Journal of Librarianship and Information Science
Si la réputation du JOLIS n’est plus à faire, il n’est guère besoin d’une enquête de lectorat pour deviner que les bibliothécaires français ne le pratiquent guère. L’ambition de cette nouvelle rubrique n’est pas de leur fournir un compte rendu fidèle de tous les articles parus dans l’année, mais de dresser un état annuel des sujets qui mobilisent la recherche en sciences de l’information outre-Manche. La subjectivité de cet état des lieux est revendiquée : outre des choix arbitraires tenant aux sujets de prédilection de l’auteur, certains articles seront délibérément ignorés parce que ne présentant qu’un intérêt supposé limité pour la majorité des bibliothécaires français. C’est pourquoi on n’insistera pas sur les sources d’information des habitants des îles Shetland, les besoins documentaires du télé-enseignement en Tanzanie ou encore l’étude sociologique des utilisateurs des bibliothèques publiques d’Ankara (encore qu’il soit instructif de découvrir que le taux réel d’inscription n’y dépasse pas 1 %, alors que les statistiques officielles font état de 30 % et que les bibliothèques publiques dépendent directement du gouvernement central).
Histoire
Le Journal of Librarianship a été créé par la Library Association sous la pression de ses membres qui estimaient que le Record 1, revue aux articles courts consacrée à l’actualité des bibliothèques, ne laissait pas de place à la recherche. L’Association l’a cédé en 1990 à l’éditeur Bowker – qui ajouta au titre and Information Science – en même temps qu’une série d’autres publications (British Technology Index, British Humanities Index, British Sociology Index, etc.). La cession de ces titres à un éditeur commercial spécialisé en sciences de l’information reposait sur la volonté d’en développer la diffusion hors d’Angleterre. Pendant quelques années, la Library Association a conservé un certain regard sur la revue grâce à la présence de plusieurs de ses membres au comité éditorial. Avec le développement des ventes, le JOLIS a fini par assumer son autonomie éditoriale.
La rédaction en chef en est confiée à David Stoker, professeur au département des bibliothèques et des sciences de l’information de l’université d’Aberystwyth (pays de Galles), auteur de la plupart des éditoriaux. Le comité de direction comprend sept membres : outre Jean Plaister, bien connue dans la profession pour avoir dirigé LASER (Réseau régional de Londres et du Sud-Est de l’Angleterre), on y relève deux universitaires, une bibliothécaire de lecture publique, une bibliothécaire universitaire et un représentant des bibliothèques spécialisées. L’équipe éditoriale est complétée par six conseillers internationaux, dont cinq issus du monde anglo-saxon (Hong-Kong, Inde, Université McGill de Montréal, États-Unis, Australie) et une Brésilienne.
Contenu
Le niveau des articles est généralement de qualité – les membres du comité éditorial sont d’éminents spécialistes –, mais il semblerait que cette revue soit davantage lue dans les écoles de bibliothécaires que par les praticiens. Peut-être a-t-elle voulu trop se démarquer du Record, au risque de se détourner du public de ce dernier ? Il est vrai que la présentation du JOLIS, comme celle de la plupart des revues savantes, ne brille pas par son originalité : une soixantaine de pages sur deux colonnes denses, sans couleurs ni aucun artifice de présentation. Les seules photos sont de méchants photomatons des auteurs. Quant aux autres illustrations, elles se réduisent à des graphiques (illisibles dans au moins un des articles). La plus figurative est sans doute celle représentant le schéma d’un réseau informatique ! Bref une apparence qui exige une forte motivation du lecteur. Comme le conseillait Hubert Beuve-Méry aux journalistes du Monde : « pour faire sérieux, faites triste ! ».
S’adressant aux bibliothécaires, aux spécialistes de l’information et aux enseignants désireux de suivre les derniers développements de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, le JOLIS se veut un forum de la recherche et de ses applications. Chaque numéro, outre l’éditorial, comprend cinq articles de 4 000 à 10 000 mots de niveau universitaire, avec de nombreuses notes et références et d’abondantes bibliographies (jusqu’à cinq pages de bibliographie pour un article de huit pages), ainsi que des comptes rendus de publications.
