L'europe des droits de prêt en bibliothèque
Jim Parker
Barbro Thomas
Miriam Sort
La directive européenne sur le droit de prêt public a provoqué en France des débats passionnés entre représentants des auteurs, des éditeurs et des bibliothécaires. Afin d'éclairer les lecteurs intéressés par cette question, le BBF a choisi de laisser la parole à trois pays d'Europe qui ont chacun une approche particulière de cette question : la Grande-Bretagne, la Suède et l'Espagne.
The European directive on public lending rights has provoked, in France, passionate debates between author's agents, publishers, and librarians. In order to illuminate readers concerned by this question, the BBF has chosen to give the floor to three European countries who each have a particular approach to this question: Great Britain, Sweden and Spain.
Die europäische Direktive zum öffentlichen Leihrecht hat in Frankreich leidenschaftlich geführte Debatten zwischen Vertretern der Autoren, Verleger und Bibliothekare ausgelöst. Um die interessierten Leser aufzuklären, hat das BBF drei europäische Länder zu Wort gebeten, die jeweils eine spezifische Sicht der Dinge haben: Grossbritannien, Schweden und Spanien.
La directiva europea sobre el derecho de préstamo público provocó en Francia debates apasionados entre representantes de los autores, editores y bibliotecarios. Con el fin de aclarar a los lectores interesados por esta cuestión, el BBF decidió dejar la palabra a tres países de Europa que tienen cada uno su propia manera de enfocar esta cuestión : Gran Bretaña, Suecia y España.
La directive européenne sur le droit de prêt public a provoqué en France des débats passionnés entre représentants des auteurs, des éditeurs et des bibliothécaires. La richesse des échanges, et souvent leur alacrité, ont mis en évidence que la question posée par cette directive – l'hypothèse d'une rémunération des auteurs pour le prêt de leurs oeuvres dans et par des bibliothèques – dépasse de loin la stricte discussion économique et touche à la conception que les différents acteurs se font de leur rôle culturel et même social.
Il est prématuré de tirer des conclusions définitives du débat en cours, et encore plus de préconiser ici telle ou telle solution qui a pu être suggérée. Mais on remarquera que l'approche relayée par la presse – générale et professionnelle –, les journées d'étude, et les forums ou listes de diffusion électroniques, a souvent orienté les arguments dans un contexte strictement hexagonal. Les références à la situation d'autres pays européens, également concernés par l'application de cette directive, ont presque toujours été incantatoires et sélectives, portées à l'appui de la thèse défendue par le citateur.Afin d'éclairer les lecteurs intéressés par cette question, nous avons choisi de laisser la parole à trois pays d'Europe qui ont chacun une approche particulière de cette question. Trois pays, c'est sans doute trop peu, mais c'est assez pour lever quelques obscurités dans le discours français. Entre le Royaume-Uni, qui a la plus longue expérience d'application de la rémunération d'un droit de prêt, et l'Espagne, qui a décidé d'exempter les bibliothèques publiques du champ d'application de cette directive, en passant par la Suède, qui rémunère les auteurs pour ces prêts, on aura une vision contrastée non seulement des principes d'application de la directive, mais aussi des arguments et méthodes utilisés. Le pragmatisme anglo-saxon a peu à voir avec les exigences de politique culturelle des espagnols ou avec le souci suédois de soutenir ses créateurs. Les débats et les prises de position révèlent des cultures du service public, voire des relations à l’écrit, très différentes, et le panorama aurait sans doute été plus contrasté si l’on avait appelé à la barre l’Allemagne ou les Pays-Bas. Entre nord et sud de l'Europe, en proie à ces tensions difficilement compatibles, la France aura sûrement besoin de quelques mois pour trouver une solution acceptable. Cette solution ne peut être l'application de tel ou tel modèle, mais elle devra être originale, en même temps qu’elle prendra en compte d’autres questions telles que le prix du livre. Puisse l'examen de la situation du Royaume-Uni, de l'Espagne et de la Suède contribuer à faire progresser le débat.
L'Europe des droits de prêt en bibliothèque…au Royaume-Uni 1(par Jim Parker - Juillet 1999)
Le droit de prêt en bibliothèque (PLR, Public Lending Right) a été institué par une loi adoptée en 1979, accordant aux auteurs le droit « de recevoir de temps en temps d'une caisse centrale des versements justifiés par le prêt de leurs ouvrages dans les bibliothèques publiques du Royaume-Uni ».Aux termes de la loi, les paiements sont assurés par les services de l'État, et les auteurs pouvant y prétendre touchent des droits en fonction du nombre de fois où leurs livres ont été empruntés dans plusieurs biblio thèques censées constituer un échantillon représentatif. Pour percevoir ces versements, les auteurs doivent demander leur inscription au Bureau du PLR, qui met à jour le registre des auteurs qualifiés et des titres parus, et supervise l'administration du droit de prêt en bibliothèque. La loi définit ce dernier comme un droit de propriété intellectuelle distinct du copyright.
