Médias et sociétés

presse, édition, Internet, radio...

par Yves Desrichard

Francis Balle

9e éd. Paris : Montchrestien, 1999. - 811 p.;22 cm – (Domat politique). ISBN 2-7076-1168-9 : 190 F/27,44 euros.

C'est déjà la neuvième édition de cet ouvrage fondamental pour la connaissance des « médias », que l'auteur définit comme « un moyen d'observer et de comprendre le monde dans lequel nous vivons ». Presse, édition, Internet, radio, cinéma, télévision, télématique, cédéroms, DVD, réseaux multimédias, tout est passé au crible, pour mieux corriger l'impression finalement fausse que les médias ne sont qu'un « moyen », alors qu'ils peuvent être aussi perçus comme une fin, et que leur objectivité supposée vis-à-vis des sujets observés ou des domaines traités n'est qu'un leurre.

Dès l'introduction, nous est proposée une histoire des études sur les médias, qui relèverait donc de la méta-méta-histoire, et qu'on s'accordera à trouver étrange, ainsi placée en exergue. On y verra d'autant plus facilement un nouveau témoignage de cette tentation nombriliste que s'octroient souvent abusivement les détenteurs du pouvoir de communication, toujours prompts à s'auto-analyser, sans toujours beaucoup d'à-propos critique, mais avec une grande insistance. Heureusement, Francis Balle se garde bien de prendre place résolument dans le camp de ceux qui considèrent que la communication est une science, sans pour autant en faire un art.

De la presse au multimédia

Passé ce préambule, la première partie de l'ouvrage s'intéresse au cheminement déjà bien connu qui a conduit de la presse au multimédia actuel. Classiquement, l'auteur s'en réfère à « trois âges », censés scander la progression des outils de communication : l'écrit, jusqu'à la fin du XIXe siècle ; les médias de l'image et du son, qui auront caractérisé notre XXe siècle ; et bien sûr, l'avènement du numérique et des réseaux multimédias qui se donnent pour but une confluence dynamisée des deux âges précédents. Pour ces trois sections, sont détaillées les relations entre les médias et l'économie marchande, mais aussi les problèmes liés aux libertés et aux censures, dont on peut d'ailleurs constater qu'ils sont de tous temps et de nature très diverse – et qu'Internet, si célébré ou si décrié, ne soulève des questions ni réellement nouvelles ni parfaitement originales.

Dans une deuxième partie, Francis Balle développe une série de chapitres sur le « régime des médias ». Ce titre semble un peu impropre : en effet, ce sont plus largement les réglementations appliquées à la télévision qui sont développées, et, d'une manière générale, ces chapitres font la part belle aux situations française et anglaise, aux dépens d'autres pays européens, et bien sûr (mais c'est si habituel) du reste du monde, et notamment du Tiers-Monde – pardon, des pays en voie de développement. Est-ce le fait que l'auteur se présente comme un ancien membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui justifie ces préférences ? Sans doute, tout comme le fait que ce sont les médias audiovisuels qui sont embarrassés des situations les plus complexes en matière de droit comme d'économie, situations sur lesquelles le livre offre d'utiles et passionnants décryptages.

Enfin, la troisième partie vient brosser un vaste tableau des relations entre « les médias, l'individu et la société ». Où il est prouvé que les trois interagissent d'une manière de plus en plus sophistiquée, que les mouvements s'emballent et que l'accumulation d'études plus ou moins savantes sur l'influence des médias, l'attitude des spectateurs, etc. ne vient prouver qu'une chose : l'impossibilité d'examiner ces disciplines et ces domaines sous un angle uniquement quantitatif, voire scientifique. Le bon vieux principe d'incertitude d'Heisenberg se trouve ainsi conforté, et le lecteur rassuré : l'humanité n'est pas encore entièrement réductible aux équations concoctées par quelques communicateurs en mal de modélisation du monde sensible…

Une prodigieuse somme d’informations

On le voit, les thèmes abordés par « Médias et sociétés », les points de vue adoptés, n'ont pas le mérite d'une franche originalité. L'intérêt de l'ouvrage est ailleurs, qui tient à la prodigieuse somme d'informations collectées, et au soin apporté à leur présentation. Chaque domaine est traité sous un angle chronologique, avec les principaux faits et événements importants. Les tableaux, les diagrammes abondent, les données aussi bien. Certes, on peut toujours s'interroger sur les mérites et la crédibilité de tel ou tel sondage, mais, au moins, dispose-t-on (c'est l'intérêt des nombreuses rééditions) de données parfaitement à jour sur des sujets où, d'évidence, les évolutions sont rapides et spectaculaires.

Les bibliographies sont abondantes (le mot est faible !), chaque thème un peu ardu fait l'objet de graphiques fort bien conçus, et l'on pourra ainsi rêver non sans perplexité au mythe libéral de la libre concurrence de sociétés indépendantes en voyant l'enchevêtrement incroyable des participations financières de nombre de sociétés présentes, par exemple, dans le domaine de la production et de la diffusion audiovisuelle. Bien sûr, une liste de sites Web vient compléter cette masse impressionnante, mais non rebutante. Les chapitres sont courts, eux-mêmes découpés en paragraphes clairement présentés, et Médias et sociétés incite à la lecture discursive plus que continue : ainsi, les vertus supposées de l'hypertexte peuvent être battues en brèche quand on a affaire à des ouvrages si bien agencés.

S'ouvrant sur l'espoir, et même l'affirmation, que la technique numérique va donner sa revanche à l'écrit, apparemment malmené dans sa suprématie par ce siècle finissant, l'ouvrage se montre finalement plus circonspect sur « les espoirs et les désillusions du Village planétaire ». Francis Balle et ses collaborateurs ne proposent pas, sur ce point, un credo précis ou une doxa immuable : à chaque lecteur de se faire sa propre opinion, grâce à cette somme exemplaire.