Les bibliothèques dans le marché du patrimoine écrit et graphique
Jacques Deville
Les bibliothèques publiques françaises jouent un rôle économique non négligeable vis-à-vis des secteurs marchands du patrimoine écrit et graphique. La nouvelle législation mise en place en 1993, à la suite de la levée des barrières douanières en Europe, a conduit, de fait, ces établissements culturels à assumer des responsabilités plus lourdes par rapport au marché de la bibliophilie. Par ailleurs, la vente de reproductions d'œuvres anciennes constitue également un enjeu considérable, au moment où les agences d'illustration connaissent une mutation technico-économique sans précédent, indiquant d'ambitieux programmes de numérisation. Ces « responsabilités économiques » des bibliothèques en matière de patrimoine écrit et graphique reposent sur des missions spécifiques, très différentes de celles mise en œuvre dans le cadre du développement des politiques de lecture publique. Elles les amènent à nouer de nouvelles relations avec le monde de l'édition.
French public libraries do not play a negligeable role in the market for written and graphical heritage. New legislation put in place in 1993, following the lifting of trade barriers in Europe, has, in fact, driven these cultural establishments to assume greater responsibility in relation to the market of bibliophilia. Moreover, the sale of reproductions of ancient works equally constitutes a considerable stake, at a time when illustration agencies are experiencing technological and economic changes that are without precedent. These “economic responsibilities” of the libraries in the field of written and graphical heritage rests on specific missions, very different to those put to work in the area of the development public reading policies. Notably they allow the formation of new relations with the world of publishing.
Die öffentlichen französischen Bibliotheken spielen im bibliophilen Handelssektor eine nicht zu unterschätzende wirtschaftliche Rolle. Die 1993, nach der Aufhebung der europäischen Grenzkontrollen, neu in Kraft getretene Gesetzgebung hat de facto den kulturellen Institutionen mehr Verantwortung im Bereich des bibliophilen Marktes aufgebürdet. Darüberhinaus ist auch der Handel mit Reproduktionen alter Werke von Gewicht, während die Graphikagenturen eine technische und wirtschaftliche Wandlung ohnegleichen durchmachen. Diese «wirtschaftlische Verantwortung» der Bibliotheken im bibliophilen Bereich beruht auf spezifischen Zielsetzungen, die sich sehr von denen unterscheiden, die im Rahmen der öffentlich geförderten Lesepolitik zum Tragen kommen. Sie bieten ihnen insbesondere die Möglichkeit neue Verbindungen mit dem Verlagswesen einzugehen.
Las bibliotecas públicas francesas desempeñan un papel económico no despreciable frente a sectores mercantiles del patrimonio escrito y gráfico. La nueva legislación de 1993, como consecuencia del levantamiento de las barreras aduaneras en Europa, ha conducido, de hecho, estos establecimientos culturales a asumir mayores responsabilidades con relación al mercado de la bibliofilia. Por otra parte, la venta de reproducciones de obras antiguas está en juego de manera considerable, en el momento en que las agencias de ilustración conocen una mutación técnico-económica sin precedentes. Estas « responsabilidades económicas » de las bibliotecas en cuanto a patrimonio escrito y gráfico se apoyan en misiones específicas, muy diferentes de aquéllas puestas en práctica en el marco del desarrollo de las políticas de lectura pública. Les permiten sobretodo a las bibliotecas anudar nuevas relaciones con el mundo de la edición.
« Le livre, cette marchandise ».
Lucien Febvre, Henri-Jean Martin, L’apparition du livre.
« De jour en jour, le besoin s’affirme plus irrésistible de prendre possession immédiate de l’objet dans l’image, bien plus, dans sa reproduction ».
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée
Au terme de vingt années de profondes mutations, les bibliothèques publiques françaises occupent une place paradoxale dans l’économie de la culture. L’un des signes marquants en pourrait être recherché dans les nombreuses et ambitieuses constructions de bâtiments, dans la hausse sensible des budgets de fonctionnement et dans l’augmentation des effectifs de bibliothécaires, mises en oeuvres au cours des dernières années.
Mais l’essentiel des nouvelles fonctions économiques des bibliothèques se joue sans doute ailleurs : dans leurs relations multiples et complexes avec le secteur marchand de la culture, un secteur lui-même en plein bouleversement. Au-delà de la question du coût des services et des bâtiments, au-delà même de l’attention grandissante portée par la littérature bibliothéconomique aux problèmes de management et de gestion, force est de constater que des rapports décisifs se sont, de fait, noués avec plusieurs segments de l’économie culturelle. Or, si la « responsabilité économique » des bibliothèques vis-à-vis de l’industrie de l’édition et de la reliure mécanisée a récemment fait l’objet d’une brillante mise au point 1, aucune analyse d’ensemble n’a jusqu’à présent étudié leurs relations avec ce qui pourrait être désigné, plus spécifiquement, comme le marché du patrimoine écrit et graphique. L’objectif du présent article se limitera à une évaluation du rôle économique des bibliothèques dans ce dernier champ, lui-même envisagé au travers des deux domaines principaux, et relativement indépendants l’un de l’autre, qu’il recouvre : d’une part, le marché de la bibliophilie (des livres rares, estampes, photographies anciennes et manuscrits) ; d’autre part, le marché de l’image (des reproductions de documents tirés de collections publiques ou privées).