Les principes du PLR étant ainsi juridiquement posés, le gouverne ment en a ensuite élaboré le plan d'application, examiné par le Parlement en 1982. Ce dispositif précise les règles de recouvrement de ce nouveau droit sur le territoire du Royaume-Uni, les conditions exigées des auteurs et des ouvrages, la liste des bibliothèques choisies pour le calcul du paiement des droits de prêt.
Le Bureau du PLR est responsable de la gestion du droit de prêt devant le secrétariat d'État à la Culture, à la Presse et aux Sports, qui assure le financement de son application. Le Bureau et le secrétaire d'État suivent les recommandations d'un comité consultatif ad hoc, où siègent des représentants des bibliothèques, des autorités locales, des milieux de l'édition, des auteurs, et des caisses gérant les droits de la propriété intellectuelle. Le comité consultatif a un droit de regard sur la mise en oeuvre du plan d'application, et il donne des avis d'experts sur des questions diverses, telles que les conditions exigées des auteurs pour bénéficier du PLR.
Historique
Avant l'adoption de la loi de 1979, les écrivains britanniques ont dû batailler une trentaine d'années afin que soit reconnu leur droit à toucher une rémunération pour l'utilisation de leurs oeuvres dans les biblio thèques publiques. Pour dire les choses crûment, on peut assimiler le droit de prêt en bibliothèque à une compensation pour des droits d'auteur non perçus; en effet, une biblio thèque ayant acheté un livre à un seul exemplaire va le prêter à des centaines de lecteurs qui, à défaut, se le seraient peut-être procuré en librairie. L'honnêteté oblige toutefois à préciser que les écrivains trouvent que le PLR est déjà amplement justifié, dès lors qu'on le considère comme la juste récompense de l'effort littéraire à fournir pour distraire et instruire les millions de lecteurs qui empruntent gratuitement leurs ouvrages.
La revendication de l'instauration d'un droit de prêt en bibliothèque prit un virage décisif au début des années soixante-dix, avec la constitution du Writers Action Group (WAG). Comprenant que beaucoup de gens, les bibliothécaires en particulier, craignaient que le gouvernement ne finance le PLR en mettant à contribution les utilisateurs des bibliothèques – et ne revienne ainsi sur le principe de la gratuité de la lecture publique –, le WAG axa sa campagne sur la nécessité d'assurer le financement de ce nouveau droit sur le budget de l'État. Pour finir, malgré la forte opposition d'une minorité de parlementaires, le PLR fut inscrit dans la loi en 1979. Cette première étape fut suivie de la nomination du Bureau, de l'adoption du plan d'application en 1982, et de l'installation des services administratifs à Stockton-on-Tees. La première année, le gouvernement débloqua 2 millions de livres pour le PLR; aujourd'hui, le budget s'élève à 5 millions de livres.
Auteurs et ouvrages concernés
Tout auteur qui, à titre exclusif ou principal, réside au Royaume-Uni, peut prétendre au PLR. Ce dispositif exclut les îles anglo-normandes et l'île de Man du champ d'application de la loi. Le versement du droit de prêt en bibliothèque n'est donc pas fonction de la nationalité, et le PLR est techniquement accordé aux ressortissants étrangers domiciliés au Royaume-Uni. En outre, depuis 1985, les écrivains vivant en Allemagne peuvent demander leur inscription au Bureau du PLR en raison de l'accord de réciprocité qui permet aux écrivains du Royaume-Uni de percevoir des droits sur le prêt de leurs oeuvres dans les bibliothèques allemandes.
Le PLR tel qu'il est défini au Royaume-Uni n'ayant rien à voir avec le droit d'auteur, il n'est pas régi par les conventions internationales sur le copyright, et les écrivains résidant hors des frontières du Royaume-Uni ne peuvent par conséquent y prétendre en invoquant le principe du « traitement national » prévu pour le copyright. L'obligation de résidence s'applique à la date à laquelle l'auteur demande à bénéficier du PLR, pas à la période de rédaction ou à la date de publication. Un auteur qui émigre à l'étranger sans avoir pris la précaution de faire inscrire au registre du PLR les titres qu'il a déjà publiés ne pourra donc pas réparer cet « oubli » tant qu'il résidera hors du territoire national. En revanche, un auteur qui part s'installer à l'étranger après avoir accompli cette formalité continuera à toucher des droits sur le prêt de ces livres, même s'il ne peut plus faire enregistrer les suivants. De fait, la condition de résidence prive des revenus du PLR nombre d'écrivains connus dont les livres se vendent bien.
Cette clause a été souvent dénoncée, notamment par les auteurs partis vivre à l'étranger pour raisons de santé ou tout autre motif, et les critiques qu'elle suscite viennent finalement de conduire le gouvernement à modifier les dispositions réglementaires prévues. En effet, depuis que cet article a été écrit, la situation a évolué au Royaume-Uni : le secrétaire d’État a pris la décision d’étendre le droit de prêt à tous les auteurs résidant dans la Communauté européenne.
Le plan adopté en 1982 ne précisait que les conditions exigées des auteurs. Depuis, le champ d'application en a été étendu à d'autres métiers du livre et de l'écrit – rédacteurs, rewriters, illustrateurs, photographes, responsables de publication et traducteurs. Ces deux dernières professions perçoivent respectivement 20 % et 30 % au moins du PLR afférent à un titre, ce pourcentage étant susceptible d'augmenter en fonction de l'importance de leur contribution personnelle.
