L'implication des personnels dans la conception d'une bibliothèque universitaire
La future bibliothèque centrale de l'université Toulouse 2-Le Mirail
Jean-Claude Annezer
Jean-Luc Gabenisch
Depuis mai 1995, un groupe de travail, composé de personnels de bibliothèque et d'enseignants, a participé à la conception fonctionnelle du nouveau bâtiment de la bibliothèque centrale, prévu dans le cadre du programme Université 2000. Comment les personnels ont-ils vécu leur implication dans ce projet ? Dans quel esprit et avec quelles perspectives ? Les réflexions proposées esquissent une première réponse dans le sens d'une appropriation collective lucide et responsable.
Since May 1995, a working group, composed of personnel from the library and teachers, has participated in the functional conception of a new building for the central library, anticipated within the scope of the programme Université 2000. How have the personnel seen their involvement with this project? In what spirit and with what perspectives? The reflections offered outline a first response in the sense of a collective appropriation that is both lucid and responsible.
Seit Mai 1995 hat eine aus Bibliothekspersonal und Dozenten bestehende Arbeitsgruppe im Rahmen des Universitätsprogramms 2000 an der Gestaltung des neuen Gebäudes der Zentralbibliothek mitgewirkt. Wie hat das Personal die Teilnahme an diesem Projekt erlebt? Mit welcher Geisteshaltung und welchen Aussichten ? Die ersten Überlegungen zeigen eine gemeinsame, klarsichtige und verantwortungsvolle Aneignung des Projekts.
Desde mayo de 1995, un grupo de trabajo, compuesto de personal de biblioteca y docentes participó en la concepción funcional del nuevo edificio de la biblioteca central, previsto en el marco del programa Universidad 2000. ¿ Cómo el personal ha vivido su implicación en este proyecto ? ¿ Con qué espíritu y con qué perspectivas ? Las reflexiones propuestas esbozan una primera respuesta en el sentido de una apropiación colectiva lúcida y responsable.
En créant officiellement son Service commun de la documentation (SCD) en 1995, l’université Toulouse 2-Le Mirail s’est dotée d’une structure qui doit lui permettre d’œuvrer plus efficacement en faveur d’une coordination documentaire entre les diverses composantes (bibliothèque universitaire centrale, bibliothèques des unités de formation et de recherche-UFR et des départements, centres de recherche…) selon un plan d’ensemble concerté et avec une souplesse suffisante pour répondre à la diversité des situations.
Cette nouvelle organisation a aussi pour objectif de lier plus étroitement la politique documentaire à la politique d’enseignement et de recherche. Elle implique donc une vision globale et une maîtrise de contraintes liées à l’histoire, à l’environnement et aux mentalités : mise en commun et partage, optimisation des ressources disponibles, informatisation de la gestion et de l’exploitation des flux documentaires.
Une dynamique s’est amorcée : les intentions sont affichées et les complémentarités clarifiées, une nouvelle logique de fonctionnement se met en place favorisant une reconfiguration des fonctions et l’apprentissage de nouvelles procédures.
Le projet de construction
Le projet de construction du bâtiment central s’inscrit dans cette perspective et doit fonder la nouvelle conception des usages de la documentation dans les dispositifs de formation, de recherche et de diffusion culturelle de l’université. Les grands objectifs visent à donner à la communauté universitaire une bibliothèque moderne où la majorité des collections (80 %) sera en libre accès, à mettre à la disposition des lecteurs un plus grand nombre de places de travail (2 000) et à leur offrir l’accès aux ressources électroniques distantes et sur place.
Il conviendra aussi de prévoir des espaces qui puissent être ouverts et accessibles plus largement. C’est toute l’organisation du réseau qu’il faut repenser : l’organisation des collections, celle des conditions de travail du public et celle du travail des personnels. Il s’agit bien d’une recherche collective autour d’exigences et de problématiques visant à développer des stratégies communes d’appropriation.
La préparation du programme
À peine élu en février 1996, le président Romain Gaignard s’est fortement mobilisé sur ce dossier, amorcé en 1992-1993 et assoupi depuis. À sa demande, un groupe de travail (cf tableau
a été constitué (cinq enseignants-chercheurs, sept personnels de bibliothèque) afin de donner corps au projet : une douzaine de réunions tenues d’avril à juillet 1996, le choix d’un cabinet de programmation (DA & DU) pour un approfondissement de septembre à novembre, lui ont permis de partager une vision commune de la logique organique d’un bâtiment de bibliothèque de type nouveau (15 000 m²).