Bibliothèques en mutation et marchés en crise
Les règles qui régissent les rapports des bibliothèques avec le marché du patrimoine écrit et graphique apparaissent, pour le moins, difficiles à appréhender dans leur spécificité. Peuvent-elles, par analogie, être comprises à la lumière de la connaissance relativement précise dont on dispose sur le rôle de ces établissements dans l’économie de l’édition ? On aurait lieu d’en douter tant les deux systèmes de relations paraissent aujourd’hui être éloignés l’un de l’autre. En effet, la conséquence la plus évidente du développement des politiques de lecture publique en France aura été sans doute de rapprocher, comme jamais auparavant, l’offre en bibliothèques de l’offre éditoriale contemporaine – et, du même coup, de faire passer au second plan la vocation patrimoniale de ces institutions.
Jadis conservatoires ombrageux des oeuvres du passé, les bibliothèques consacrent aujourd’hui une part essentielle de leur activité à la médiation qu’elles entendent désormais assurer entre la production éditoriale courante et le public, c’est-à-dire, en fait, entre le pouvoir prescriptif des éditeurs et les attentes supposées de nos contemporains. Reflets de l’offre éditoriale, les collections constituées dans ce cadre expriment, par contrecoup, le poids de toutes les contraintes économiques qui amènent depuis quelques années les éditeurs à limiter les risques commerciaux, notamment en regroupant leurs filières, en multipliant les titres publiés, en recourant prioritairement à la publication d’œuvres de commandes et de livres pratiques, et en limitant la durée de commercialisation de ceux-ci (système de la « rotation rapide ») 2. Le temps n’est certes plus où le directeur d’une grande maison d’édition pouvait affirmer, comme Gaston Gallimard en 1921, que « l’industrie et le commerce du livre n’ont rien de commercial et d’industriel » 3.
Miroirs d’une édition contemporaine en crise, les bibliothèques publiques auront changé de visage pour mieux assumer, au travers du prêt d’ouvrages, leur « mission de redistribution » 4 de la culture livresque auprès du plus grand nombre, quels que puissent être les avatars du livre, parallèlement « formaté » de plus en plus souvent comme un simple produit de consommation. Or, tout indique qu’une telle mission ne saurait être prise en charge par un acteur privé, soumis au seul jeu des lois du marché 5. Mais elle ne peut être pleinement comprise que restituée dans sa pleine dimension économique, qui seule inclut la question lancinante, toujours posée au bibliothécaire, de la diversité de l’offre éditoriale 6.
À l’inverse, les interventions des bibliothèques dans le secteur du patrimoine écrit et graphique mettent en jeu les capacités des conservateurs à opérer à l’intérieur de champs du savoir qui ne sont plus ou pas encore investis par l’industrie de l’édition. Plutôt que de bibliothèques « redistributives », on pourrait parler à ce propos de « bibliothèques productives », au sens que Bertrand Calenge a donné à l’expression 7, pour désigner certaines fonctions développées par un nombre croissant d’établissements : production de documents, mise au jour de gisements de ressources inexploitées, voire réalisation de projets d’édition. Le terme évoque irrésistiblement la vocation originaire des bibliothèques médiévales ou antiques, ces arches du savoir qui furent à la fois lieux de lecture et lieux de production de livres. Mais il renvoie à des types d’interventions économiques, à forte valeur ajoutée, qui ne sont pas sans conséquence sur leur environnement.
D’une part, à travers les acquisitions réalisées sur le marché de la bibliophilie, les bibliothèques ouvrent droit à l’accès d’œuvres souvent anciennes ou inédites, voire parfois totalement inconnues, dont la connaissance est susceptible de modifier le statut d’autres documents déjà conservés dans les collections publiques, étudiés ou non par les chercheurs. L’acquisition d’une pièce de grand intérêt ne découle-t-elle pas de ce qu’on pourrait être tenté d’appeler son « invention » par les experts qui auront su procéder à son identification ou à sa redécouverte ? Or, quelle que soit sa valeur, cet achat n’est pas sans conséquence sur le marché du livre rare et du manuscrit, pour autant qu’il prive les marchands et les collectionneurs de la possibilité d’une revente ultérieure, du fait de l’inaliénabilité des collections publiques.