Selon la loi de 1979, seuls les livres font l'objet du PLR. Le plan d'application définit plus précisément les livres comme des publications « imprimées et brochées ». Cette définition vaut donc pour les livres de poche. En revanche, les publications suivantes sont expressément exclues du cadre du PLR :
– ouvrages portant sur la page de titre le nom d'une société commerciale ou d'une association (en lieu et place du nom d'auteur) ;
– partitions musicales ;
– publications dont la Couronne détient le copyright ;
– publications en série (revues, périodiques, journaux, etc.).
Depuis l'ouverture des inscriptions, en septembre 1982, chaque année environ 1500 nouveaux écrivains sont venus s'inscrire au registre, ce qui représente en moyenne 15000 parts supplémentaires au titre du PLR. Rien n'indique un éventuel ralentissement de cette augmentation continue des chiffres.
Constitution de l'échantillon
Selon la loi de 1979, les versements sont déterminés en fonction des prêts de livres enregistrés dans les bibliothèques centrales de région. S'agissant du PLR, ces bibliothèques centrales correspondent aux établissements définis par la loi de 1964 sur les bibliothèques publiques, et par les textes législatifs équivalents en vigueur en Écosse et en Irlande du Nord. Les études techniques sur le PLR menées par des commissions gouvernementales au cours des années soixante-dix ont montré qu'il serait à la fois irréaliste et très onéreux de travailler sur l'ensemble des registres de prêt des quelque 170 bibliothèques centrales en activité au Royaume-Uni. Aussi a-t-on opté pour une méthode de sondage statistique, qui, dans la première version du plan d'application, portait sur un échantillon de seize bibliothèques seulement. Ce nombre, très inférieur aux soixante-douze bibliothèques recommandées par les rapporteurs des études techniques, fut cependant jugé plus raisonnable au vu de la dépense à engager, dans la mesure où le Bureau du PLR finance les opérations de comptage ou de recensement que les bibliothèques doivent effectuer pour identifier les titres empruntés et préciser le nombre de prêts dont ils ont fait l'objet. Théoriquement, le Bureau aurait pu demander qu'on équipe les bibliothèques d'un système informatique d'enregistrement des prêts ; en pratique, il a constitué. son échantillon avec les bibliothèques disposant déjà d'un tel système informatique.
Statistiquement parlant, l'échantillon de départ était restreint. À l’époque comme aujourd'hui, il s'agissait toutefois de trouver un équilibre entre sa taille et le coût du recueil des données, supporté par la Caisse du PLR. Le nombre de bibliothèques le composant a pu être porté à vingt en 1987, puis à trente en 1989. La décision à cet égard la plus significative fut néanmoins prise en 1991, puisque, à dater de cette année, le recensement du prêt des ouvrages fut étendu à deux au moins des annexes de chaque bibliothèque centrale de l'échantillon. Cette méthode jugée plus rentable permettait de prendre en compte une liste de titres et un nombre de prêts plus importants, dans la mesure où le système informatique de la bibliothèque centrale est en principe conçu pour traiter l'ensemble des informations relatives au prêt, recueillies dans toutes les sections informatisées. Cette année, les données transmises par ces sections aux trente bibliothèques centrales de l'échantillon représenteront environ 10 % de l'ensemble des prêts d'ouvrages consentis dans les bibliothèques publiques du Royaume-Uni.
Le calcul des droits
Les auteurs inscrits au registre touchent une fois par an, en février, les droits correspondant au prêt de leurs oeuvres pendant les douze mois de la période de référence écoulée, sachant que cette dernière court du 1er juillet au 30 juin. Les livres donnant lieu à des versements doivent avoir été enregistrés avant la clôture de cette période. À la fin de l'année de référence, l'ordinateur du Bureau du PLR fournit une évaluation nationale des prêts de chaque ouvrage inscrit au registre, résultat qui représente la somme totale des évaluations régionales préalablement calculées. Les bibliothèques centrales sont regroupées régionalement comme suit : zones rurales anglaises ; zones urbaines anglaises ; Londres et sa banlieue ; Pays de Galles ; Écosse ; Irlande du Nord. Quant à la méthode de calcul adoptée, elle consiste à :
1. additionner région par région les prêts de livres communiqués par les bibliothèques de l'échantillon ;
2. établir région par région, à partir des statistiques disponibles, le total des prêts de livres de toutes les bibliothèques du pays ;
3. calculer en pourcentage ce que le point 2 représente par rapport au 1, et donner à l'aide de ce facteur une évaluation régionale des prêts de chaque livre considéré.
Prenons l'exemple du Pays de Galles, où les prêts d'ouvrages communiqués par les bibliothèques de l'échantillon représentent à peu près 5 % de l'ensemble des prêts régionaux; pour obtenir une estimation régionale globale, il convient donc de multiplier ce pourcentage par un facteur 20. On applique la même formule proportionnelle à chaque région, puis on additionne les différentes estimations ainsi obtenues pour chaque livre afin d'arriver à une évaluation nationale. Dans un deuxième temps, on précise le taux des droits par prêt en divisant les fonds dont dispose la Caisse du PLR (déduction faite des frais d'exploitation) par le total des évaluations de prêt des titres considérés ; ce taux est actuellement de 2,07 pence par prêt.
