèques » 1.

D'emblée, la lettre du président Jean-Claude Groshens, adressée au Premier ministre, souligne deux problèmes majeurs : en premier lieu, la négociation difficile, en l'absence de réformes législatives récentes et appropriées, des licences d'exploitation des ressources électroniques, quand les bibliothécaires ont à défendre à la fois le droit des lecteurs, usagers du service public, à l'information, et le droit des auteurs garanti par la loi ; en second lieu, une question qui engage la responsabilité des pouvoirs publics, celle de la protection des grandes collections patrimoniales hors Bibliothèque nationale de France (BnF), ce sujet ayant préoccupé le CSB avant même l'incendie désastreux de la bibliothèque du quai Claude-Bernard (Université de Lyon 2-Lyon 3) 2.

Sous le signe des anniversaires – dix ans pour la création du CSB, quinze ans pour la loi créant un service commun de la documentation dans chaque université, vingt ans après l'ouverture de la Bibliothèque publique d'information (BPI), vingt-cinq ans pour la mise en place de la Direction du livre et de la lecture –, le CSB, dans une introduction vigoureuse, proscrit tout triomphalisme : le chemin parcouru mérite certes considération, mais un « deuxième souffle » est attendu, sous peine d'une décélération, sans doute brutale, du dynamisme des bibliothèques.

Tout en citant trois réussites exemplaires, la BPI, la bibliothèque municipale de Lyon et la bibliothèque de l'université de Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, le CSB annonce les actions à renforcer : l'amélioration de la conservation du patrimoine détenu par les bibliothèques, le travail sur la constitution des collections et leur accès (le cœur du métier de bibliothécaire !), le développement de l'évaluation, la coopération que l'État doit favoriser après l'éclatement des structures administratives traditionnelles, devrait-on pour cela « transgresser certaines frontières qui relèvent d'un autre âge administratif ». Enfin, deux dossiers restés pendants sont soulignés : le statut de l'IGB et la situation des bibliothèques interuniversitaires (BIU) de Paris-Centre.

Informatisation et ressources électroniques

Le bilan présenté ici fait ressortir, pour les bibliothèques municipales, la disparité entre régions et entre villes de taille différente et, pour les bibliothèques universitaires (BU), un objectif pratiquement atteint, celui de l'informatisation de leur gestion ; l'effort de modernisation se poursuit dans les BU, avec des moyens ayant triplé de 1995 à 1998, consacrés par le ministère chargé de l'Enseignement supérieur. Les exemples de la BPI et de la bibliothèque municipale de Lyon montrent les progrès attendus d'une réinformatisation réussie.

Le catalogue restant l'élément central des systèmes d'information, le Conseil souhaite la mise en œuvre de vastes programmes de rétroconversion, pour assurer « la visibilité nationale et internationale des ressources documentaires » : pour les seules BU, cinq millions de notices restent à réaliser et les catalogues du XIXe siècle et du début du XXe siècle n'ont pas encore été pris en compte.

Avec le même souci, le CSB montre l'intérêt des grands projets nationaux : le système universitaire de documentation (SU) confié à l'Agence bibliographique de l'enseignement supérieur (ABES) et le Catalogue collectif de France (CCFr) conduit par la BnF. Leur réussite est essentielle pour offrir demain « un service de qualité aux usagers dans le contexte de l'Europe et de la mondialisation des échanges documentaires ». Le Conseil compte même sur un effet mobilisateur au sein des bibliothèques, contribuant parallèlement à une mutualisation des ressources. Quand celles-ci sont électroniques, on passe à une étape supplémentaire dans la gamme des services offerts au public. Le CSB plaide pour la banalisation des ressources électroniques au sein des établissements et rejette toute opposition entre ressources des réseaux et collections physiques des bibliothèques. Pour renforcer son propos, il résume en dix points ses recommandations adressées aussi bien aux tutelles nationales et locales des bibliothèques qu'aux bibliothécaires.

La Bibliothèque nationale de France

La densité des quelques pages consacrées à la BnF renforce la gravité des observations :

ambiguïté des objectifs assignés par les pouvoirs publics (en sus de sa mission traditionnelle, la BnF s'alourdissait de missions inédites : ouverture au grand public, développement des ressources audiovisuelles et conduite d'une politique documentaire nationale avec la création des pôles associés et le CCFr) ;

oubli ou brouillage de la mission centrale de dernier recours et de soutien à la recherche de la BnF. Néanmoins, au-delà de la crise et des difficultés traversées, la BnF rénovée peut afficher des réussites : l'informatisation rétrospective complète des catalogues des imprimés, le transfert heureux et rapide des collections, la qualité du site Web, la démultiplication des services offerts aux lecteurs français et étrangers.