D’autre part, la vente de reproductions d’images, tirées des fonds conservés, permet aux bibliothèques d’apporter, sur un marché essentiellement destiné aux professionnels de l’édition et de la communication, une quantité non négligeable de documents, qui apparaissent complémentaires de ceux que diffusent les grandes agences d’illustration privées. Dans ce dernier cas, l’enjeu pour les bibliothèques ne réside pas seulement dans la possibilité de réaliser des recettes, susceptibles de couvrir une partie de leurs coûts de fonctionnement. Leur intervention commerciale ne se justifie pleinement que s’il s’agit bien de préserver la diversité des sources exploitables par la recherche et l’édition ; voire d’empêcher qu’un opérateur marchand monopolistique puisse s’instituer en intermédiaire obligé entre les collections des bibliothèques et leur public. Pour autant, les ressources dégagées par la vente des reproductions ne sont pas négligeables. Pour ne citer que l’exemple particulier de la Bibliothèque nationale de France, les recettes propres tirées de la vente et de la diffusion de reproductions, au cours de la dernière décennie, se sont situées entre 7 et 10 millions de francs par an; leur montant peut donc être rapproché de celui du budget consacré par l’établissement aux acquisitions patrimoniales, fixé annuellement à hauteur de 10 millions de francs 8, hors concours exceptionnels extérieurs.
Que l’on considère le marché de la bibliophilie ou celui de l’image fixe, les caractéristiques de ces deux segments économiques apparaissent sensiblement différentes de celles qui sont observées dans le secteur de l’édition contemporaine. Il s’agit, en effet, d’une économie largement informelle et éclatée, marquée par des risques spéculatifs importants, par une très large imprévisibilité de l’offre, et par des phénomènes de « rotation lente », voire d’accumulation, à l’échelle d’une ou plusieurs génération(s) 9. Autre point commun entre les secteurs marchands de la bibliophilie et de l’image fixe : ils connaissent actuellement des bouleversements profonds, dus, pour le premier, aux conséquences de l’ouverture d’un marché français qui fut longtemps encadré par une législation très protectionniste, et, pour le second, à la nouvelle donne que représentent les possibilités de numérisation des images. Les interventions des bibliothèques dans le secteur du patrimoine écrit et graphique ne relèvent donc pas d’un domaine réservé, qui se tiendrait à l’écart de toute pré occupation économique autre que celle des coûts générés en interne par la conservation des collections, voire par leur « valorisation » (terme aux connotations marchandes pour le moins ambiguës). Elles mettent en jeu des missions qui n’ont rien à voir avec celles déployées dans le cadre des politiques de lecture publique.
Les bibliothèques et le marché de la bibliophilie
Évident au XVIIIe siècle, puis réactivé dans les années qui suivirent la tourmente révolutionnaire, le caractère international du marché de l’art a trouvé une occasion d’être publiquement réaffirmé au début de 1993, au moment de la levée des barrières douanières intracommunautaires en Europe. La législation protectionniste qui était restée en vigueur en France depuis sa promulgation en 1941 fut alors abandonnée, ce qui signifia, de fait, l’attribution aux institutions culturelles publiques de responsabilités plus lourdes en matière d’acquisition. Contrairement à la précédente, la nouvelle loi limite en effet à trois ans la durée d’une interdiction de sortie du territoire national ; et ce délai ne peut être ni prolongé ni renouvelé. Certes, à la différence des autres biens, les mouvements d’œuvres d’art restent donc soumis à un contrôle national, conformément à la dérogation prévue par le traité de Rome pour les « trésors nationaux » 10 ; mais, une fois qu’une oeuvre a été déclarée interdite d’exportation par le ministre de la culture, au terme du délai de trois années qui suit cette décision administrative, l’acquisition par la puissance publique de la pièce concernée constitue, en fait, dans la plupart des cas, le dernier moyen de retenir celle-ci à l’intérieur des frontières du pays. En complément de ces dispositions, une nouvelle loi devrait, dès le début 2000, parachever l’abandon du protectionnisme, en supprimant le monopole des commissaires- priseurs sur les ventes publiques françaises, et confirmer l’ouverture plus large du marché national à l’Europe et au monde.
La « responsabilité économique » des musées et des bibliothèques, au regard de la préservation du patrimoine intellectuel et artistique conservé sur le territoire français, n’a donc jamais été aussi grande, dans un marché de plus en plus mobile 11. Si Londres et New York sont devenues les premières places du marché de la peinture et des antiquités, Paris reste la principale plaque tournante du marché du livre rare et, en tout cas, l’épicentre du commerce mondial de manuscrits moderne 12 (Londres, grâce à l’impact de ses vacations saisonnières en juin et en décembre, garde la primauté des grandes ventes publiques de manuscrits enluminés, et New York de celles de photographies anciennes). Selon des estimations de la Chambre nationale syndicale des commissaires-priseurs, confirmées par le détail des rapports annuels de Christie’s, on peut estimer le chiffre d’affaires du secteur de la bibliophilie au dixième du montant du marché de l’art, soit à 1 milliard de francs, en France, en 1998, pour les seules ventes publiques (le produit des cessions de « gré à gré », plus difficile à évaluer, serait, quant à lui, légèrement supérieur). Arbres cachant une forêt de transactions toujours plus nombreuses, quatre ventes publiques parisiennes consacrées à des collections bibliophiliques ont vu cette année-là leur chiffre d’affaires dépasser 10 millions de francs (20 millions pour la vente de la collection Jean Hugues du 21-03-98; 10 millions pour la vente du 17 juin 1998; 13 millions pour la vente d’une partie de la collection Jacques Guérin du 17-11-98; 23 millions de francs pour la vente de la collection Paul-Louis Weiller, le 30-11-98 13; les deux ventes de la collection de livres anciens de M. Ortiz-Patino, d’abord programmées par Sotheby’s en France, furent, à cause du report de la suppression du monopole des commissaires- priseurs français, finalement organisées à New York, le 21-04-98, et à Londres, en novembre 1998, pour un produit total de 19 millions de dollars).
