La formation documentaire
En octobre 1995, a eu lieu, à l'université Laval au Québec, le 3e colloque de l'ABCDEF (Association des responsables des bibliothèques et centres de documentation universitaires et de recherche d'expression française), dont le thème était, cette année-là, la formation documentaire. Il s'agissait alors de faire un état des lieux, à un moment donné, de cette activité en plein développement, tant sur le plan de la réflexion générale, voire théorique, que sur celui, plus significatif, des expériences et des pratiques dans le monde francophone.
Les contributions y ont été nombreuses, comme le reflètent ces actes, et ont été apportées par des conférenciers reconnus dans leurs domaines, faisant partie pour beaucoup de ces figures « historiques de la formation documentaire : Richard Laverdière, Alain Coulon, Paulette Bernhard, Danièle Bretelle-Desmazières, Lucie Verreault, Bernard Pochet, Paul Thirion, Claire Panijel, Gilles Caron, etc.
À la lecture de ces textes, on peut dégager une préoccupation majeure, toujours d'actualité : la place de cette formation dans l'enseignement supérieur. D'une manière plus anecdotique, mais c'est une question tout aussi sensible, on constate, même si cela n'a pas été ouvertement exprimé lors du colloque, que ce sujet reflète deux types de clivages :
– le fossé qui existe, comme dans tant d'autres domaines, entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre les pays riches et les pays pauvres;
– l'inégalité de traitement de ce sujet selon qu'il s'agit d'une école d'ingénieurs ou d'une université de masse.
Pourquoi la formation documentaire ?
La plupart des intervenants ont rappelé en préambule de leurs exposés un contexte que nous connaissons bien : surabondance de l'information, multiplication des moyens d'accès, mondialisation des échanges, professionnalisation des formations… autant de réalités qui nécessitent des apprentissages spécifiques afin de s'y retrouver.
C'est par la voix de Paulette Bernhard, de l'université de Montréal, que ce constat prend une dimension d'urgence, plaçant ces journées d'amicales rencontres dans une dynamique de… guerre ouverte! Pour ce faire, l'auteur n'hésite pas à se parer des habits du missionnaire ou de ceux de l'« instit » de nos campagnes d'autrefois en prônant une « nouvelle alphabétisation » qui inclurait la maîtrise de l'information et des nouvelles technologies. Cette urgence appelle donc une mobilisation de grande ampleur, non seulement dans l'enseignement supérieur, mais dès l'école primaire.
La formation documentaire dans l'enseignement supérieur
Pour Jean-Pierre Devroey, de l'université libre de Bruxelles, qui inaugurait le cycle des conférences, il n'est pas superflu de répéter, comme préalable à toute réflexion, ce truisme : la question de la formation documentaire doit être instruite dans le contexte global de l'université. De fait, il s'agit d'un positionnement difficile à identifier quand on connaît l'importance toute relative de la documentation dans la formation universitaire.
La réponse à cette problématique ne peut pas passer par la simple réplication d'un modèle constitué et unique, du fait de la pluralité des cas, selon les systèmes éducatifs propres à chaque pays, les types d'établissements, les moyens… Pour autant, il ressort des différentes interventions quelques éléments d'analyse qui peuvent aider à cette intégration :
* identifier en premier lieu les besoins des usagers;
* intégrer la formation documentaire dans les cursus;
* développer la collaboration bibliothécaires/enseignants;
* faire évoluer le métier de bibliothécaire vers une fonction de « médiateurs », etc.
Ce ne sont pas les tentatives de mettre en perspective cet enseignement avec les sciences cognitives et les sciences de l'éducation (même si on devine les présupposés de cette démarche) qui apportent l'éclairage le plus intéressant. Il n'est malheureusement pas question de formation documentaire (ou seulement d'une manière très lointaine) dans ces évocations savantes et parfois amusantes des « mécanismes d'appropriation du savoir » et des vertus d'une « communication pédagogique efficace ».
Ces concepts trouvent leur application concrète et plus convaincante dans l'expérience de l'université Paris 8 qui nous est relatée par Alain Coulon 1, en nous rappelant que cette formation est constitutive d'une meilleure intégration de l'étudiant dans son université, parce qu'elle est le moyen le plus efficace pour appréhender le travail universitaire.
