Histoire de l'information scientifique et technique
Martine Comberousse
En abordant l’histoire de l’information scientifique et technique (IST), cet ouvrage offre bien davantage que son titre ne laisse prévoir. En effet, l’auteur propose une acception très large de l’IST en arguant de son polymorphisme, et en constatant l’imprécision de la définition donnée par le Journal Officiel : « Élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de conventions pour être conservé, traité ou communiqué » (p. 7), appliqué aux connaissances émanant de l’activité scientifique ou technique. L’auteur choisit donc de retracer en ces 128 pages l’histoire des évolutions du traitement de l’information, de ses supports, de sa diffusion (intermédiaires et méthodes, vulgarisation), de sa place au sein des préoccupations de l’État, observées depuis 4 000 ans avant Jésus-Christ. Cette gageure est relevée dans un style synthétique vigoureux.
Des repères utiles
Le tableau ainsi brossé permet certes de poser quelques repères utiles concernant l’histoire des bibliothèques, de l’édition, de la recherche et des technologies de communication, mais on peut regretter qu’il évite toute réflexion problématique claire sur l’évolution d’une notion « difficile à cerner » de l’aveu même de l’auteur. Un essai de définition aurait été extrêmement utile afin de mieux comprendre en quoi l’IST se démarque du concept de documentation.
Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle le concept d’IST serait opératoire avant le XXe siècle apparaît discutable sans autre justification que l’amplitude de la définition choisie. En effet, ce n’est qu’au début du XXe siècle que la plupart des éléments participant du contexte propre au développement de l’IST sont réunis : le développement des échanges scientifiques entre communautés de savants, la spirale de progrès techniques enclenchée au XIXe siècle, une circulation accrue du livre, le développement de l’enseignement scientifique, la mise au point de méthodes d’organisation de l’information efficaces (indexation).
Après la seconde guerre mondiale, avec l’interdépendance croissante des économies, apparaissent plus clairement les enjeux politiques et financiers sous-jacents à la production et à la diffusion de l’IST. Les pays anglo-saxons prennent les premiers conscience de l’importance stratégique de l’IST, et établissent ainsi une incontestable domination sur la chaîne de l’édition scientifique mondiale. L’auteur décrit avec pertinence le retard de la France dans ce domaine. La vitalité de la recherche française ne dispose pas de canaux de diffusion propres d’envergure internationale ; l’édition scientifique française est faible et fragmentée en petits groupes face au dynamisme américain et aux puissants groupes d’édition existants. Les pouvoirs publics prennent conscience très tardivement des enjeux stratégiques de l’IST, et si des politiques de soutien à l’IST voient le jour à partir de la fin des années 1970, leur application ne modifie en rien ce contexte défavorable. La spécificité française tient au poids de l’État dans un domaine où les pays anglo-saxons appuient leur suprématie sur des opérateurs privés.
Cependant, la seconde moitié de ce siècle voit le développement rapide des techniques de traitement et de diffusion de l’information, dont les effets bouleversent les schémas traditionnels et obligent les acteurs de l’IST à une adaptation constante dans un contexte mouvant. L’informatique permet le traitement de quantités croissantes d’informations, un signalement plus pertinent, une recherche plus aisée. Les efforts de normalisation aux plans national et mondial accompagnent ce mouvement. Les métiers de la documentation se professionnalisent. Les unités de documentation, espaces essentiels dédiés à la diffusion de la recherche, se développent. Les bibliothèques universitaires, encore faiblement dotées à la fin des années 1980, disposent dans la décennie suivante de crédits plus substantiels leur permettant de s’équiper et d’accroître leurs collections.
Les supports de diffusion de l’information se diversifient : à côté du livre et des supports analogiques se développent les documents stockés sous forme numérique (cédéroms…). Les outils logiciels permettant le travail collaboratif (groupware, messagerie électronique) réduisent les distances entre communautés de chercheurs. L’expansion d’Internet permet une diffusion de l’information à la fois souple, ergonomique et rapide.
La production et la diffusion de l’IST bénéficient de ces avancées technologiques, et quoi qu’en dise l’auteur, sans d’ailleurs le justifier, il est discutable de considérer que « l’édition électronique, le multimédia ou la veille stratégique masquent l’identité de l’IST » (p. 107), ou encore d’affirmer que « la marée des “nouvelles technologies de l’information et de la communication” noie la spécificité de l’IST dans un contexte où toute activité semble relever de l’information » (p. 122).
Le rôle des professionnels de l’information
En revanche, il est incontestable qu’en offrant aux utilisateurs finals l’illusion de la « bibliothèque virtuelle » dans laquelle ils pourraient tout trouver sans intermédiaire, Internet oblige à mener une réflexion profonde sur le rôle des professionnels de l’information et des unités de documentation qu’ils gèrent. De façon croissante, les éditeurs scientifiques tirent avantage de la souplesse d’Internet pour rendre accessibles leurs périodiques et bases de données en ligne. Ils vendent l’accès aux informations à des prix élevés et proposent une gamme de services spécifiques (bases de sommaires, lien entre bases de données et articles en texte intégral, diffusion sélective d’information, fourniture de documents). Face à ces stratégies il convient de se repositionner : forcer les individualismes locaux pour mutualiser les acquisitions de ressources électroniques au sein des universités et entre universités (la France est en retard sur ce point), mettre l’accent sur la formation des usagers à la recherche documentaire, accroître la proportion d’ingénieurs en informatique dans les unités documentaires…
Il importe en tout cas que les remises en question soient permanentes, les politiques évolutives ; le contexte dans lequel se meut l’IST se modifie au rythme rapide des avancées techniques, pose beaucoup de questions (dont la conservation et l’accès à long terme à ces informations) et n’établit aucune règle définitive.