La légitimation de l’intervention économique des bibliothèques publiques sur le marché bibliophilique se fonde sur une mission qui s’apparente, aux yeux des économistes de la culture, à une « demande d’option ». Il s’agit moins, en effet, de rendre effectif l’accès du plus grand nombre aux oeuvres ainsi acquises que de lui en réserver la possibilité (« l’option ») d’un usage, sur le très long terme, voire à l’échelle de plusieurs générations 14. Les seules lois du marché ne garantissent en rien que des pièces exceptionnelles, même lorsqu’elles sont aux mains de collectionneurs soucieux d’en ménager la consultation aux chercheurs, puissent être préservées dans des conditions autorisant leur conservation et leur exploitation pendant une durée indéfinie. Au demeurant, une oeuvre qui appartient à un particulier reste toujours exposée à des risques de dégradation, que ce soit de manière accidentelle, ou tout simplement parce que ce dernier dispose du droit absolu d’en user à sa guise. Les exemples ne manquent pas de restaurations abusives 15, ou de livres illustrés, voire de manuscrits enluminés, qui ont ainsi été dépecés 16 pour des raisons purement mercantiles.
En dépit de l’existence des Fonds régionaux d’acquisitions des bibliothèques (FRAB) 17, la difficulté à mettre sur pied les montages financiers nécessaires aux acquisitions patrimoniales pourrait inciter les bibliothécaires à la nostalgie d’une politique plus protectionniste, où il serait recouru à des mesures confiscatoires, assorties de contreparties financières réduites. Ce serait méconnaître, d’une part, les limites de toute tentative de confiscation, fût-elle menée à grande échelle. La Révolution française n’aura pas empêché la « volatilisation » d’un nombre incalculable de manuscrits anciens, voire de bibliothèques entières, réapparus peu après dans des ventes londoniennes ou qui dorment encore dans le « grenier à livres » français 18. Les transferts massifs opérés à l’époque révolutionnaire expliquent justement le caractère diffus de la répartition en France du patrimoine artistique encore en mains privées, alors qu’il est, selon Yann Gaillard, plus concentré en Angleterre ou ailleurs. L’allure très éclatée, « oligopolistique », du marché français, partagé entre de multiples acteurs – le négoce (c’est-à-dire les « libraires d’ancien ») 19, les collectionneurs, et une kyrielle d’études de commissaires-priseurs –, contribue à renforcer l’aspect confidentiel, pour ne pas dire presque clandestin, de la plupart des transactions en France; notons qu’à l’inverse, les maisons anglo-saxonnes Sotheby’s/Christie’s, en situation de quasi duopole, ont coutume de publier la liste des adjudicataires de chaque vente. Quoi qu’il en soit, les facilités de dissimulation des objets d’art, et plus encore des livres et des manuscrits, suffisent à rendre totalement inopérante toute politique purement coercitive.
Il ne faudrait pas méconnaître, d’autre part, le rôle « épistémologique » que jouent les marchands et les collectionneurs privés au regard de la connaissance du patrimoine écrit et graphique. C’est ce qu’observa l’écrivain autrichien Stefan Zweig, adepte lui aussi du « collectionnisme », et qui se porta acquéreur des autographes de Rimbaud plusieurs décennies avant que les institutions publiques françaises n’aient montré un quelconque intérêt pour les manuscrits du « Passant considérable ». « D’innombrables fois, écrit-il dans ses mémoires, je me suis assuré dans la vie pratique que certains libraires d’ancien sont souvent mieux informés sur les livres que les professeurs patentés, et qu’une grande partie des anticipations et découvertes essentielles dans tous les domaines sont dues à des chercheurs solitaires » 20. Comme l’a rappelé tout récemment l’actualité du marché de la photographie ancienne, les collectionneurs et libraires sont souvent les premiers à faire oeuvre d’historiens dans des domaines encore délaissés par les institutions, pour ne pas dire complètement méconnus 21. De multiples exemples l’attestent : les collectionneurs et les marchands jouent le plus souvent un rôle d’« éclaireurs » dans la connaissance de notre patrimoine culturel ; et selon la formule de Yann Gaillard 22, « le marché “explore” systématiquement les filons délaissés par le goût dominant ».
