Editorial
Bertrand Calenge
« Étant donné un mur, que se passe-t-il derrière ? » s'interrogeait poétiquement Jean Tardieu. À l'heure des bibliothèques sans murs, quel est l'avenir du lieu ? La fin du vingtième siècle, qui aura vu l'émergence des flux de l'information numérique, aura connu également - quelle coïncidence ! - un effort sans précédent dans la construction et l'aménagement de bâtiments de bibliothèques. Certes, comme l'évoque le titre du remarquable ouvrage d'Anne-Marie Bertrand et Anne Kupiec, « Ouvrages et volumes », la monumentalité de l'œuvre écrite renvoie au signe du bâtiment, comme la tabularité de la page imprimée s'apparente à la mise en espace. Mais on peut souligner également aujourd'hui une exigence forte : la fluidification accrue de l'information s'incarne dans des espaces physiques, qui montrent un ordre du savoir autant qu'ils reconnaissent et affirment la matérialité physique et sociable des lecteurs. Même les écrans que proposent les bibliothèques aujourd'hui n'échappent pas à cette physique de l'espace : si la promenade y est « virtuelle », elle n'en nécessite pas moins un accueil, des itinéraires, une ambiance, des rencontres parfois...
Derrière ces exigences apparemment simples, se construisent d'intenses complexités. Complexité technique d'abord, contrainte par les technologies, les besoins de sécurité, la multiplication des supports, et celle des techniques en œuvre dans la bibliothèque. Complexité des rapports sociaux également, avec des personnels plus nombreux aux métiers plus variés, avec un afflux des publics qui fait retrouver dans les espaces de la bibliothèque toute la variété des besoins et des tensions de la société.
Si l'enjeu est d'importance pour les bibliothécaires, qui jouent dans la pierre, le verre, la lumière et les câbles tant l'image de leur établissement qu'un pari sur un avenir de plus en plus mouvant, il ne l'est pas moins pour les architectes et pour les corps de métiers associés à la réalisation des bâtiments et des espaces. Singulier défi que celui de donner corps à la mémoire vivante d'une collectivité et de créer un espace de connaissances partagées.