ABITtechnik n° 1, 2, 3 (1999)
ABITechnik 1 est une revue consacrée à l'application des nouvelles technologies dans les archives, bibliothèques et tout autre centre d’informations, qu'il s'agisse d'une intégration aux bâtiments ou de l'informatisation des contenus. Son lectorat principal rassemble les pays germanophones, donc l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse allemande. Selon ses propres termes, elle cherche à faire connaître rapidement les « actualités, tendances et développements récents aux niveaux national et international ».
Chaque numéro comporte différents types d’informations : articles de fond ; expériences dans le domaine de la construction et du bâtiment comme dans l’usage des nouvelles technologies ; évaluations des services et des produits nouveaux (souvent des publicités rédactionnelles) ; calendrier des manifestations ; recensions d’ouvrages professionnels ; présentations de sites Internet intéressants et pertinents ; répertoire de fournisseurs par rubriques. L’ensemble est généreusement parsemé de publicité – ce qui complique parfois la lecture des textes strictement professionnels.
ABITechnik publie annuellement une présentation de la littérature professionnelle sur la construction des bibliothèques. Le numéro 1 de 1999 propose une bibliographie de 336 références d'articles parus en 1997 dans des revues, monographies et collections spécialisées, en allemand, anglais et français. La bibliographie, qui ne prétend aucunement à un traitement exhaustif du sujet, est extraite principalement des revues d’architecture et des revues internationales comme par exemple LIBER Quarterly. Des annotations la rendraient encore plus utile.
Le texte qui suit résume six articles parus dans les numéros 1 à 3 concernant la construction et l’usage des nouveaux bâtiments, ainsi que les défis et les enjeux de l’application et de l’offre des nouvelles technologies dans les bibliothèques 2, notamment les bibliothèques universitaires auxquelles se réfèrent la plupart des articles examinés. On proposera quelques parallèles avec la situation actuelle en France.
Bibliothéconomie et architecture
La contribution la plus représentative des préoccupations actuelles dans les numéros examinés est celle de Walther Umstätter, professeur à l’Institut de bibliothéconomie de l’université Humboldt à Berlin, tout au long de laquelle il trace des liens entre la bibliothéconomie et l’architecture 3 . L’étude des développements de la bibliothèque numérique lui apparaît comme le plus important devoir de la bibliothéconomie contemporaine. Leur analyse est nécessaire pour en déduire une programmation adéquate et prévoyante des bâtiments.
La relation entre architecture et bibliothéconomie se manifeste bien sûr en premier lieu par l'augmentation du nombre des constructions de bibliothèques au cours des siècles. Le doublement des publications disponibles sur le marché tous les vingt ans a mené à des constructions de plus en plus grandes, à des extensions importantes de bibliothèques existantes. Et pourtant aucun bâtiment du XXe siècle ne pourrait stocker entre ses murs la totalité de la production 4 (rappelons que le rapport entre la taille d’une bibliothèque et le taux de son utilisation est constant).
Les bibliothèques s'agrandissent, mais elles se fragmentent. Le perfectionnement des techniques de documentation, la normalisation des conventions et des outils de travail et – en troisième lieu, mais non en dernier par ordre d’importance – l’automatisation, ont permis la division en structures plus petites, la création de bibliothèques spécialisées et de proximité, d’antennes… Cet éclatement a connu des tentatives de recentralisation, surtout au sein des universités, notamment à travers de nouvelles constructions dans les années soixante. La fragmentation perdure néanmoins à ce jour, mais le partage des ressources, des tâches et des compétences est rendu possible par les nouvelles technologies tout en permettant un travail décentralisé en même temps qu'une vue d’ensemble centralisée.