Encore faut-il faire progresser, en priorité, la gestion des ressources humaines, élément central de performance d'un grand établissement : responsabilisation des équipes de travail, dialogue interne et amélioration des relations sociales ; et passer sans doute d'une logique de prééminence des règles à une logique de résultats. D'autant que certains chantiers ou programmes – le système informatique, la conservation, le traitement des documents, par exemple – rencontrent des difficultés majeures. Dans ce chapitre, le CSB conclut en mettant en garde la BnF contre toute « tentation d'insularité » et en réaffirmant sa volonté de diffuser une information non polémique sur les activités de la BnF.

Les bibliothèques des universités

Dix ans après le rapport Miquel, celui du sénateur Jean-Philippe Lachenaud 3 a fait le point sur les progrès des BU au cours de la dernière décennie : des idées reçues s'effacent et, appuyée par une politique contractuelle efficace, leur rénovation est bien visible ; près de 340 000 m2 nouveaux en dix ans, des bâtiments ouverts et flexibles, des documents toujours plus nombreux en libre accès, un usage étendu des ressources électroniques, tout cela fait que les BU « offrent à la communauté universitaire un véritable lieu de vie, de travail et d'échanges ». Budgets en hausse régulière, créations d'emplois (1 500 depuis 1990), ouverture hebdomadaire moyenne ayant fait un bond de quarante heures en 1988 à cinquante-quatre heures en 1999, « ces indicateurs permettent de considérer que l'époque de la misère des bibliothèques universitaires est révolue ». Restent à gérer la révolution numérique et son corollaire, « l'hybridation » de la BU devant proposer à la fois collections physiques de documents et ressources numériques, malgré le surenchérissement des coûts de la documentation.

Dans le domaine des formations à la méthodologie documentaire, désormais indispensables face à la complexité croissante de la documentation disponible, le CSB salue l'arrivée de Formist (Formation à l'information scientifique et technique), outil nécessaire de formation autonome à l'usage de l'information 4.

Enfin, une question non résolue préoccupe le Conseil, celle des grandes bibliothèques universitaires patrimoniales : les collections importantes à dimension patrimoniale ne sont pas bien traitées et le champ de l'interuniversitaire documentaire ne fonctionne pas. Sont concernées les principales BIU parisiennes et, en province, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Clermont-Ferrand, Montpellier et Lyon (même si l'incendie a détruit une partie du fonds, quai Claude-Bernard). Aussi, le Conseil tire le signal d'alarme et souhaite des initiatives déterminées pour sortir du marasme actuel des bibliothèques, aux « locaux malcommodes et sans sécurité, saturés… dans l'incapacité de valoriser des fonds de grande qualité, qui vivent au jour le jour… ». Ces bibliothèques doivent, grâce à un projet et à un statut adaptés, retrouver une légitimité tant politique que scientifique. À défaut, « le statu quo sera mortel » !

Les bibliothèques municipales et départementales de prêt

Le diagnostic du Conseil sur la construction du réseau de lecture publique fait observer que notre pays est à mi-chemin, avec un état de carence dans quarante et un départements (vingt-cinq millions de Français), où les bibliothèques disposent de moins de deux livres par habitant à desservir. Dans la carte des inégalités, on retrouve la fameuse « diagonale aride » ou de désertification connue des spécialistes de l'aménagement du territoire, mais avec des zones supplémentaires sous-dotées de façon inquiétante. Si on ajoute à cette disparité géographique les inégalités sociales dans l'accès à l'écrit et à la lecture, les équipements, en particulier pour irriguer les quartiers des villes, restent très insuffisants, d'autant que l'horaire moyen d'ouverture est faible : dix-neuf heures par semaine dans les bibliothèques municipales.

Le Conseil évoque, en parallèle avec les observations sur les BU, la question de la protection du patrimoine écrit détenu par l'ensemble des BM, au-delà des cinquante-quatre bibliothèques municipales classées, en affirmant d'entrée que c'est un domaine où les responsabilités respectives de l'État et des collectivités doivent être mieux précisées. Le risque, en effet, serait de laisser des collections patrimoniales significatives dans leur mauvais état matériel actuel qui les rend proprement incommunicables.