État des pratiques
La deuxième partie du colloque était consacrée à un état des lieux de pratiques nationales 2 et à l'exposé d'expériences d'établissements.
Il en ressort un constat générique commun : c'est essentiellement l'essor des banques de données en ligne au tout début des années 80, ainsi que l'apparition des catalogues en ligne des bibliothèques qui ont motivé le développement de ce type de formation dans les pays du Nord. Il s'agissait alors de répondre à des besoins immédiats : apprendre à interroger ces banques de données. En France, comme nous le rappelle Claire Panijel, de l'URFIST (Unité régionale de formation à l'information scientifique et technique) de Paris, le ministère de l'Éducation nationale ira jusqu'à créer des structures spécifiques de terrain : les URFIST.
Si l'approche instrumentale, en grande partie héritière de ce passé, reste encore une dominante dans la formation documentaire, on tend, depuis plusieurs années, à privilégier l'approche méthodologique. Il est ainsi possible, à travers les différents exposés, de relever globalement trois niveaux de formation qui constituent une sorte de nomenclature commune à tous les pays représentés à ce colloque :
* une formation/information de type visites de bibliothèques, signalisation…
* une formation de base : typologie des documents, initiation à la recherche documentaire…
* une formation qui vise les contenus disciplinaires, plus « individualisée » : analyse et utilisation des sources, recherches spécialisées…
Mais, dans l'ensemble, à l'exception du Québec et des écoles d'ingénieurs en France, ces formations sont encore peu intégrées dans les cursus, et a fortiori créditées. Par ailleurs, c'est avant tout l'affaire des bibliothécaires, l'implication des enseignants étant encore rare. Enfin, le développement de cet enseignement, comme le souligne Lucie Verreault, de l'université du Québec à Montréal, est en grande partie conditionné à un appui institutionnel : la CREPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec) au Québec, les pouvoirs publics en France.
La juxtaposition des exposés sur les pratiques dans différents pays est instructive à plusieurs égards sur le plan des particularismes. On ne les relèvera pas tous ici, loin s'en faut, mais on peut noter des différences d'approche quant aux objectifs de la formation documentaire. Au Québec, c'est la notion d'efficacité très liée au monde du travail qui semble primer (lire l'exposé de Gilles Caron, Université du Québec à Chicoutimi) : on ne craint pas ici de mettre en avant la maîtrise des nouvelles technologies tout autant que la méthodologie documentaire. En Belgique, cette activité doit être constitutive de la fonction de bibliothécaire comme le résume cette notion de bibliothécaire-enseignant. Quant à la France, elle justifie en permanence l'intérêt de cet enseignement au travers de la notion toute relative de « réussite dans les études » ; d'où cette omniprésence de l'exemple de l'université Paris 8 (deux fois présenté en détail lors de ce colloque).
À côté des expériences de ces pays du Nord, les efforts fournis dans le domaine de la formation documentaire par les pays d'Afrique de l'ouest et d'Afrique centrale peuvent paraître dérisoires, et relativisent les difficultés exprimées par les autres pays francophones présents à ces journées. Comme le souligne Henri Sène, de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal, comment développer cette activité, aussi nécessaire soit-elle, quand les moyens manquent ne serait-ce que pour acquérir des ouvrages de base ? Et ce ne sont pas les seules actions de coopération menées par les centres Syfed-Refer – ce sont des centres de l'AUPELF-UREF (Association des universités partiellement ou entièrement de langue française-Université des réseaux d’expression française) spécialisés dans la promotion de l'information scientifique et technique dans le monde francophone – qui suffiront à pallier les carences.
Ces actes du colloque de l'ABCDEF reflètent bien l'état de développement de la formation documentaire à un moment donné : 1995. Il s'agit d'une année charnière qui va voir l'émergence d'Internet dans sa forme actuelle. On sait, notamment en France, que cette réalité est en train de jouer le même rôle que les banques de données dans les années 80, notamment à travers la généralisation de la formation à l'information dans les universités. Il est symptomatique de constater que l'essentiel des études de cas présentées au cours de ces journées a concerné les grandes écoles ou les établissements de recherche. Gageons qu'un nouveau colloque sur ce même sujet, aujourd'hui, ne manquerait pas de relater plus largement les actions menées dans les universités et que nous verrions apparaître un nouveau contexte : Internet.