On peut partager le sentiment de l’auteur quand il appelle certaines bibliothèques nationales récemment créées des « dinosaures architecturaux ». La construction de ces mégastructures (et surtout leur fonctionnement et leur entretien) coûtent extrêmement cher, ceci au détriment d’autres besoins, en l’occurrence la numérisation des nouvelles acquisitions. Or d'importantes économies pourraient être réalisées à long terme par la numérisation massive et le stockage compact des ouvrages (Umstätter indique une réduction d’au moins 50 % du coût de stockage « traditionnel »). De plus, les usagers étant rendus autonomes par un accès direct aux collections en format numérisé, il estime que des économies complémentaires en personnel seraient possibles. Les agents ainsi libérés pourraient être réorientés vers de nouveaux services impliqués par les évolutions des bibliothèques.
Dans une perspective bibliothéconomique, l’évolution de l’architecture reflète le développement de la logistique de l’information. Au XIXe siècle, le catalogue papier se trouve au centre de la bibliothèque qui, dans sa forme « classique », offre une salle de lecture ronde couronnée par une coupole (Londres, Washington, Berlin, par exemple). Le développement de l’accès libre aux collections d’un côté, l’inflation des publications et la diversification des formats de l’autre, ont mené à une certaine décentralisation que l’architecture a repris dans des constructions plus grandes, mais découpées en plusieurs secteurs ou départements. L’informatisation des catalogues en amont facilite l’accès aux documents dans ces différents fonds (monographies, périodiques, audiovisuel, plans, etc.).
L’usage croissant de l’informatique au sein des bibliothèques, et l'analyse des comportements de l'usager ont amené à une nouvelle révision du concept de l’espace dans les bibliothèques. D’ores et déjà, les utilisateurs réclament un plan de travail multi-usages qui leur permette de consulter les collections sous n’importe quel format, sur place ou non, et de brancher leur matériel personnel.
Par conséquent, une nouvelle conception de l’architecture des bibliothèques est de rigueur, qui incorpore ces besoins multiples. Désormais, c’est l’usager qui doit être placé au centre, d’où il accède à l’information de plus en plus grâce à l’informatique : catalogue, documents sur n’importe quel support, télécommunication, scanner, imprimante…
Ceci demandera l’abandon de la structure classique tripartite de la bibliothèque – accès du public, magasin et administration sous le même toit – pour aller vers un nouveau type en quatre parties physiquement séparées, mais liées électroniquement : one person libraries (donc les postes multimédias individuels), le stockage en entrepôt coopératif, l’administration, la bibliothèque virtuelle.
En s’appuyant sur des exemples nord-américains et britanniques de bibliothèques universitaires, l’auteur montre que cette tendance devient progressivement une réalité. Dans la plupart des cas, une étroite collaboration avec les services informatiques du campus et les centres d’études multimédias (learning resources centre, multimedia learning centre) se met en place, qui a pour objectif d’encourager les étudiants à préparer et à rendre leur travail sous un format numérique et à utiliser en amont les bibliothèques numériques. La restructuration de la bibliothèque classique en bibliothèque numérique de demain coûtera cher en réorganisation des espaces, câblage et mobilier ; l’auteur cependant ne doute pas que son utilisation et son fonctionnement s’avéreront plus économiques.
En conclusion, Umstätter donne quelques exemples de projets de constructions en Allemagne et plus particulièrement à Berlin, entre autres la bibliothèque centrale de l’université Humboldt qui devrait ouvrir ses portes en 2005. La plupart de ces projets ne sont pas encore passés au stade de la concrétisation, mais ils ont été conçus sous les aspects du management de qualité et avec l’objectif de créer une bibliothèque numérique 5.
Souplesse et adaptation
Quelques aspects du discours de Walther Umstätter sont corroborés par deux articles décrivant des bâtiments récents, l’un en voie de construction 6, l’autre terminé il y a un an 7 . L'article concernant le premier, signé par un architecte du service du bâtiment de Thuringe, est intéressant pour plusieurs raisons. La nouvelle université d’Erfurt, créée par une loi en 1993, a placé la bibliothèque au centre de ses activités. En fait, elle est considérée comme une condition essentielle de la fondation de cette université. Par conséquent, la qualité de l’université sera mesurée en premier lieu en fonction de celle de sa bibliothèque.