Chaque membre du groupe avait quelque chose à dire même si la conscience commune des enjeux a mis du temps à mûrir, pleine qu’elle restait de paradoxes et de contradictions. Ce qui s’est affirmé peu à peu, c’est la volonté de mise à plat du fonctionnement actuel, et aussi une réflexion sur les cohérences nouvelles à mettre en oeuvre : ce qui doit primer, c’est bien la coordination des fonctions et des activités, une sorte de communauté d’objectifs et de raison.
L’implication des personnels
Accepter de participer à la réflexion sur ce que serait (ou devrait être) la nouvelle bibliothèque, c’est d’abord ne plus se cantonner dans un rôle de figurants passifs, c’est aussi refuser de se réfugier dans ce qu’il y a de familier, de convenu, de consacré, c’est participer à l’émergence d’un projet collectif, c’est adopter une nouvelle attitude optimiste au risque de la réalité universitaire en pleine restructuration.
Les premières réunions du groupe de travail se sont révélées passéistes, comme si notre mémoire, par peur du changement, nourrissait le projet pour s’en protéger, un peu comme dans le monde de Brazil, le film de Terry Gilliam, où chaque fonctionnaire dispose d’un espace circonscrit.
Durant la phase de programmation, nous avons dû procéder à un examen des usages des lecteurs et de nos pratiques professionnelles. Chaque participant a pu livrer sa vision propre du bâtiment projeté, à partir des informations rassemblées au fil des réunions (évolution des technologies, données économiques, sociales, culturelles, pédagogiques…). Il s’agissait avant tout de concevoir une harmonieuse cohabitation entre les espaces internes, producteurs de services, et les espaces publics, consommateurs de ces services.
L’organisation des services internes n’a suscité au début qu’un débat plutôt terne, car la démarche a été principalement quantitative : nombre de bureaux, de branchements, nombre de locaux de stockage, nombre de mètres carrés accordés… L’utilisation des normes dimensionnelles et budgétaires a relégué au second plan l’analyse des particularismes. On peut toutefois signaler la demande forte d’une majorité à pouvoir disposer, à l’image des soldats, de « positions de repli », refuges où l’on pourra récupérer après les confrontations avec le public et s’isoler du tumulte pour se consacrer à ses travaux.
Cette demande a été suivie d'effet dans le programme : chaque agent dispose d'un bureau au premier étage du bâtiment où est regroupé l'ensemble des services internes (gestion administrative et technique, gestion des ouvrages, des périodiques, du Centre d'acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique-Cadist, espaces communs). Nous faisons en sorte que les agents s'intègrent au mieux dans la chaîne de traitement du document : les liaisons entre les différents espaces doivent permettre une simplification des circuits : la « position de repli » doit être comprise comme « position de recueillement professionnel » !
L’attention particulière portée aux conditions de travail des personnels de magasinage a été remarquable : l'espace dévolu aux magasiniers est un vaste espace commun de travail de 120 m², avec local de stockage et vestiaire ; quatorze à seize agents seront amenés à l'utiliser en dehors de leurs plages de service public (prêt/retour). Nous le considérons comme évolutif, compte tenu des tâches transversales que la plupart des magasiniers souhaitent assumer : rétroconversion, actions de formation (visites guidées). Sans doute peut-on voir dans cette attitude la reconnaissance d’une catégorie de personnel qui constitue de plus en plus un vivier où l’on vient puiser pour pallier les carences de fonctionnement des autres services.
La réflexion liée aux espaces publics a été empreinte de passion : tout à coup, le regard porte au-delà du commun; une relation naît entre les multiples acteurs qui manifestent désir et curiosité, conscients que la « Qualité » des demandes va conditionner la vie future du bâtiment. Des pensées neuves et fortes se manifestent. Toutes sont analysées avec attention, quelquefois jusqu’à la polémique. Nous sommes au cœur d’une expérience professionnelle unique où l’échange d’idées et de savoirs crée un surcroît de bien-être et de satisfaction.
Les travaux les plus marquants ont porté sur les nouveaux outils d’information et de communication qui bouleversent notre rapport au temps et à l’espace en même temps qu’ils modifient profondément nos pratiques professionnelles. Cette mutation est d’autant plus importante qu’elle nécessite un renouvellement des équipements tous les cinq ou six ans.