Les auteurs des quatre numéros reçus sont majoritairement britanniques ou issus de la sphère anglo-saxonne (un Américain, un Ougandais, un Tanzanien). On recense quatre autres nationalités : trois Finlandais, un Turc, deux Saoudiens, deux Espagnols, mais aucun Français ! Reflet de cette écrasante majorité anglo-saxonne, les articles ne traitent que rarement d’autres pays. Ils émanent de praticiens, mais plus souvent d’enseignants d’écoles de bibliothécaires, celles de Loughborough et d’Aberystwyth revenant fréquemment.
Sur le même échantillon d’une année, ce sont les bibliothèques universitaires qui font l’objet du plus grand nombre d’articles (huit), suivies de très loin par les bibliothèques publiques (trois), les bibliothèques nationales, spécialisées, d’écoles (un article chacune). On relève enfin plusieurs articles techniques (indexation, classification, catalogage) et deux sur des pays étrangers (Turquie, Espagne).
Éditoriaux
Les éditoriaux de David Stoker sont souvent stimulants : agacé par la disparition dans les offres d’emploi du terme « bibliothécaire », remplacé par des titres ronflants tels « manager des connaissances », « conseiller en information », « manager des services patrimoniaux » ou encore « responsable du développement des services stratégiques » (fonction plus connue sous le terme de responsable des acquisitions), il est persuadé que certaines de ces offres sont davantage rédigées pour épater les collègues que pour réellement informer les candidats potentiels. Il connaît même un directeur de bibliothèque qui épluche systématiquement les rubriques d’offres d’emploi pour en retirer des expressions qu’il réutilise ensuite pour son propre usage. Ce billet d’humeur contre les effets de mode enregistre toutefois avec plaisir le regain récent de popularité des termes « bibliothèque » et « bibliothécaire » – au risque de paraître ringard –, mais reconnaît toutefois que la modification du vocabulaire professionnel reflète l’impact des autres disciplines sur la bibliothéconomie. Dans un registre proche, Angela Bell se demande si, dans un monde où l’information a acquis une valeur économique plus importante que le capital et la main d’œuvre, les bibliothécaires sauront bénéficier de ce mouvement, ou bien s’ils ne risquent pas d’être supplantés par d’autres professions. Il faudrait que les bibliothécaires aient davantage confiance en leurs compétences de base et s’attachent à mieux faire connaître leur valeur, dans le secteur privé aussi bien que dans le public : c’est à cette condition qu’ils pourront entrer dans le XXIe siècle comme profession ressource plutôt que support. Et comme le dit une consultante, « les spécialistes de l’information vont faire fortune ». Après la bourse, l’ère des golden boys de l’information serait-elle venue ?
Loterie nationale
Nos collègues britanniques ont trouvé une solution originale au financement des opérations de préservation de la presse locale : la loterie nationale qui, récemment introduite en Grande-Bretagne, a, dans un sursaut de rachat moral, institué un fonds du patrimoine (Heritage Lottery Fund). Cinq millions de livres sterling seront ainsi consacrés à un plan national de microfilmage des quotidiens locaux. À l’heure du tout numérique, c’est en effet ce bon vieux microfilm qui a été choisi : la première raison tient à l’incapacité des techniques actuelles de reconnaissance optique de caractères à traiter des supports de mauvaise qualité comme le papier journal jauni, alors que la dégradation des fonds réclame un traitement d’urgence. En outre, la numérisation coûterait vingt fois plus cher que le microfilmage avec des interrogations sur la pérennité des formats numériques actuels.
Parité
Les femmes sont-elles moins ambitieuses que les hommes ? Cette question a fait l’objet d’une enquête auprès des étudiants en sciences de l’information de l’université de Loughborough 2.Dans une profession féminisée à 75 %, seules 9 % d’entre elles gagnaient plus de 27 000 livres par an en 1996 contre 20 % des hommes. Plusieurs hypothèses ont été émises pour tenter d’expliquer cette sous-représentation des femmes au sommet de l’échelle hiérarchique : elles éprouveraient des blocages psychologiques vis-à-vis de leur carrière – manque de confiance, peur du succès, cantonnement à leur rôle traditionnel, conflit entre les choix de famille et de carrière, crainte de la prise de risque, etc. En fait, une importante proportion des hommes comme des femmes est persuadée « qu’il existe encore des différences innées entre les deux sexes » (!) et que les hommes, plus rationnels et moins émotifs, font de meilleurs managers. Autre argument : les femmes hésiteraient à demander une promotion de crainte de perdre contact avec le public, ce qui renvoie au stéréotype de la dimension sociale du métier de bibliothécaire, prolongement du rôle domestique de l’épouse. Contrairement aux idées reçues, le nombre de pantouflards est pourtant plus élevé chez les hommes (ils sont deux fois plus nombreux que les femmes à aspirer à une vie tranquille sans trop de responsabilités).