Construction classée « prioritaire », le bâtiment doit impérativement être en fonctionnement dans un délai de six à huit années, ce qui exclut des changements majeurs du plan initial. Il est donc vital de cibler correctement les évolutions futures et de les incorporer dans le plan général, de telle façon que le résultat soit conforme aux besoins actuels. En même temps, le plan doit être assez souple pour s’adapter aisément aux nouveaux développements.
L’architecte du projet travaille en étroite coopération avec le chancelier (c’est-à-dire le président) de l’université et la bibliothèque dans le but de réaliser « une université qui s’ouvre à tous les moyens techniques et cela en utilisant un minimum de ressources ». Les usagers d'aujourd'hui souhaitent travailler dans une ambiance « naturelle » (éclairage, ventilation, chauffage…) 8 . En ce qui concerne le futur bâtiment, le facteur « confort » est considéré comme très important. L’ensemble des paramètres est pris en compte pour définir à l’aide de simulations un environnement répondant aux attentes du public.
Le mot d’ordre est « souplesse », surtout en ce qui concerne l’interconnexion. Un réseau reliera les emplacements entre eux, les systèmes doivent être ouverts et évolutifs. L‘informatisation prendra une place primordiale dans la bibliothèque. Partout sur le campus, l’on accédera à l'OPAC ainsi qu’aux réseaux bibliographiques régionaux et nationaux, et la réservation générale en ligne sera possible. Avec l’argument « Si l’on ne peut arrêter un développement, il faut se mettre à sa tête », la bibliothèque aspire à proposer une offre vaste et moderne de fourniture et gestion de l’information. Les conditions spatiales du nouveau bâtiment doivent aussi y répondre, car il faut remplacer au fur et à mesure les ouvrages en rayons par des postes de travail raccordés aux réseaux d’informations.
Esthétique et fonctionnalité
Steffi Leistner, directrice de la nouvelle bibliothèque universitaire à Zwickau (Saxe occidentale), s’intéresse à la relation entre esthétique et fonctionnalité dans l’architecture moderne. Dans la conception de la bibliothèque (ouverte depuis un an), l’esthétique a pris le pas sur les considérations strictement fonctionnelles. La bibliothèque doit être visible, identifiée, valorisée dans l’université et dans la ville. La structure, qui compte quatre étages et un sous-sol pour les magasins, est le résultat d’une étroite collaboration entre l’architecte, les bibliothécaires et le service du bâtiment de l’État.
Toutefois, après l’ouverture, l'isolation du bâtiment a posé problème et il est vraisemblable que l’installation d’une climatisation sera nécessaire ultérieurement. Peut-être les simulations préalables comme celles proposées ci-dessus par Mathias Schrader auraient-elles permis d'éviter cet inconvénient ?
Plusieurs idées exprimées par Leistner se retrouvent également dans la contribution de Inken Feldsien-Sudhaus sous le titre Follows Form Function 9 . Dans cet article, elle présente des guides et recommandations pour la construction et l'aménagement des bibliothèques. Le rapport technique de l'Institut de normalisation allemand, DIN (DIN Fachbericht 13), est considéré comme le plus important de ces documents ; publié en 1988, il n'est cependant plus disponible et une partie des informations est aujourd'hui obsolète. En 1995, le DIN demanda à l'Institut allemand des bibliothèques (Deutsches Bibliotheksinstitut, DBI) de collaborer à la constitution d'une norme nationale, une invitation que le DBI déclina 10 . Par contre, un comité d'experts au sein du DBI a mis à jour l'ancien Fachbericht. La deuxième édition de 1998 porte essentiellement sur les bibliothèques universitaires et de recherche. Des recommandations complémentaires pour les bibliothèques publiques restent encore à établir.
L'auteur observe ensuite que la considération esthétique a gagné du terrain sur la seule fonctionnalité. À côté des lignes directrices plus générales, l'on souhaite désormais construire des bâtiments fonctionnels, mais d'une architecture intéressante qui reflète l'identité de la tutelle.