Pendant les quinze premières années d'existence du PLR, les frais de fonctionnement ont absorbé en moyenne entre 11 % et 12 % des fonds régis par la Caisse, étant entendu que cette fourchette ne prend pas en considération les investissements occasionnels. Il faut de toute façon réduire au minimum les frais d'exploitation afin de dégager le plus d'argent possible pour le paiement des droits.
La somme que chaque auteur doit toucher est facile à calculer, une fois précisés le taux des droits par prêt et l'estimation globale du nombre de prêts par ouvrage. Un écrivain dont les livres ont été empruntés 50000 fois percevra au total 50 000 fois 2 pence, soit 1 000 livres sterling. Le versement des droits n'est pas assuré en deçà du seuil minimum de 5 livres sterling pour l'ensemble des prêts des ouvrages d'un même auteur. De toute façon, quel que soit le montant qu'ils touchent, les auteurs découvrent toujours avec un vif intérêt les précisions chiffrées sur le prêt de leurs ouvrages que le Bureau du PLR leur adresse chaque année en janvier, et qui sert de base au calcul de leurs droits. C'est là un effet positif important, et sans doute imprévu, du PLR, en ce qu'il permet aux écrivains de mesurer la popularité de leur oeuvre en bibliothèque.
Selon les dispositions du plan d'application, le versement des droits ne peut excéder une certaine limite. Fixé à 5 000 livres sterling au départ, le plafond a été porté à 6 000 livres sterling en 1989 pour tenir compte de l'inflation. En février 1999, cent auteurs ont reçu ce versement maximum, et 500000 livres sterling ont été redistribuées entre les autres bénéficiaires du PLR.
Le système est-il équitable ?
Parce qu'il ne porte que sur les livres et se limite délibérément aux bibliothèques publiques – ramenées, qui plus est, à un échantillon –, le PLR, à l'instar de tout système du même ordre, a ses gagnants et ses perdants. Les premiers sont les auteurs d'ouvrages formant le gros des collections des bibliothèques centrales et appréciés par le grand public, à tout le moins par les catégories de la population qui fréquentent le plus les bibliothèques. Les romans pour adultes totalisent près de 60 % des prêts enregistrés; viennent ensuite les essais, les ouvrages pratiques, les ouvrages de référence (20 %), et les livres de fiction. pour enfants (20 % également). S'agissant de la première catégorie, les romans historiques, policiers et sentimentaux sont les plus demandés et ils dégagent des droits de prêt importants.
Quant aux perdants du système, ce sont d'abord les jeunes écrivains dont la réputation n'est pas encore établie auprès des lecteurs de bibliothèque, et qui, dans l'intervalle, doivent se contenter de droits peu élevés. On connaît plusieurs exemples d'auteurs dont le succès croissant est assez précisément mesuré par la courbe ascendante de leurs droits de prêt en bibliothèque. Une des critiques souvent adressées au système du PLR est qu'il récompense des auteurs reconnus qui ont moins besoin que d'autres des sommes reversées. Or, le PLR n'a jamais eu pour vocation d'aider financièrement les auteurs méritants ; il a été institué pour compenser le manque à gagner généré par le prêt en bibliothèque, et il est donc logique que les auteurs des titres le plus souvent empruntés touchent les droits les plus élevés. Rappelons toutefois que le plafonnement des droits dont il a été question plus haut a justement été prévu pour éviter que les auteurs à succès se partagent la totalité des fonds disponibles.
Les autres perdants, ce sont bien sûr les auteurs dont les ouvrages sont surtout présents dans les biblio thèques universitaires et spécialisées, et qui n'entrent pas dans le calcul du PLR. S'agissant des bibliothèques publiques, il faut également mentionner les auteurs d'ouvrages classés parmi les usuels, et donc exclus du prêt, ou les auteurs d’œuvres présentant un intérêt surtout régional. Ces derniers ont parfois d'heureuses surprises, quand la bibliothèque centrale de leur région fait partie de l'échantillon retenu pour le PLR, mais généralement leurs droits diminuent de façon substantielle lors de la recomposition de l'échantillon. S'ils s'en étonnent, on leur conseille de prendre en considération la moyenne des droits perçus sur une longue période, plutôt que de comparer les variations inévitablement entraînées d'une année sur l'autre par la modification de l'échantillon.
La durée du prêt n'entrant pas en ligne de compte, certains estiment par ailleurs que le système désavantage les auteurs d’œuvres par nature volumineuses – sagas familiales ou biographies, par exemple – qui réclament en moyenne un temps de lecture beaucoup plus long ; d'où l'argument que ces livres sont moins disponibles pour le prêt que les livres plus courts, puisqu'ils sont retirés plus longtemps des rayons. La question n'est pas nouvelle, et le conseil consultatif du PLR s'est souvent penché dessus. Il est cependant arrivé à la conclusion que la taille d'un livre ne détermine pas nécessairement la longueur du délai écoulé entre le moment où il est emprunté et celui où il est rendu. Tout le monde, en effet, ne lit pas à la même allure. Il est fréquent que les lecteurs empruntent plusieurs livres à la fois et les rendent tous ensemble, quel que soit le temps que leur a pris la lecture de chacun d'entre eux. Admettre que certains livres sont plus longs à lire que d'autres reviendrait à introduire un jugement de valeur dans un mode de calcul (en l'occurrence celui du PLR) qui se veut impartialement mécanique.
