La fourniture du document

à l'épreuve du numérique

Anne Dujol

Le 1er juillet 1999, l'ADBS (Association des professionnels de l'information et de la documentation), l'ENSSIB (École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques), l'INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) et l'INTD (Institut national des techniques de documentation) organisaient une journée d'étude, intitulée « La fourniture de documents à l'épreuve du numérique ».Dès son introduction, Jean-Michel Salaün, de l'ENSSIB, situa la question de la fourniture du document dans un cadre mondial, pointant l’importance des expériences étrangères et la faiblesse des réalisations françaises, comme si les bibliothèques françaises se trouvaient en retrait alors même que leur rôle dans le domaine de la fourniture des documents est d’importance 1. La matinée fut consacrée aux réalisations étrangères, l’après-midi aux exemples français.

Les expériences étrangères

L’offre SUBITO fut présentée par Reiner Eck, de l'université de Göttingen. En Allemagne, système fédéral, il n’existe pas de bibliothèque nationale ni de catalogue collectif, et jusqu’en 1970, le ZDB (Zeitschriften-datenbank) pour les périodiques, et le VK (Verbund-katalog) pour les ouvrages étaient les seuls outils collectifs sur lesquels s’appuyait le réseau de fourniture des documents.

En 1995, le délai moyen de fourniture d’un document était de vingt et un jours, d’où la mise en place, dès les années 90, du projet SUBITO et du service de fourniture Rap-Doc, 30000 transactions en 1998, fournissant des articles plein texte dans un délai de soixante-douze heures, au tarif de 17 FF (5 DM) pour vingt pages (le double pour les usagers privés).

Sans minimiser les inconvénients du système – absence de guichet unique (chaque bibliothèque étant fournisseur), des frais bancaires supérieurs au coût de la transaction pour les commandes étrangères, des formats électroniques non normalisés (plusieurs viewers à installer sur son micro-ordinateur), le taux élevé de 16,48 % de réponses négatives –, Reiner Eck préconisa la poursuite du projet en envisageant, pour le prêt international entre bibliothèques, un consortium entre pays s’appuyant sur une bibliothèque unique par pays, à l’image de l’université Cornwell aux États-Unis et du système ARIEL.

Sur la question des droits d’auteur, Reiner Eck précisa que des sommes importantes étaient reversées par les bibliothèques aux éditeurs allemands, les articles – de trente pages en moyenne – n’étant pas stockés, à l’exception de certains documents en sciences humaines, et scannés en mode image.

F. J. Friend, de l'University College, à Londres, était chargé de décrire l’offre NESLI (National Electronic Site Licence Initiative). Négociation nationale entre l’université de Manchester et le diffuseur Swets (Euro-périodiques), NESLI permet un accès national à des revues électroniques 2. Les licences étant négociées en amont, il n’existe pas de barrière à l’accès des revues électroniques pour l’usager et le coût en est forfaitaire. Actuellement, 317 titres de périodiques sont accessibles après négociation directe avec chaque éditeur, l’objectif étant de permettre l’accès à environ 3000 titres. Ce projet est en concurrence avec le système ARIEL, expérimenté depuis six années par les bibliothèques universitaires britanniques, où le coût par article est d’environ 55 FF (5 £). La difficulté réside, là encore, dans le maintien des deux supports (imprimé et électronique) tant que l’archivage des revues électroniques n’est pas résolu, d’autant qu’il n’existe pas en Grande-Bretagne de dépôt légal des versions électroniques des revues.

Le système ILL (InterLibrary Loan) d’OCLC (Online Computer Library Center), présenté par Odile Giraud, de Doc & Co, fut développé à partir de Worldcat, via l’accès aux bases de données, et consista, dans un premier temps, en la fourniture de documents non électroniques. Ce n’est qu’à partir de la mise en oeuvre du service ECO 3, à travers l’interface « New FirstSearch », que l’on peut accéder aux 1 600 revues en ligne de quarante-quatre éditeurs 4, moyennant l'abonnement à la version imprimée du titre, et pour un coût supplémentaire moyen de 280 F par titre et par an. L’avantage de cette offre, même si la question des formats n’est pas résolue, réside dans l’archivage des revues électroniques par OCLC, qui garantit ainsi la pérennité de l’accès.

Les expériences françaises

Depuis 1996, Calliope, présenté par Catherine Alauzun, de l’INRIA Rhône-Alpes, permet à des chercheurs de cet institut, localisés sur des sites distincts, d’accéder à des ressources documentaires de « sites partenaires », puis plus largement à d’autres organismes, à partir d’un navigateur Web. Le système de fourniture s’effectue à partir de la consultation de sommaires de revues et de profils personnels. La mise à jour hebdomadaire de la base de sommaires est fournie par Europériodiques S.A., et intégrée dans le système INRIA sous Unix. Les articles en mode image sont stockés sur deux serveurs (5 000 articles de dix à quinze pages possibles par serveur), et trois postes de numérisations permettent la numérisation à la demande des articles demandés lorsque la revue n’est pas accessible en ligne.

Sur la question des droits, le CFC (Centre français d'exploitation du droit de copie) a accepté le principe de tarification de photocopies traditionnelles, puisque le chercheur va imprimer l’article visualisé à l’écran, et que l’image de l’article à l’écran est dégradée. Calliope permet ensuite un calcul précis des redevances à verser. Un exposé d’Annaïg Mahé, de l'ENSSIB, permit ensuite d’évaluer les usages de Calliope par les chercheurs, à partir d’enquêtes qualitatives auprès de dix-sept chercheurs, relativement satisfaits en terme de rapidité d’accès au contenu de l’article. L’auditoire, cependant, ne fut pas convaincu.

Fils de Calliope, le projet ORPHEE, décrit par Jean-Michel Salaün, permet la gestion des droits d’impression d’un corpus numérisé à l’avance (GEIDE). La recherche du document s’effectue à partir du catalogue de la bibliothèque et des tables de matière des ouvrages. Là aussi, l’affichage des documents à l’écran sert de contrôle du contenu, les pages étant visibles à l’écran sous filigrane avant impression des pages de documents, elles aussi filigranées. Actuellement 10000 pages sont numérisées.

En présence des représentants de l’INIST (Institut de l'information scientifique et technique), de l’éditeur EDP Sciences, du service commun de la documentation de Strasbourg 1 – qui annonça la signature du premier consortium entre cinq universités françaises et Elsevier –, et du CFC, une table ronde clôtura cette journée. La question des revues électroniques, de la fourniture d’articles, de la production et de l’accès à de l’information spécialisée sous forme électronique continua d’être discutée. On nota la disparité entre l’importance du volume de fourniture de documents (700000 transactions annuelles pour l’INIST), et la relative modestie des projets présentés tant français qu’étrangers (eu égard aux besoins), pour finalement relever ainsi que le fit Jean-Michel Salaün, que nous en étions encore, le plus souvent, à la fourniture certes électronique, mais de documents imprimés.