Du reste, la différence entre l’action des collectionneurs et celle des établissements culturels se comprend également au regard des règles qui régissent l’emploi de l’argent public : il n’est assurément pas de bonne gestion que des sommes importantes soient consacrées à l’acquisition de documents dont l’intérêt, aux yeux de l’administration, pourrait apparaître uniquement conjectural, sinon encore douteux. En effet, c’est toujours sur une base indiscutable d’informations très documentées que se justifie un achat public, même s’il arrive que beaucoup des oeuvres concernées se situent encore dans les marges du savoir. C’est ainsi que la publication d’un catalogue systématique peut avoir pour conséquence, dans les années suivantes, d’augmenter sensiblement le nombre des acquisitions de bibliothèques dans un domaine particulier. Un exemple : le nombre total de manuscrits médiévaux achetés avec le soutien de la Direction du livre et de la lecture par les bibliothèques municipales, qui a été de vingt-cinq entre 1987 et 1993, est ainsi passé à trente-quatre entre 1994 et 1998, soit une période beaucoup plus courte, après la parution de l’étude m o n u m e n t a l e consacrée par François Avril et Nicole Reynaud aux manuscrits à peintures en France au XVe et au début du XVIe siècles.
Il n’en demeure pas moins que, dans les domaines où il existe une longue tradition d’études académiques, comme les incunables, les estampes, ou – justement – les manuscrits, les capacités d’expertise des conservateurs restent en général supérieures 23, et de très loin, à celles dont disposent les plus grands marchands 24 ou collectionneurs. La reconnaissance de cette complémentarité incite parfois certains de ces derniers à des actions de mécénat ou à des donations au profit des bibliothèques (ce phénomène qui ne concerne plus aujourd’hui que les manuscrits tend malheureusement à se raréfier, pour diverses raisons, essentiellement sociologiques, qui ont été analysées par Dominique Coq).
En matière d’acquisition, le rôle économique des bibliothèques trouve donc son sens dans un environnement complexe, où les achats ont tout lieu d’être très sélectifs et mesurés. Un budget annuel moyen de 7 à 8 millions de francs, toutes subventions confondues, est au total consacré par les bibliothèques municipales françaises à ces achats, qui sont coordonnés au niveau national par la DLL ; à ce chiffre s’ajoutent les 13 millions de francs annuels de la BnF (10 MF), de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (1 MF), et de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet (2 MF). Ce total, qui représente un pourcentage plutôt modeste du chiffre d’affaires global du commerce de la bibliophilie, exige la mise en place d’objectifs très ciblés 25. Il s’agit à la fois de ne pas « casser » le marché national, ce qui risquerait de provoquer l’évasion de pièces importantes sur des places plus attractives, et de ne pas accentuer les mouvements spéculatifs, toujours ponctuels et désordonnés 26, que le droit de préemption 27 n’a pas le pouvoir d’annuler, mais qui touchent, il est vrai, en priorité les domaines du livre illustré et de l’enluminure 28.
La fiscalité française en matière d’œuvres d’art tend, de son côté, à réduire les différences de charges et les distorsions de concurrence qui pénalisaient depuis 1992 le marché français par rapport aux autres places internationales 29. Par ailleurs, en excluant les oeuvres d’art de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune, elle vise surtout à ne pas décourager la propension des amateurs à constituer des collections. En revanche, ces mêmes biens culturels étant pris en compte dans le calcul des droits de succession, la transmission de ceux-ci à l’État est parallèlement favorisée, que ce soit au travers des avantages fiscaux liés à certains legs (de moins en moins pratiqués), ou par les dations (paiement en nature de droits de mutation). De ce dernier point de vue, et comme le notait Walter Benjamin, « c’est seulement quand il s’éteint qu’un collectionneur est compris » 30.
L’existence d’une « République des lettres » de plus en plus large, d’une communauté des esprits qui transcende de fait toute frontière nationale, incite à s’interroger sur la légitimité d’une volonté politique visant à maintenir, à tout prix, certaines oeuvres importantes sur le territoire d’un pays. Au-delà des aspects éminemment symboliques d’un tel enjeu, le maintien de certaines pièces dans les collections privées ou publiques françaises peut offrir d’appréciables avantages pratiques. D’une part, l’attention portée par l’État au rôle joué par la place française en matière de commerce de biens culturels contribue à préserver en France un vivier d’« emplois induits » dans le domaine des métiers d’art, et notamment de la reliure et de la restauration traditionnelles (le chiffre d’affaires des métiers d’art serait estimé grosso modo, selon Yann Gaillard, à plus de 20 % du montant global du commerce de l’art, soit, pour le secteur qui nous occupe, à plus de 400 millions de francs) 31. Par ailleurs, les oeuvres qui entrent dans les collections publiques françaises bénéficient d’un statut particulièrement protecteur (inaliénabilité, imprescriptibilité), dont on ne retrouverait l’équivalent que dans la législation de quelques rares nations. Enfin, les acquisitions patrimoniales ouvrent droit à des usages, dont les bibliothèques publiques apparaissent seules en mesure d’assumer toutes les implications culturelles.
