Formation des étudiants à l'information
Odile Riondet
Le 21 octobre dernier, l'Association des bibliothécaires français (ABF) organisait à Clermont-Ferrand une journée nationale d'étude, intitulée « Formation des étudiants à l'information ». Quelles sont les racines de la question de la formation ? Les intervenants partageaient un certain nombre de constats. Le premier est sans doute la massification de l'enseignement (Raymond Bérard, de la bibliothèque municipale et interuniversitaire de Clermont-Ferrand et Gisèle Bonhomme, de l'université Blaise Pascal, de Clermont-Ferrand).Une massification surtout sensible il y a une quinzaine d'années, et qui a obligé alors à repenser la pédagogie. Et ceci d'autant plus que la massification s'accompagnait de statistiques pessimistes sur l'échec dans les deux premières années universitaires. On peut discuter ou contester ces taux, mais personne ne disconvient qu'ils sont trop importants.
Une incitation à la pédagogie
Face à cette situation, les bibliothécaires sont prêts, et l'ont été assez tôt. D'ailleurs, l'apparition des nouvelles technologies et leur évolution ont toujours constitué une puissante incitation à la pédagogie : un véritable service en bibliothèque ne consiste pas seulement à mettre à disposition des moyens. Il faut encore s'assurer que le lecteur a trouvé ce qu'il cherchait (Martine Blanc-Montmayeur, de la Bibliothèque publique d'information). D'autre part, dans les universités, certains enseignants se sont préoccupés de cette question depuis une quinzaine d'années. Les arrêtés de 1997, introduisant un module de méthodologie, et ceux de 1996, instaurant le tutorat, sont autant un début de structuration au niveau national que l’aboutissement d'un mouvement existant (Élisabeth Noël, de l'Enssib, Gisèle Bonhomme, Micheline Decorps, de l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, Raymond Bérard).
Alors aujourd'hui, quels conseils donner à ceux qui désireraient se lancer dans l'aventure ? Quelles sont les conditions pour que cela marche ?
– une volonté politique forte des bibliothèques apparaît indispensable et il faut en outre s'assurer le soutien du Cevu (Conseil des études et de la vie universitaire) et du président de l'université (Claire Nacher, de l'université de Paris 3, et Dominique Minquilan, de la bibliothèque de cette même université);
– l'inscription de la formation dans la contractualisation des établissements permet l'obtention de moyens;
– nul ne peut faire de formation sans un lieu de formation. L'inscription au plan quadriennal des universités peut permettre, entre autres, l'installation d'une salle spécifique ;
– étant donné le nombre d'étudiants de première année, plusieurs intervenants sont en général nécessaires. Un coordinateur didactique est donc indispensable. Étant donné la disparité générale des intervenants, et les relations parfois difficiles entre les différents profils, il est fortement conseillé de choisir un coordinateur diplomate dans l'âme;
– toute formation à la recherche d'information doit respecter la triple nécessité de connaître la discipline, les outils, la didactique. Faut-il alors former la même personne ou établir des duos (Nicole Le Pottier, de l'université de Toulouse 2)? Constituer une équipe pédagogique mixte entre enseignants et professionnels des bibliothèques apparaît souvent comme la meilleure solution ;
– il faut bien préciser ses propres objectifs, ce qui s'avère indispensable pour définir le nombre minimum d'heures de formation nécessaires à chaque catégorie d'intervenants. Et chacun doit avoir des attributs clairs : la fourniture de documents, les modes d'emploi, la visite de la bibliothèque, la formation des tuteurs…
– la loi Bayrou prévoit un demi-semestre de formation. C'est mieux que rien. Mais la question de la méthodologie (documentaire ou autre) continue à se poser au-delà. Notamment, la maîtrise est aussi un moment important. C'est pourquoi il est nécessaire de réfléchir à la cohérence de la formation sur plusieurs années (Nicole Le Pottier, Louis Klee, du Service commun de la documentation de l'université de Nice-Sophia Antipolis) ;
– il est important de mutualiser les expériences, les croiser, les confronter;
– l'évaluation a été peu citée dans cette journée. Cela ne signifie pas qu'il est inutile de s'en préoccuper, bien au contraire (Anne Dujol, de la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier);
– la question la plus sensible et la plus difficile est sans doute l'articulation des formateurs, et notamment l'articulation entre professionnels des bibliothèques et enseignants. Il apparaît de plus en plus nécessaire d'inscrire la formation à la recherche d'information dans la discipline. Ce préalable est récent. Il n'était pas automatique il y a quelques années. La complémentarité entre le travail des bibliothécaires et celui des enseignants permet de lier la connaissance des moyens et la validation des contenus. Mais dans quelle mesure les enseignants sont-ils prêts à jouer le jeu ? Une difficulté majeure reste le mode d'évaluation des enseignants chercheurs : ils ne sont évalués que sur la recherche. Leur investissement dans la pédagogie ne joue pas sur l’évolution de leur carrière. C'est pourquoi les enseignants qui s'investissent sont ceux qui ne font pas de recherche (enseignants détachés du secondaire). Ainsi, certaines universités ont opté pour l'emploi de professeurs de documentation du secondaire détachés dans le supérieur. Est-ce une bonne solution ? Il est certain qu'il faut élaborer des passages entre école et université. Mais d'autres universités préfèrent travailler uniquement avec les enseignants, ou uniquement avec les personnels de la bibliothèque, ou bien encore former des tuteurs. En tout cas, étant donné le nombre d'étudiants à former, il faut former des formateurs. Cette question de l'articulation des intervenants et de leur recrutement a dominé une bonne partie des débats avec la salle.
Des perspectives et des objectifs plus larges
Ces réflexions et ces propositions se situent dans des perspectives et des objectifs plus larges. Tout d'abord, la formation des étudiants implique d'aller vers de nouvelles coopérations entre les acteurs universitaires. Les acteurs de la vie universitaire s'ordonnent clairement autour d'un objectif de réussite des étudiants (Hélène Veilhan, de la bibliothèque municipale et interuniversitaire de Clermont-Ferrand). Ensuite, les nouvelles technologies sont en train de bousculer tous les métiers universitaires, qu'il s'agisse des bibliothécaires ou des enseignants. La révolution est lisible aussi bien chez les enseignants que dans le métier de bibliothécaire.
La pédagogie n'a pas fini d'évoluer, car, après la massification, c'est la décrue du nombre des étudiants. Et il faut à nouveau penser la didactique dans un contexte de concurrence des universités et d'apparition d'un possible accroissement de l'enseignement à distance. La réflexion didactique et disciplinaire est nécessaire en même temps que la réflexion sur la formation aux technologies, car on ne forme pas à l'information pour former, mais dans un contexte et avec des objectifs.
Dans ce contexte mouvant, la formation des étudiants est un levier pour repositionner la bibliothèque universitaire dans l'université. La bibliothèque doit réorienter son action vers les services au public. Il faut passer de la médiation du document à la médiation auprès du public. La formation se situe dans une logique de plus grande présence auprès des publics. Les professionnels doivent d'ailleurs garder à l’esprit la préoccupation pédagogique dans leurs actes techniques. Ils doivent être présents sur tous les fronts, du service à distance (3e cycle, chercheurs) aux services de proximité (formation).
Il reste encore bien des réflexions à mener en même temps que beaucoup d'actions à mettre en place, l'action marchant avec la réflexion. Une journée comme celle-ci tente d'apporter sa pierre à cette dynamique (Anne-Françoise Bonnardel, de l'ABF).