En réalité, ce sont des facteurs organisationnels et sociaux qui constituent la principale barrière à la carrière des femmes : leur attitude envers leur famille est différente en ce qu’elles assument plus de responsabilités. Souhaiter après tant d’autres qu’elles n’aient plus à choisir entre leur famille et leur carrière n’est peut-être qu’un vœu pieux, mais le débat sur les 35 heures et le partage du travail (en France) ne remet-il pas cette revendication à l’ordre du jour ? Travail à temps partiel, congé parental, flexibilité des horaires sont des dispositifs qui existent déjà, mais qui s’accommodent mal d’une culture professionnelle faite de longues heures de présence. Ce n’est pas la femme qui doit modifier son comportement vis-à-vis de sa famille, de ses enfants ou de ses engagements sociaux, mais l’organisation qu’il faut faire évoluer en intégrant ces dimensions dans le management… ainsi que la contribution de l’homme à la vie de famille dans le sens d’un meilleur partage des responsabilités au sein du couple.
Management
Le management ne fait l’objet que d’un seul article 3 qui l’aborde au travers d’une enquête sur les techniques de gestion de projet dans les bibliothèques universitaires, bien maîtrisées puisque utilisées par 92 % des établissements. Son intérêt réside surtout dans l’étude des logiciels utilisés pour la mise en œuvre de douze projets à la bibliothèque de l’université de Newcastle : Microsoft « Project », CA Super Project, Pertmaster, Project Workbench, etc. Le bilan en est contrasté : bénéfique pour l’encadrement qui apprécie la possibilité de suivre au jour le jour l’évolution des projets, la meilleure structuration de la démarche méthodologique et la sensibilisation des équipes au respect des échéances. Les membres des équipes de projet, moins enthousiastes, avancent que le travail sur le logiciel prend plus de temps que la réalisation du projet lui-même.
Einstein et les bibliothèques
On connaît l’indien Ranganathan (1892-1972) 4, mathématicien et chercheur en sciences de l’information, pour sa classification à facettes. On connaît moins ses cinq lois de la bibliothéconomie. Elles ont été énoncées en 1931, quand personne ne pouvait imaginer l’essor futur de l’informatique ni a fortiori, l’émergence d’Internet. C’est en cela que les cinq lois de Ranganathan, produits de l’ère newtonienne des bibliothèques, sont aujourd’hui dépassées. Après Newton, les auteurs finlandais de l’article se lancent dans l’application de la théorie de la relativité à la bibliothéconomie : pour étudier la vitesse de la lumière, les lois classiques de la mécanique ne suffisent plus. La théorie de la relativité fournit une meilleure description du temps et du mouvement. À l’ère des réseaux mondiaux d’information, il en est de même pour les bibliothèques : nous devons affronter une énorme masse d’informations qu’aucune règle classique de la bibliothéconomie ne nous permet d’appréhender. Les bibliothèques croulent sous des masses extrêmes de documents accessibles à la vitesse de la lumière. C’est pourquoi les deux chercheurs proposent deux lois supplémentaires prenant en compte les bibliothèques virtuelles : chaque lecteur doit pouvoir créer sa propre bibliothèque et mettre ses documents et ses écrits à la disposition de la bibliothèque planétaire. Ces deux lois sont bien dans la lignée de la pensée de Ranganathan, qui, en militant pour la liberté d’expression, a contribué à forger la citoyenneté indienne sous le joug anglais ; nul doute que, de nos jours, il militerait en faveur de l’égalité d’accès à l’Internet pour les pays du Tiers-Monde.