Après le concours : la réalisation
Pierre Riboulet a été le lauréat du concours. Son projet était, aux yeux de tous, celui qui répondait le mieux aux exigences du programme et de l’analyse fonctionnelle. L’emprise au sol se définit par un rectangle ; des passerelles relient le bâtiment à la maison de la recherche à l’est et aux lieux d’enseignement à l'ouest ; on peut voir dans cette implantation une volonté de plus grande synergie entre documentation, recherche, et documentation pédagogique. Au sud, la masse est mate, faisant dire aux « vrais » méridionaux qu’on leur vole leur soleil ! Au nord, la lumière entre par le ciel et par de grandes baies qui offrent le spectacle d’une ville périphérique d’aujourd’hui.
Après le concours, l’architecte a participé aux réunions du groupe de travail, avec patience, rigueur et souplesse, afin d’adapter son avant-projet sommaire aux évolutions en cours (sécurité, enveloppe financière, nouvelles dispositions des espaces…). Les retards dans la réalisation ont un peu atténué l’élan et l’intensité des réunions. Le projet est maintenant relayé par d’autres instances.
En juillet 1999, le chantier semble débuter. Hélas, les pieux sont bien plantés, mais le chantier reste désespérément « inactif ». Les rumeurs les plus infondées circulent (nappe phréatique, site archéologique…).
Aujourd’hui, le groupe de travail poursuit sa réflexion : il faut préparer le déménagement des collections dans la première tranche du bâtiment, livrable à la fin du premier semestre 2001, et s’organiser dans le bâtiment actuel pour attendre la réalisation de la seconde tranche à l’horizon 2003. Il faut éviter au maximum le risque d’inadaptation de nos choix aux demandes des usagers.
Le handicap de la construction en deux tranches peut devenir un atout en offrant l’opportunité d’une adéquation entre conception architecturale et fonctionnalisme. L’aventure est loin d’être achevée. L’élan se perpétue. Il convient de se préparer à faire vivre le bâtiment de l’intérieur.
Attentes et perspectives
Les quelques éléments d’analyse qui précèdent visent seulement à recomposer et à conforter le sens de l’action collective, à un moment où il semble se diluer dans un attentisme frileux : si ce sont bien les modes de gestion et d’appropriation des espaces ainsi que les pratiques documentaires qui feront vivre le bâtiment, nous attendons qu’en retour ce sens de l’action collective les vivifie.
Nous sommes persuadés que la construction de cette nouvelle bibliothèque est aussi et avant tout la construction d’une nouvelle cohérence, plus simple et plus subtile à la fois : la bibliothèque doit devenir un lieu de travail où nos compétences professionnelles pourront s’affirmer et se développer de manière intelligente et efficace pour le plus grand bénéfice des lecteurs. La gestation du projet a été longue et difficile : des propositions fructueuses sont restées inachevées ; l’élan du début s’est émoussé tant les décalages (dérapages ?) ont été nombreux. Mais l’enjeu reste stimulant : même s’il y a ici et là des impatiences, nous avançons sans trop d’inquiétude et nous parions sur l’avenir.
Le partenariat est exigeant, mais n’est-il pas le préalable à la consolidation d’un vivre et d’un agir ensemble, dont la bibliothèque est l’expression la plus vive ? Il y a encore du chemin à parcourir et beaucoup à apprendre les uns des autres (personnels de bibliothèque, architecte et ingénieurs, enseignants et étudiants). Peut-être donnons-nous trop souvent de mauvaises réponses, mais, en ce moment, nous posons de bonnes questions liées au sens de nos missions sur le campus : l’esprit dans lequel nous avons réfléchi au projet de construction aura, nous l’espérons, de fructueuses retombées qui faciliteront l’appropriation par tous des espaces enfin construits.
Dernier mot
« Le projet doit… magnifier les salles, les rendre silencieuses, distinguer les circuits, ranger sagement les livres sur les belles étagères, accueillir les lampes sur les longues tables, faire un signe de connivence au ciel “par-dessus le toit”, entrevoir un arbre, commander les stores, varier imperceptiblement la lumière, guider les automatismes, permettre le fourmillement des câbles sous les pieds…; les bibliothèques aujourd’hui sont devenues de lourdes machines. Dans les universités, elles brillent d’une présence particulière. Elles peuvent être le symbole de l’université tout entière. Elles en sont la somme, non seulement parce qu’elles accumulent le savoir, les thèses, les mémoires, mais parce qu’elles sont elles-mêmes les lieux de travail, l’atelier où l’actualité intellectuelle se développe, où la création des oeuvres individuelles est portée de tous côtés par la richesse commune. » 1