Les bibliothèques et le marché de l’image
La reproduction massive des oeuvres conservées dans les bibliothèques et les musées fut très tôt perçue non seulement comme un véritable enjeu commercial, mais aussi comme un pari culturel que l’évolution technique au cours du XXe siècle aura effectivement permis de tenir.
Dès la fin du Second Empire, dans le sillage des tentatives de Disderi ou de Braun, un certain nombre de sociétés commerciales ont entrepris de recourir ainsi à la photographie comme « servante des arts », pour reprendre la célèbre formule baudelairienne. L’impact intellectuel de leur activité a été décisif et reste considérable, y compris pour les chercheurs : comme l’a noté André Chastel, « il y a deux domaines scientifiques où la photographie [a joué] un rôle fondamental, parce qu’elle permet d’étudier à distance, de fixer et de comparer des états d’objets impossibles à comparer, c’est l’astronomie et l’histoire de l’art » 32. Ces agences, qui procèdent aujourd’hui à la numérisation de leurs collections, ont pour vocation essentielle de réaliser les reproductions qu’utiliseront, pour leurs illustrations, la presse, l’édition de livres ou l’édition multimédia. Elles continuent de s’adresser 33 régulièrement aux bibliothèques pour y reproduire estampes, dessins, et enluminures, notamment quand ces établissements ne disposent pas d’un service organisé susceptible de répondre aux demandes des éditeurs et des auteurs. Il s’agit bien là d’un secteur important de l’économie du patrimoine écrit et graphique, où – à la différence du marché de la bibliophilie 34 – les oeuvres sont traitées comme des documents plutôt que comme des objets; et c’est un marché dont les bibliothèques ne sont évidemment pas absentes.
Le chiffre d’affaires des cent soixante agences photographiques françaises s’est élevé à 800 millions de francs en 1998 35. Encore conviendrait- il de distinguer entre les agences de photojournalisme et les agences de reproductions d’œuvres d’art. Les premières réalisent une part très significative de ce total ; elles diffusent essentiellement des images d’actualité, même si elles exploitent aussi des « fonds d’archives » parfois considérables, qui remontent généralement à la date de début de leur activité, c’est-à-dire les années soixante-dix pour Gamma et Corbis-Sygma, 1930 pour l’Agence France-Presse, 1947 pour Magnum, 1939 pour Rapho. Les plus importantes d’entre elles (Gamma, l’AFP, Corbis-Sygma) se sont lancées dès le début des années 1990 dans des programmes de numérisation très ambitieux, portant sur des millions d’images, et qui leur ont permis d’abandonner presque complètement l’intermédiaire de la photographie. Les secondes se consacrent essentiellement à la vente de reproductions d’œuvres d’art, mais elles disposent parfois aussi de vastes fonds de photographies d’actualité antérieures à la seconde guerre mondiale, qu’elles exploitent également pour leur valeur historique ou documentaire (c’est le cas notamment de l’agence Roger-Viollet, riche d’une collection de plus de 8 millions de photographies). D’après un sondage rapide effectué dans les fichiers de l’Institut national de la propriété industrielle sur les données déposées par une dizaine de sociétés, on peut estimer la part des agences de reproduction d’œuvres d’art dans le chiffre d’affaires du secteur à un niveau qui se situerait entre 5 et 10 % du total.
Le fondement de la tarification de l’utilisation des images diffusées par les agences mérite d’être précisé. En effet, il ne relève aucunement du droit d’auteur quand il porte, par exemple, sur des représentations d’enluminures, de gravures anciennes, ou lorsqu’il concerne des reproductions d’illustrations tirées de journaux publiés il y a plus de soixante-dix ans. Il faudrait pour cela, s’agissant d’œuvres tombées dans le domaine public, pouvoir invoquer un droit des photographes qui réalisent les reproductions. Or, il apparaît difficile de déceler un quelconque caractère d’originalité dans la reproduction d’un document bidimensionnel, originalité qui seule permettrait de reconnaître à cette dernière le statut d’« oeuvre de l’esprit », protégeable au titre de la législation sur la propriété intellectuelle 36. Compte tenu des incertitudes qui persistent à ce propos dans le droit positif français, les agences d’illustration ont donc fondé la perception des redevances demandées à leurs usagers non sur le droit d’auteur mais sur un code des usages 37, qui vise à définir d’une manière purement contractuelle les obligations respectives des éditeurs utilisateurs d’images et des agences. L’utilisation, au moment de la fourniture des images, d’un bordereau-contrat détaillé, y est recommandée; et le code préconise également un mode de calcul des rémunérations à percevoir, qui tient compte à la fois du support éditorial envisagé, de la taille de l’image sur ce support, de l’aire de diffusion, et du statut de la publication. Dès 1994, ce mode de gestion contractuelle a permis de repréciser les relations entretenues avec les éditeurs par le service photographique de la Bibliothèque nationale de France et par d’autres agences publiques comme celle de la Réunion des musées nationaux.