Contre les idées reçues sur le Peb
La fourniture de documents inspire la recherche 5 : le prêt entre bibliothèques (Peb), longtemps seul opérateur, est aujourd’hui concurrencé par des produits commerciaux, objets d’une évaluation comparative portant sur les délais de livraison, les coûts, la qualité des documents et la couverture : UMI Proquest Direct, Infotrac Searchbank, Elsevier Engineering Information Eitext, British Library Inside fournissent les documents dans des délais de deux à cinq jours à un coût quatre fois plus élevé que le Peb. La surprise, c’est que le délai de livraison n’est pas un facteur déterminant pour les utilisateurs : sur cinquante demandes, les délais souhaités étaient d’une à quatre semaines. Personne n’exige une livraison dans la journée et n’est disposé à payer plus de dix livres, 75 % des utilisateurs interrogés acceptant un coût compris entre une et cinq livres. Le facteur le plus important demeure l’annonce et le respect des délais de livraison. Finalement, c’est ce bon vieux Peb (le BLDSC-British Library Document Supply Centre) qui offre le meilleur service au meilleur prix à la fois pour la qualité de la reproduction et la couverture. Si la demande pour un service plus rapide devait croître, le Peb affronterait alors une concurrence plus vive, aucun des produits évalués ne fournissant toutefois une réponse satisfaisante dans tous les domaines.
Autre aspect de la fourniture des documents : la disponibilité dans les bibliothèques universitaires des livres recommandés par les enseignants 6 .Un service peu répandu en France, mais qui constitue l’offre de base des bibliothèques anglo-saxonnes et évolue rapidement vers la création de collections électroniques. Disponibles 24 heures sur 24, accessibles à distance, ces collections seraient-elles la solution miracle pour éviter d’avoir à gérer un système de prêt contraignant et résoudre l’insuffisance chronique d’exemplaires ? Pas forcément dans la mesure où l’électronique coûtera plus cher aux étudiants qui devront imprimer systématiquement les documents.
Documentation à distance
L’enseignement à distance, priorité de l’université du Surrey, suppose une organisation documentaire spécifique pour les étudiants éloignés 7 : c’est l’objet de DILIS, mis en place par la bibliothèque universitaire du Surrey après enquête sur les besoins des étudiants. Reposant largement sur l’outil Internet, DILIS propose la fourniture de documents à distance, une assistance téléphonique, une médiation pour faciliter l’accès aux bibliothèques proches du domicile de l’étudiant et des programmes sur mesure. Des difficultés inattendues peuvent surgir comme la censure exercée par certains pays sur l’Internet : c’est le cas de l’Arabie Saoudite, où il arrive que soient confisqués les livres envoyés depuis l’Angleterre.
Espagne
L’informatisation des bibliothèques espagnoles est l’occasion de dresser un excellent panorama de la situation et des progrès réalisés depuis les transferts de compétence aux provinces autonomes 8. Investissement politique et augmentation des financements publics ne suffiront toutefois pas à faire décoller les bibliothèques : il reste à les intégrer dans les institutions qu’elles desservent et à faire accepter par les bibliothécaires que leurs établissements n’ont aucune légitimité propre. Une préoccupation qui n’est pas spécifique à l’Espagne.
Comptes rendus
Ce panorama serait incomplet sans l’évocation de la rubrique des comptes rendus. Un seul livre français est analysé : « Le Patrimoine : histoire, pratiques et perspectives » 9 et fait l’objet d’un éloge appuyé avec seulement quelques reproches de forme portant sur la pauvreté de l’index, l’absence de bibliographie et le caractère peu explicite des titres de chapitres.
Le compte rendu le plus stimulant est celui de Michael Gorman, bibliothécaire à l’université d’État de Californie (Fresno) 10 qui se défoule joyeusement sur un volume de symposium qui, chaque année, s’essaie à un périlleux exercice de prospective des bibliothèques à dix ans. Il commence par massacrer l’intervenant qui avait exhorté ses collègues à « oublier l’institution locale au profit des structures globales », en lui reprochant de « se prostituer pour d’étranges dieux électroniques ». Il continue en fustigeant la naïveté d’un tel sur la bibliothèque électronique et la vague de publications médiocres sur les métadonnées, et termine avec « les fadaises invraisemblables » de tel autre sur les moteurs de recherche avant une brillante chute brodant sur la chanson « Que sera, sera ». Ce type de symposium aboutit à l’inévitable conclusion que les bibliothèques devront se tourner toujours plus vers la technologie et les valeurs du privé pour survivre. Le rejet retentissant de ce futur par Michael Gorman est un réflexe salutaire qui conclura cette rubrique sur une note optimiste.