Les plus ardents défenseurs du PLR eux-mêmes n'iraient pas jusqu'à soutenir que ce système est idéal. Depuis 1982, conformément aux recommandations du Bureau et du conseil consultatif du PLR, le gouvernement modifie régulièrement les dispositions du plan d'application pour en corriger les anomalies et les injustices. Quoi qu'il en soit, s'il donne globalement satisfaction aux bibliothécaires et aux auteurs, le système comportera toujours une certaine dose d'arbitraire. Comme le disait toutefois un ancien président du conseil consultatif, mieux vaut un droit arbitraire que pas de droit du tout.
L'Europe des droits de prêt en bibliothèque…en Suède 2(par Barbro Thomas - Décembre 1999)
En Suède, le prêt d'ouvrages dans les bibliothèques publiques et scolaires donne lieu depuis 1954 à des droits reversés par l'État aux écrivains et aux auteurs. Ces derniers ont bataillé une vingtaine d'années avant d'obtenir la reconnaissance de ce droit de prêt en biblio thèque, introduit dans la recommandation d'une commission gouvernementale sur le livre, constituée en 1948. La commission estima en effet qu'il était normal que les écrivains touchent une compensation pour l'utilisation faite de leurs oeuvres dans les institutions publiques, et souhaitable d'améliorer de la sorte leur situation financière.
La loi suédoise sur le copyright prévoit que le créateur littéraire a en principe droit à une compensation pour tout usage de son oeuvre. Elle stipule en outre qu'un livre publié peut être gratuitement distribué. Autrement dit, à partir du moment où une bibliothèque intègre un titre à ses collections, elle a toute latitude pour le prêter au grand public. L'auteur ne peut quant à lui s'opposer à la circulation de son livre, mais, en échange, il a légalement droit à une compensation financière.
Fondé sur une somme précisément chiffrée par ouvrage emprunté, le mécanisme de compensation est le même aujourd'hui qu'au départ. Il a en revanche progressivement évolué sur d'autres points; ainsi, les droits sont dus pour le prêt de livres comme pour la consultation d'ouvrages de référence.
Gestion du système
Avant 1985, les règles servant au calcul de la compensation et de son montant étaient déterminées de manière unilatérale par l'État. L'accord passé en 1985 entre le gouvernement et l'Union suédoise des écrivains, l'Association suédoise des illustrateurs et l'Association des photographes suédois a substitué à ce mode de calcul un système de négociations contractuelles destiné à fixer un taux de base du droit par prêt (le « taux de rémunération »). En 1999, ce taux était de 1,01 couronne (environ 0,75 F). Multiplié par le nombre de prêts, il permet de calculer le montant annuel de la compensation due.
Le système est administré par le Fonds des écrivains suédois, dont le conseil d'administration est composé d'un président et de treize membres ; quatre d'entre eux (dont le président) sont nommés par le gouvernement; les dix autres sont des représentants des associations professionnelles d’écrivains, d'illustrateurs et de photographes.
En 1999, le budget géré par le Fonds des écrivains suédois s'élevait à 106 millions de couronnes environ, dont la plus grande partie a été reversée au titre du droit de prêt en bibliothèque. Les dispositions actuellement appliquées prévoient également un système d'aide et d'assurances à l'intention des écrivains, des traducteurs et des illustrateurs – par exemple des bourses de cinq ans destinées aux jeunes écrivains, traducteurs et illustrateurs, des pensions de retraite pour les plus âgés, ainsi que des bourses de recherche et de voyage.
Le droit de prêt en bibliothèque est destiné à compenser le manque à gagner généré par :
– les prêts de livres et la consultation d'ouvrages de référence écrits en suédois ;
– les prêts de livres et la consultation d'ouvrages de référence traduits en suédois ;
– les prêts de livres et la consultation d'ouvrages de référence dont les auteurs résident de façon permanente en Suède.
Ce droit est dû pendant toute la durée du copyright, soit jusqu'à la soixante-dixième année incluse après la mort de l'auteur ou du traducteur.
En 1999, près de 38 millions de couronnes ont été alloués à différents auteurs au titre du droit de prêt en bibliothèque. Le montant perçu par chaque auteur est fonction du nombre de prêts enregistré dans les bibliothèques publiques et scolaires ; il est fixé à partir d'un calcul statistique sur des échantillons aléatoires mesurant la fréquence des prêts et la consultation des ouvrages de référence.
Le système de compensation prévoit par ailleurs le versement d'un montant garanti à certains auteurs. À l'heure actuelle, quelque 230 créateurs littéraires reçoivent ce montant annuel garanti de 124 000 couronnes.