Une dizaine d’agences de reproductions fournissent l’essentiel de l’illustration de l’édition française. Créée en 1877, l’agence Giraudon est la plus importante d’entre elles 38, le fonds de reproductions qu’elle met à la disposition des auteurs et des éditeurs comprend 200 000 clichés en noir et blanc et 70 000 inversibles en couleurs (dits « ektachromes »). Il regroupe des ensembles constitués par des photographes ayant eu accès à des sources de référence (Alinari, Flammarion, De Gaulle, Larousse, Magritte, National Portrait Gallery de Londres, Art resource de New York, institutions françaises, etc.). Ce fonds est quantitativement inférieur à la série de contretypes que le service photographique de la Bibliothèque nationale de France a produite à partir de ses propres collections, et pour la même destination, depuis la dernière guerre mondiale (550 000 clichés en noir et blanc et 88 000 inversibles en couleurs, couvrant – il est vrai – une partie infime des 12 millions d’estampes, des 600 000 cartes et plans et des 80 000 manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France). Mais l’agence Giraudon, qui prépare la numérisation de ses collections, a mis en place une politique cohérente de diffusion qui lui a permis d’atteindre un chiffre d’affaires de près de 15 millions de francs en 1998. L’agence Roger-Viollet 39, moins avancée dans son programme de numérisation, envisagé en partenariat avec l’AFP, possède depuis 1937 près de 8 millions de clichés, fonds composé en grande partie de négatifs originaux sur plaques de verre (fonds Levy-Neurdein, Albin-Guillot, Branger, etc.), mais aussi de reproductions d’œuvres originales conservées par différentes institutions. Son chiffre d’affaires a dépassé les 12 millions de francs en 1998. D’autres agences ont aussi une activité de diffusion de reproductions d’œuvres anciennes, bien qu’elles en tirent des recettes plus modestes : Artephot, Edimedia, Bulloz, Dagli-Orti, A.K.G., et même Magnum (l’agence créée par Henri Cartier-Bresson)… pour ne citer que les principales.
Le rôle joué par ces agences vis-à-vis de l’édition d’art ne saurait occulter la part qui leur revient dans les plus significatives innovations éditoriales de ces quinze dernières années, qu’il s’agisse d’ouvrages ou de magazines 40. Certes, la diffusion par le livre d’innombrables reproductions d’œuvres aura permis, dès la fin de la seconde guerre mondiale, l’avènement de ce « musée imaginaire » salué par Malraux comme le signe d’une transformation radicale de l’histoire de l’art, discipline désormais ouverte aux rapprochements inédits, à la mise en valeur de détails inaperçus ou de formes iconographiques jusque-là considérées comme mineures 41. Mais au-delà du secteur de l’art 42, le développement de la fonction de l’illustration aura marqué de manière non moins profonde toute l’édition de ces dernières années, en particulier dans le domaine extraordinairement inventif de certaines collections encyclopédiques illustrées. C’est ce que résume l’éditeur Pierre Marchand, qui fut notamment à l’origine de la réussite de la collection Découvertes-Gallimard, emblématique des innovations éditoriales de ces dernières années : « L’image [en] est la première caractéristique » 43, image toujours servie par une exploitation optimale des progrès techniques de l’impression, par la mise en valeur de gisements iconographiques peu connus, et par des textes de commentaires commandés à des spécialistes. Une nouvelle profession s’est développée dans le sillage de ces succès éditoriaux : celle des iconographes 44. On notera, au demeurant, que la part de la documentation iconographique originale fournie par les bibliothèques se révèle particulièrement importante dans beaucoup des volumes publiés dans le cadre de ces collections d’un nouveau genre.
La diffusion des images s’avère donc tributaire de l’inscription de celles-ci dans un réseau technico-économique singulier dont l’édition est le principal débouché – l’imprimé et ses déclinaisons multimédias demeurant le vecteur décisif de « l’offre iconographique » auprès du grand public. Au-delà des investissements très lourds qu’elle requiert, la numérisation des reproductions ne devrait pas à terme modifier ce schéma. Contrairement à ce qui se passe pour les textes, la consultation des images sur ordinateur apparaît en effet singulièrement décevante, au regard de la qualité qu’offre l’imprimerie aujourd’hui, dont les supports sont en moyenne d’une résolution quatre fois supérieure à celle des écrans (330 dpi en moyenne contre 72 dpi).
