Littérature, informatique, lecture

de la lecture assistée par ordinateur à la lecture interactive

par Sylvie Lainé-Cruzel
textes réunis par Alain Vuillemin et Michel Lenoble. Limoges : Presses universitaires de Limoges, 1999. - 294 p.; 24 cm. ISBN 2-84287-108-1. 120 F/18,29 euros.

Alain Vuillemin et Michel Lenoble ont réuni ici divers articles consacrés aux nouveaux rapports que l'informatique crée entre le lecteur et la littérature. Les auteurs y abordent de manière diverse des questions liées à la transformation du processus de lecture lorsque le support n'en est plus le papier : comment l'informatique peut-elle accompagner, assister et enrichir la lecture ? Comment l'acte de lecture peut-il évoluer vers un processus plus actif, où lecture et écriture se mêlent ? Et quels nouveaux rapports peuvent s'établir entre un auteur, un lecteur et un discours délinéarisé, reconstruit par des parcours où le lecteur guide la construction d'un texte par des actes plus ou moins explicites et volontaires ?

Des pistes pour une réflexion

Une part importante des articles présente et commente diverses réalisations, étape indispensable dans un domaine nouveau, où bien souvent l'expérimentation précède encore la théorie. Il est sans doute encore trop tôt pour définir les limites de ce qu'on peut faire d'un outil dont on entrevoit encore mal les potentialités. Libre à chacun donc d'imaginer ce que pourraient être les lecteurs et les textes électroniques de demain : l'ouvrage n'a pas, heureusement, la prétention d'apporter des réponses définitives. Sans doute sous-estimons nous certaines potentialités, et en surestimons-nous d'autres. L'ouvrage va se contenter d'offrir des pistes pour alimenter la réflexion. Les réalisations présentées sont diverses et plus ou moins connues.

Le « protodisque » Sainte Sophie est présenté par V. Pouzet : mêlant données iconographiques, documents sonores, vidéo, documents textuels multilingues, et documents manuscrits, son objectif vise à préserver et valoriser un patrimoine intellectuel et culturel bulgare. Le texte est une présentation critique, qui met en valeur les difficultés rencontrées dans la définition d'une orientation éditoriale claire pour un tel objet, puis les incohérences décelables dans la structuration des informations et les interfaces de navigation développées. Ici apparaît nettement toute la complexité mise en jeu dans la conception d'un document électronique multimédia.

E. Brunet présente, quant à lui, la base Rabelais développée par l'Institut national de la langue française du CNRS. Les documents sont ici textuels, la valeur ajoutée se situe au niveau des outils offerts au lecteur : outils lexicométriques, repérage d'occurrences ou cooccurrences de termes, recherches documentaires permettant de repérer la localisation d'une forme… S'agit-il vraiment de lecture assistée ? On peut en douter, mais ici a été réalisée une boîte à outils précieuse pour le chercheur en linguistique ou en littérature qui s'intéressera à la distribution des mots dans les textes, qui aura besoin de travailler sur des index de formes ou souhaitera naviguer d'une occurrence à une autre.

Plus artistiques ou esthétiques sont les réalisations présentées par A. Barras, A. Gillot et W. Winder. Génération automatique de poèmes ou textes narratifs, parcours de lecture engendrant des textes multiples, prolongeant et étendant les travaux de l'Oulipo, ou les réflexions de V. Lavorel, qui s'interroge plus spécifiquement sur les rapports entre lecteur et texte, et celles de P. Barbosa, qui propose des pistes pour caractériser un texte virtuel, texte potentiel à construire par le lecteur.

Des articles plus théoriques

D'autres articles sont plus théoriques : S. Tellier et M. Lenoble proposent le concept de « lecture par anticipation » pour décrire l'étape préalable qui permet de préparer une recherche d'informations, et évoquent les méta-informations associées aux documents électroniques. Les principes de la « station de lecture assistée par ordinateur » conçue à la Bibliothèque nationale de France sont décrits par J. Virbel et Y. Maignien. La lecture interactive est évoquée par A. Vuillemin, qui passe en revue un certain nombre de projets plus ou moins originaux, qui traitent d'annotation ou de navigation.

Plus critique est l'article de B. Gervais et N. Xanthos, qui se demandent si les aspects ludiques de l'hypertexte n'occultent pas son contenu. Le lecteur qui n'est pas encore familier avec la navigation s'en amuse, se promène, perdant de vue le message qu'on lui donne à lire. Et qu'est-ce qu'un message dont le fil conducteur s'est perdu ? Quelle valeur littéraire a une conclusion à laquelle aboutit le lecteur, au hasard d'un chemin qu'il est peut-être le seul à avoir choisi ?

G. Rockwell et J. Bradley s'intéressent à la visualisation scientifique et à ses vertus pédagogiques et illustratives. Et P. Bootz clôt l'ouvrage en s'interrogeant sur l'acte de lecture et sa signification.

Matière riche, donc, mais une certaine frustration s'en dégage. Elle est liée à la nature même du projet, sans doute. Peut-être aussi au fait qu'un livre papier ne peut que « raconter » des expériences de lecture interactive, et que nous aurions aimé les vivre. Fallait-il pour autant faire un livre électronique ? Quelques URL de sites sur lesquels nous aurions pu naviguer, « écrilire », même sur des données restreintes, auraient été bienvenues. Heureusement, la riche introduction de A. Vuillemin et M. Lenoble nous offre quelques pistes.

Le point de vue de l'auteur manque, et un aperçu des transformations qu'apportait le texte électronique à l'écriture aurait pu apporter une autre dimension à l'ouvrage. Il faudra aller les chercher ailleurs, sous la plume de J.-P. Balpe ou d'autres.