Quelques données
Un bref survol historique des données chiffrées du droit de prêt en bibliothèque pratiqué en Suède permet de donner les exemples suivants : en 1954, le nombre total de prêts ouvrant droit à une reversion s'élevait à 37,8 millions, l'État a redistribué 664050 couronnes aux auteurs, et le « taux de rémunération » était de 0,03 couronne. En 1966, le nombre total de prêts était passé à 51,7 millions, et le taux de rémunération à 0,06 couronne, pour un budget global reversé de 2,6 millions de couronnes. Quatre ans plus tard, en 1970, le taux de rémunération avait doublé (0,12 couronne), et le budget global plus que triplé (7,04 millions). En 1998, on a comptabilisé 72 millions de prêts en bibliothèque, le taux de rémunération a été fixé à 1,01 couronne et 106 millions de couronnes environ ont été partagés entre les auteurs.
L'augmentation des fonds redistribués par l'État entre 1966 et 1970 est due à l'action entamée par les écrivains et autres auteurs en 1969 : pour protester contre un taux de rémunération jugé trop faible, ils retirèrent leurs livres des bibliothèques publiques, et cette démarche abondamment commentée attira l'attention du grand public sur l'insuffisance des sommes qu'ils recevaient.
Bien qu'il se soit ainsi amélioré en plusieurs étapes, le système est encore loin d'être parfait. En règle générale, il ne permet pas aux auteurs de vivre des sommes qui leur sont reversées, et très rares sont ceux qui touchent des droits suffisants pour simplement subsister.
À l'heure actuelle, chacun d'entre eux reçoit 0,61 couronne par prêt pour les 100 000 premiers prêts ; au-delà, le montant des droits diminue graduellement. L'auteur le mieux rétribué en 1999 a perçu 180410 couronnes. Pour donner une comparaison, cela signifie que les quelques auteurs touchant les droits les plus élevés reçoivent à peu près l'équivalent du salaire annuel d'un vendeur ou d'un employé de bureau.
Avec 1,74 million de prêts enregistrés en 1998, Astrid Lindgren arrive en tête de la dernière « liste des 200 auteurs les plus lus » établie par le Fonds des écrivains suédois. Viennent ensuite plusieurs auteurs de livres populaires pour enfants, puis, en quinzième position, Henning Mankell, l'auteur de romans pour adultes le mieux rémunéré. Le premier auteur traduit du français est Hergé, trente-troisième sur la liste ; Goscinny est cinquante-sixième, et Jean de Brunhoff cent trente-sixième.
L'Europe des droits de prêt en bibliothèque…en Espagne 3(par Miriam Sort - Décembre 1999)
L'Union européenne (UE) met actuellement en place une procédure de révision du droit d'auteur afin d'harmoniser le cadre normatif des États membres. Cela se traduit par l'approbation de différentes directives parues depuis 1991 sur la protection juridique des logiciels, les droits de location et de prêt dans le domaine de la propriété intellectuelle, sur certaines règles applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, sur la durée de protection du droit d'auteur, sur la protection juridique des bases de données. Cette réglementation cherche non seulement à réguler les nouvelles situations dérivées des défis posés par l'utilisation de la technologie numérique et des réseaux de communication, mais aussi à uniformiser les législations nationales déjà existantes.
Directive européenne et droit espagnol
C'est en 1992 que fut adoptée la directive relative au droit de location et de prêt dans le domaine de la propriété intellectuelle 4. Elle octroyait à l'auteur un droit exclusif sur le prêt de ses oeuvres. En accord avec cette directive, le prêt d'ouvrages effectué par les bibliothèques requérait l'obtention d'une autorisation préalable de l'ayant droit et le paiement d'une rémunération, si rien d'autre n'était établi dans la législation nationale.
L'une des principales difficultés que rencontra cette directive fut la diversité des réalités existantes. Certains pays de l'UE disposaient déjà d'une politique (connue comme programme) de droit de prêt public qui prévoyait une rémunération des auteurs pour le prêt de leurs oeuvres par les bibliothèques (la plus ancienne, celle du Danemark, existe depuis 1946). Ce n'est qu'en Allemagne que ce droit se situait dans le cadre du droit d'auteur. D'une manière générale, la directive ouvrait une voie en direction du droit d'auteur aux divers programmes de prêt public de l'UE. Mais, dans quelques cas, comme en Espagne, la rémunération n'était pas prévue. Pour parvenir à un consensus parmi les États membres, l'article 5 de la directive 5 autorisait des exceptions à ce droit exclusif, à condition que l'auteur soit rémunéré de manière équitable. De plus, les États pouvaient fixer librement cette rémunération en tenant compte de leurs « objectifs de promotion culturelle », ils pouvaient aussi en exempter certains types d'établissement.
En Espagne, la directive européenne relative au droit de location et de prêt fut adoptée en 1994 par la loi 43/94 6. L'amendement – présenté durant l'élaboration de cette loi – qui demandait la rémunération du prêt au public de certains types de documents (phonogrammes, films et logiciels) 7, fut en fin de compte rejeté selon l'argument suivant : en excluant certains supports qui seraient dans le futur couramment utilisés pour les oeuvres intellectuelles 8, l'exception était vidée d'une grande partie de son contenu. Ainsi, la loi espagnole reprit l'exception concernant le prêt pratiqué en bibliothèques, tant en ce qui concerne l'autorisation des ayants droit que la rémunération que la directive proposait en option aux États.