Du reste, aucune des plus grandes agences iconographiques ne considère, pour l’instant, la consultation en ligne des images sur écran d’ordinateur comme une fin en soi, susceptible de répondre aux attentes de leurs utilisateurs potentiels. Toutes ont recours à la numérisation pour permettre, avant tout, la consultation à distance de leurs catalogues, présentés généralement sous la forme très sommaire d’ensembles d’imagettes de très basse résolution (moins de 50 Ko chacune). La transmission de documents numérisés à de hautes résolutions est également proposée, mais en différé, par transfert de fichiers (de plus de 3 Mo). En effet, compte tenu de la faible bande passante des réseaux de communication, l’accès sur l’Internet à une reproduction de bonne définition requiert une durée d’une à cinq minutes (selon les chiffres annoncés par le service clientèle de l’AFP), pour une qualité légèrement inférieure à celle de diapositives, considérée comme suffisante pour la presse, mais pas toujours pour l’édition.
Toutes ces limites (résolution réduite des écrans ; lenteur de la transmission des images de haute ou moyenne définition) peuvent paraître particulièrement contraignantes au regard des dizaines de millions d’images en jeu dans l’informatisation des fonds d’agences. Elles préservent, de fait, la nécessité d’un espace spécifiquement éditorial, en aval de ces très vastes programmes de numérisation : espace dédié au livre ou au multimédia. De ce point de vue, le fait de considérer la simple consultation d’images sur écran 45 comme la fin dernière de tout projet de numérisation ne constitue pas seulement, sous couvert de modernité, un hommage involontaire à l’ennui distillé par les diaporamas d’antan. Il traduit surtout une méconnaissance des usages éditoriaux de l’image aujourd’hui, et de l’environnement technico-économique dans lequel ils prennent sens.
Entre production d’images et édition, les bibliothèques ont bien vocation à intervenir économiquement dans ce qui constitue effectivement un secteur non négligeable du marché du patrimoine écrit et graphique. Elles ne sauraient toutefois prétendre se substituer aux éditeurs sans s’exposer à un double risque désormais bien connu : être accusées soit de leur faire une concurrence déloyale en cas de succès commercial, soit de mal gérer les deniers publics, dans l’éventualité inverse 46 – plus fréquemment rencontrée – d’une mauvaise diffusion des publications réalisées. En revanche, en amont de tout projet éditorial, elles gardent une mission essentielle pour ce qui concerne la réalisation et la diffusion des reproductions établies à partir des fonds patrimoniaux. La législation les y incite : une loi de finances en date du 31 décembre 1921 a fixé le principe que le droit de reproduire (« de peindre, dessiner, photographier et cinématographier », aux termes de l’article 119 de cette loi) des oeuvres appartenant à l’État ou à des établissements culturels publics est soumis au paiement d’une redevance correspondant à un service rendu 47.
En raison de la richesse iconographique de leurs collections anciennes, rares ou précieuses, les bibliothèques sont en position de jouer un rôle complémentaire de celui des agences de reproductions d’œuvres d’art. L’application d’une tarification cohérente par ces services publics s’avère être, toutefois, une condition nécessaire pour éviter toute concurrence déloyale qui pénaliserait les iconothèques privées. Les ressources que les bibliothèques publiques peuvent tirer de la perception de ces redevances d’utilisation ne sont certes pas négligeables : elles ont permis à un organisme comme l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) d’envisager de couvrir près de 10 % de ses dépenses de fonctionnement en 1999. Toutefois les enjeux de cette tarification sont ailleurs. Les tentatives de concentration opérées tout récemment dans le secteur des agences de photojournalisme apparaissent comme les premiers contrecoups de l’appétit que suscitent les agences photographiques françaises auprès des deux ou trois plus puissants acteurs mondiaux (Bill Gates et Marc Getty au premier chef) 48, qui entendent se spécialiser dans l’image d’édition ou de presse 49.L’intervention économique des bibliothèques, par rapport à ces risques, paraît de nature à limiter les dangers que représente la constitution d’opérateurs monopolistiques dans le domaine de la diffusion d’images fixes, opérateurs qui pourraient s’instituer en intermédiaires obligés 50 entre les collections publiques et le plus grand nombre.
Si la Réunion des musées nationaux, en 1990, s’est dotée des statuts d’un Établissement public industriel et commercial afin, notamment, de gérer l’exploitation des reproductions réalisées à partir des oeuvres d’une trentaine de musées français, les bibliothèques publiques assurent, sans véritable coordination, et chacune à sa manière, une gestion au coup par coup des demandes des éditeurs et des agences intéressées par l’exploitation de leurs fonds 51. Les bibliothèques ont bien cependant à assumer un rôle à jouer vis-à-vis du marché de l’image. Elles sont à même de peser sur les orientations soumises aux éditeurs en matière d’iconographie : des projets visant à tirer le meilleur parti des lacunes de l’édition illustrée ont vu le jour dès 1993 mais sans que leur réalisation soit poursuivie 52. Elles s’inscrivent, au fond, dans une relation de complémentarité avec des agences qui pourvoient en images une très grande partie de l’édition actuelle. Édition qui, comme le montre justement l’évolution récente des musées, reste à l’évidence (et mieux que toutes les expositions) le meilleur relais, par le livre et le multimédia, entre un patrimoine culturel encore inaccessible et le public.