Après avoir réaffirmé, une nouvelle fois, que la coopération entre bibliothèques, quelles que soient les frontières administratives, est le complément obligé de la décentralisation, le CSB entend ouvrir la réflexion sur les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR), en particulier pour donner corps à leur fonction régionale.

Les bibliothèques départementales de prêt animent – pour certaines d'entre elles, très efficacement – un réseau de bibliothèque de proximité ; cependant, de nouveau, malgré un « deuxième souffle » après la décentralisation, la situation reste disparate d'un département à un autre. Leur rôle de centre de ressources, d'assistance technique, d'agent de l'intercommunalité est donc, lui-même, assuré inégalement.

Les bibliothèques scolaires

En consacrant le dixième de son rapport aux bibliothèques scolaires, le Conseil souligne leur responsabilité majeure au sein du système éducatif : elles sont bien au cœur des relations entre l'école, le livre et la lecture. Hélas ! plus du tiers des bibliothèques d'école vivent d'expédients, et les 7 000 centres de documentation et d'information (CDI), malgré la présence de 5 272 professeurs certifiés en documentation, disposent, en général, de moyens assez faibles, d'où l'insatisfaction de nombreux collégiens et lycéens à l'égard de ce qui devrait être « le centre de la vie du collège ou du lycée ». Ceci rend indispensable des coopérations durables entre bibliothèques de lecture publique et bibliothèques scolaires ; le Conseil rappelle son indication, déjà ancienne (1993) : « Il semblerait archaïque qu'une situation générale de concurrence ou d'ignorance se pérennise ».

Le métier de bibliothécaire

Le Conseil ne pouvait que rappeler, une fois encore, la complexité et l'inadéquation des statuts des personnels, d'État et territoriaux, des bibliothèques. Situation aggravée par des modes inadaptés de recrutement et de formation des lauréats, en particulier pour les bibliothèques des collectivités territoriales : cela « interdit toute préparation sérieuse à une entrée dans le métier » D'où le recours à des non-titulaires et à de nombreux emplois-jeunes, avec un réel danger de déqualification de la profession si des dérapages s'opèrent ; il ne faut donc accueillir ces emplois-jeunes qu'au sein d'équipes de bibliothécaires formés et compétents, capables d'assurer leur tutorat, leur formation et, au-delà, leur accès possible aux concours de la fonction publique.

Enfin, pour étayer son analyse du métier de bibliothécaire, le Conseil signale les trois enquêtes, à son initiative : deux d'entre elles s'intéressent, par commodité, à la population des conservateurs – parcours professionnel (cinq dernières années) et activité de publication ; la troisième à l'organisation du travail dans les bibliothèques les plus importantes (BU, BDP, BM).

Les annexes proposées sont importantes et constituent un complément très significatif, fait de plusieurs textes et bilans significatifs : une « Lettre ouverte aux éditeurs de périodiques scientifiques de la Commission pour les acquisitions et le développement des fonds » (Deutsches Bibliotheksinstitut) qui s'indigne de l'inflation des coûts de la documentation scientifique, véritable spirale infernale où, après la perte de la clientèle des bibliothèques, les éditeurs eux-mêmes se verront entraînés.

Geneviève Boisard fait le « Bilan annuel de la commission Information et Documentation de l'Association française de normalisation (Afnor) ». « La Direction du livre et de la lecture : premiers pas, premières pages », par Anne-Marie Bertrand, est une remarquable synthèse sur les circonstances et le contexte politique dans lesquelles cette direction fut créée, il y a vingt-cinq ans. Marcelle Beaudiquez résume « l'évolution des services bibliographiques nationaux à l'aube du XXIe siècle ». Enfin, un panorama statistique de l'Europe des bibliothèques, comme dans le rapport précédent, constitue un outil pour de très intéressantes comparaisons.

Chacun comprendra que le présent résumé ne saurait épuiser la richesse des observations et des réflexions du rapport : sa lecture attentive est donc indispensable, car le CSB a prouvé, depuis dix ans, et à maints moments décisifs, qu'il est irremplaçable. Pour l'analyse de la situation des bibliothèques françaises, comme pour la pertinence des recommandations qu'il adresse aux pouvoirs publics.