À l'abrogation de cette loi 43/94, l'exception sur le droit de prêt public fut incorporée au nouveau texte de la loi sur la propriété intellectuelle de 1996 (article 37.2) 9. En accord avec cet article, les bibliothèques et autres établissements de statut public ou appartenant à des organismes d'intérêt général à but non lucratif, les institutions d'enseignement intégrées dans le système éducatif espagnol, peuvent aujourd'hui prêter des ouvrages protégés sans autorisation des titulaires des droits et sans leur payer aucune rémunération 10.
Avant la directive de 1992, la situation en Espagne était la même pour toutes les bibliothèques. L'exception actuelle pour les bibliothèques n'existait pas, mais la loi sur la propriété intellectuelle de 1987, déjà abrogée, établissait que la première vente de l’œuvre supprimait par la suite tout droit de distribution ou de prêt 11. De sorte qu'il n'était plus nécessaire de demander une autorisation à l'auteur ou de lui payer une rémunération pour le prêt de son oeuvre une fois réalisée la première vente 12. Il faut préciser que le texte de la loi était un peu ambigu sur ce point et qu’une partie de la doctrine n’était pas d’accord avec cette interprétation.
En définitive, nous pouvons dire que, dans ce domaine et malgré la directive européenne et les expériences d'autres pays, l'Espagne a invariablement maintenu sa tradition juridique.
La répercussion de la directive : le débat
En 1992, la FESABID (Federación Española de Sociedad de Archivística, Biblioteconomía, Documentación y Museística) organisa une conférence sur le prêt de livres en bibliothèques, à laquelle participèrent des représentants des auteurs et des bibliothèques 13. Le secrétaire général de l'Association collégiale des écrivains espagnols proposa que l'État assume le paiement de ce prêt par une enveloppe distincte de celle destinée aux bibliothèques, ceci afin d'éviter le préjudice entraîné par la diminution des budgets d'acquisition 14. Les bibliothèques exprimèrent, par la voix du président de la FESABID, leur crainte qu'une législation protectrice des droits légitimes des auteurs n'ait une incidence négative sur leurs budgets d'acquisition, ou sur certains aspects implicites de leur développement.
Le sous-directeur général de la propriété intellectuelle au ministère de l'Éducation et de la Culture, Esteban de la Puente, expliqua, lors de journées sur l'harmonisation du droit d'auteur dans l'UE, qui se tinrent en 1993 à Santander, que l'Espagne s'opposait à l'introduction d'une rémunération du prêt public pendant la procédure d'approbation de la directive. Le ministère regardait avec intérêt cette mise en service, mais son adoption, à ce moment-là, n'était pas opportune, les études économiques nécessaires sur son évaluation 15 n'ayant pas été faites.
En diverses occasions, la FESA-BID 16 a exprimé un solide appui à la protection des droits de propriété intellectuelle et à leur harmonisation aux niveaux européen et international. La Fédération pense que les intérêts économiques et moraux des titulaires des droits de propriété intellectuelle doivent être protégés, mais qu'ils ne doivent pas faire obstacle, dans le processus d'harmonisation de ces droits, à l'accès de tous les individus à l’information et au savoir.
Grâce à l'articulation de différents droits, moraux et économiques, l'ordonnance juridique protège la création intellectuelle et a pour objectif de la stimuler. Mais la protection que donne la loi ne peut pas être absolue ; si c'était le cas, elle entrerait en conflit avec les intérêts du public en général. Sont donc prévues des limites aux droits d'auteur au profit de l'intérêt général, limites qui constituent des exceptions à la protection fixée par la loi et qui précisent que, pour certains actes, l'autorisation de l'auteur ou sa rémunération ne sont pas nécessaires.
L'existence de ces limites ou exceptions justifie la recherche d'un équilibre entre l'intérêt privé des ayants droit (auteurs, éditeurs) et celui des citoyens en général – dont les usagers des bibliothèques. Cet intérêt général, qui figure dans les constitutions des États 17, est repris dans différents traités internationaux qui reconnaissent à chacun le droit et la liberté de faire des recherches, de recueillir et de diffuser des informations et des idées, le droit de participer à la vie culturelle, de bénéficier du progrès, etc.
Malgré tout, cette partie du débat semble être dépassée par les intérêts, notamment économiques, représentés par l'UE. Cette constatation est confirmée par la nouvelle proposition de directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information 18, actuellement en cours d'approbation. En Espagne et dans d'autres pays de l'Union, la portée de cette directive concentre le débat sur les questions de propriété intellectuelle en rapport avec les bibliothèques.
Le 21 mai 1999, la Commission a proposé une modification de la directive, qui donne une vision très restrictive des limites au droit d'auteur. Dans certains cas, comme celui de l'Espagne, cela supposerait l'élimination des exceptions actuelles ou leur dénaturation. Nous sommes par conséquent confrontés à une révision législative qui remet en question le contenu actuel des législations nationales – minimum à maintenir –, et dont rien ne justifie l'élimination.