À côté des recommandations sur la sonorisation, sur l'éclairage et sur la partition des lieux, la mise à jour de ce Fachbericht insiste sur la question des places de travail à offrir dans les bibliothèques. Plusieurs options existent, basées sur un modèle européen, qui prévoit une plus grande surface afin de permettre l'installation d'un ordinateur. Feldsien-Sudhaus déplore que le calcul pour l'espace alloué au personnel repose toujours sur les directives fédérales, préconisant une distribution hiérarchique, et non selon le travail à effectuer. Elle postule l'allocation générale de 15 à 18 mètres carrés pour chaque membre du personnel. En fait, une telle décision connaît déjà des précédents, comme par exemple son adoption par la bibliothèque universitaire de Brandebourg en 1992.
Enfin, l'auteur aborde la question épineuse des connaissances en construction et aménagement qu'un bibliothécaire doit posséder. À son avis, il est nécessaire qu'il (elle) puisse élaborer un plan général des espaces désirés, ainsi qu'une esquisse des fonctionnalités qui les relient. Comme Mathias Schrader plus haut, elle souligne l'importance d'une collaboration étroite entre les partenaires, collaboration essentielle pour réussir une bibliothèque optimale.
Le numérique en devenir
Au sujet de la gestion de l’information, nous trouvons intéressants deux articles dont les contenus se complètent. Helge Steenweg 11 présente la section « Gestion de l'information » au sein de la bibliothèque universitaire (Gesamthochschule) Kassel, en Hesse. Son rapport détaillé décrit sa création en 1995, son évolution et ses activités.
L'adoption du système PICA par la région de Hesse il y a quelques années a été développée auprès de la bibliothèque universitaire de Kassel qui, aujourd'hui, est responsable de trois serveurs PICA et gère ainsi l'administration du système local, les bases de données (et un nouveau système cédérom), et tous les PC utilisés dans la bibliothèque. D'ores et déjà, le catalogue en ligne est disponible sur le Web et d'autres modules permettent le prêt à distance et la connexion à divers réseaux régionaux 12 .
Trois développements dans la bibliothèque de Kassel nous apparaissent remarquables : l'installation des robots de prêt ; l'ouverture en 1998 d'une « multimédiathèque » où l'on peut consulter et essayer la vaste gamme des nouveaux médias ; la création d'une presse universitaire (KUP) en ligne pour toutes les publications de l'université, et en vue de la diffusion des mémoires 13 .
Thomas Hapke 14 rend compte de la conférence Dynamic Documents 15 (« Documents dynamiques ») qui s'est tenue en mars 1999. Une unique initiative des associations scientifiques allemandes sur le thème « Information et communication » (IuK-Initiative), rassemble chaque année des scientifiques pour une discussion sur les nouveaux développements et tendances. Hapke commente principalement les interventions étrangères dont la discussion s'est concentrée sur l'édition électronique des revues scientifiques et des mémoires et les répercussions de ces développements sur l'enseignement et sur la recherche. La description des projets nationaux et internationaux des bibliothèques numériques 16 a souligné l'évolution de nouveaux paradigmes dans l'échange de l'information. Les concepts tels que « document », « format », « publication », « revue », « collection » et même « bibliothèque » sont mis en question, ainsi que le rôle traditionnel de l'éditeur et du bibliothécaire.
Le développement actuel des bibliothèques porte vers l'autonomie locale et le stockage au sein d'un cadre fédéral, ce qui rend encore plus vital le rôle du bibliothécaire dans la connaissance approfondie des besoins de ses « clients » locaux.
En guise de conclusion, citons l'avis d'un participant japonais de la conférence IuK, Shigeo Sugimoto, selon qui la bibliothèque numérique se meut entre la technologie, le contenu et l'usager : « Sans l'usager, le système devient un jouet ; sans contenu, il devient insignifiant, et sans la technologie, inutilisable ».