Collections et collectionneurs de livres au XVIIIe siècle
Michel Marion
Il est heureux que le fruit du travail de vingt années de recherches soit porté à la connaissance du public : Michel Marion précise lui-même que ses travaux sur les collectionneurs de livres et les bibliothèques privées en France ont commencé en 1979, et, depuis cette date, il a publié plusieurs articles sur le sujet. En premier lieu, il faut noter que le titre de l’ouvrage doit être entendu de façon restrictive : l’étude porte uniquement sur la France, essentiellement sur Paris, et ne s’appuie que sur une source unique, à savoir les catalogues de vente aux enchères, et encore à travers une seule collection, certes très abondante, celle de la Bibliothèque nationale de France. Ce n’est, de plus, que par une incise (note 79, page 76) que Michel Marion signale n’avoir dépouillé qu’un peu plus de la moitié des catalogues français conservés dans les séries _ et Q de cet établissement, soit un bon millier tout de même ; mais il semble bien que seul le hasard ait désigné les exclus.
Un travail de compilation
S’attaquant à un sujet passionnant et qui connaît un regain d’intérêt depuis quelque temps – comme en témoignait la journée d’étude du 15 janvier 1998 intitulée « Les ventes publiques de livres et leurs catalogues » à l’École nationale des chartes, et poursuivie huit jours plus tard à l’Enssib de Lyon avec l’espoir de créer une base de données sur les catalogues de vente 1 l’auteur a manifestement fourni un énorme travail de compilation. Bien que rien n’en soit dit dans le volume même, nous avons entre les mains le produit des recherches effectuées pour une thèse universitaire, comme en témoignent les très nombreux graphiques, courbes et pourcentages qui émaillent son texte.
Le volume est divisé en deux parties : tout d’abord, un texte rédigé visant à la synthèse, puis des fiches biographiques concernant les possesseurs de livres français dont la bibliothèque a fait l’objet d’un catalogue de vente aux enchères (avec la double restriction évoquée ci-dessus). La première partie est divisée en cinq chapitres. Le premier dresse un tableau de la vie intellectuelle en France au siècle des lumières sans particulière originalité. C’est au deuxième chapitre, « Les documents », que nous entrons dans le sujet, avec une utile description des différentes sources qui s’offrent au chercheur. De précieuses indications sont à glaner dans ces pages, notamment sur les différences, parfois subtiles, entre catalogues de libraires, catalogues « de seconde main » et catalogues de vente aux enchères à proprement parler.
La lecture des trois chapitres suivants et de la conclusion, centrés sur les collectionneurs et leurs façons d’amasser des livres, n’apportent au lecteur qu’une certitude : les catalogues de vente aux enchères, considérés isolément, ne permettent aucune vue d’ensemble sur les collections parisiennes. De plus, une apparence de rigueur universitaire couvre mal une méthodologie défaillante : pour ne prendre qu’un exemple, les pages 100-104 abordent les âges des collectionneurs à leur décès, à partir de 364 cas où celui-ci est connu. En cinq pages et pas moins de six tableaux, nous passons de : « L’amour des livres était, sinon un élixir de longue vie, du moins un gage de longévité » à « Les collectionneurs de livres ne semblent pas avoir un comportement différent face à la mort de leurs autres contemporains »… On finit par se demander si le bon sujet n’aurait pas, abandonnant les collectionneurs, cherché à cerner les pratiques de la florissante librairie parisienne d’ancien et d’occasion. Çà et là en effet se posent d’intéressantes questions sur la complétude des catalogues de vente, sur l’éventualité de collections truffées d’ouvrages possédés par un libraire, sur les ouvrages vendus hors catalogue…
Les notices biographiques
Passant outre une bibliographie (p. 227-242) incomplète et présentée de façon fantaisiste, le lecteur aborde avec espoir la deuxième partie, c’est-à-dire les notices biographiques, classées alphabétiquement. Hélas ! elles sont fort décevantes et schématiques, malgré le soin avec lequel Michel Marion a relevé les éventuelles armoiries des personnages ; les abréviations inventées par l’auteur ne sont explicitées nulle part dans l’ouvrage (« AR » doit désigner l’Almanach royal par exemple). De plus, l’absence inexpliquée et inexplicable de ventes particulièrement importantes (Brancas de Lauraguais, Loménie de Brienne, la première vente La Vallière…) peut facilement égarer un chercheur candide. L’absence de tout renvoi des noms doubles qui abondent au XVIIIe siècle et surtout l’absence d’index – on a tenté d’y pallier en imprimant en caractères gras les noms cités dans la première partie qui figurent dans la seconde, celle des fiches biographiques – dénotent l'insuffisance de soin avec lequel a été sinon entrepris du moins achevé cet ouvrage, où d’ailleurs formules approximatives et fautes de frappe abondent. Pour la description des richesses de la BnF en catalogues de vente, on attendra un complément à Françoise Bléchet (Les ventes publiques de livres en France : 1630-1750. Répertoire des catalogues conservés à la Bibliothèque nationale, Oxford-Paris, 1991) ; pour une étude des collectionneurs, le champ est encore libre.