La future directive suppose une reconsidération globale du système de propriété intellectuelle, mais en lui appliquant les structures traditionnelles du droit d'auteur. C'est l'une des formules capables de faire face aux changements qu'apporte la société de l'information. Cependant, si ce choix devait être fait, il faudrait lui appliquer le schéma traditionnel avec toutes ses conséquences. Cela signifie, par exemple, inclure des limites au droit d'auteur qui permettent une utilisation raisonnable de l'information à des fins précises (recherche, enseignement, études personnelles, etc.) réalisées sans but lucratif et qui sont la clef du développement du patrimoine culturel de l'humanité. Ces questions affectent de façon directe la politique culturelle de chaque État ; afin qu'elle soit menée au profit des citoyens, il conviendrait donc de respecter leur compétence dans ce domaine.
À mon avis, l'opportunité d'une politique de droit de prêt public en Espagne devrait être analysée à la lumière de cette nouvelle directive et des précédentes. Il s'agit d'éviter que les différentes directives émises par l'UE depuis 1991 ne provoquent une perte de vision globale du système de propriété intellectuelle et qu'il devienne difficile de trouver un équilibre entre les intérêts des ayants droit et l'intérêt général, dont les activités des bibliothèques font partie.
Au cas où se poserait de nouveau la question de la mise en place de la rémunération du prêt public en Espagne, la diversité des facteurs devra être prise en compte. Une étude rigoureuse qui montrerait l'interrelation entre la croissance et la diminution des prêts et les ventes d'ouvrages devra être complétée par d'autres éléments de bon sens qui permettront d'analyser la pertinence de cette nouvelle source de rémunération pour les titulaires des droits.
La compensation aux auteurs pour l'exploitation de leurs oeuvres a pour but de stimuler la création intellectuelle. Dans le cas du prêt public, la source de financement serait, en principe, le secteur public. L'administration publique réalise déjà un investissement économique, concrétisé sous de multiples formes (comme l'achat de livres pour les bibliothèques), afin d'encourager la création intellectuelle. Une partie de la production intellectuelle se voit favorisée par l'octroi aux auteurs de ressources (comme les infrastructures au service du personnel de recherche) en provenance du secteur public. On pourrait ainsi arriver à la conclusion qu’avec la contribution compensatoire pour l'utilisation des oeuvres dans les bibliothèques, l'administration s'acquitte déjà de son devoir de donner une compensation aux auteurs pour l’utilisation de leurs oeuvres dans les bibliothèques et de considérer qu’il est juste que les citoyens voient transformée une partie de leurs impôts en un droit d'emprunter des ouvrages dans les bibliothèques.
Un autre élément entre en ligne de compte : l'administration, en prêtant les livres, ne poursuit aucun but lucratif et, par conséquent, n'en tire aucun bénéfice économique. Dans le même ordre d'idée, il faut tenir compte du fait que nous nous trouvons dans un pays qui a besoin de subventions pour promouvoir la lecture auprès de tous et pour consolider son système de bibliothèques. La mise en place d'une rémunération du prêt public ne devrait en aucun cas affecter ces ressources-là.
Pour la majorité des autres pays, les programmes de droit de prêt public se sont affirmées comme des politiques de promotion culturelle. En général, la rémunération est exclusivement prévue pour les auteurs nationaux résidant dans le pays, ou bien pour les auteurs d’œuvres écrites dans des langues que l'on souhaite promouvoir (c'est le cas du Danemark à l'égard de la langue danoise ; de la Finlande à l'égard du finnois, du lapon et du suédois). À mon avis, inclure le prêt public dans le système de propriété intellectuelle, comme l'a fait la Directive européenne de 1992, est une formule cohérente, étant donné que le prêt est défini comme un acte d'exploitation des oeuvres. Mais cela ne doit pas nécessairement entraîner la mise en place d'une rémunération destinée à canaliser à travers le prêt public le type de promotion culturelle recherché par la plupart des programmes existants.
Il faut donc analyser avec prudence l'introduction de ce nouveau système de rémunération. En Espagne, certains des arguments exposés servent à justifier l'existence actuelle d'une exception pour le droit de prêt public et l'absence de vrai débat.
En tout cas, un effort doit être fait pour maintenir une vision globale sur ce sujet et être attentif à l'avenir. Il est possible que, d'ici peu de temps, le droit de prêt public se transforme, au moins en Espagne, en l'un des rares droits que les titulaires devront sacrifier en faveur de l'accès à la culture des citoyens. Mais il se peut aussi que, en même temps, cette exception n'ait pas toujours l'importance qu'elle a aujourd'hui, étant donné qu'elle s'applique uniquement à la mise à disposition des usagers d’exemplaires physiques des ouvrages (des livres, par exemple), et non à la mise à disposition des ouvrages sur le réseau (ceci est l’un des actes que couvrira la nouvelle directive). Par conséquent, nous nous trouvons face à une limite qui, d'ici peu, ne concernera pas la majorité des ouvrages, ni les informations qui ne se trouveront que sur le réseau. Un accès raisonnable à ces ouvrages sera-t-il possible avec la nouvelle directive ?