Bibliothèques sans frontières

Nouvelles technologies, culture et savoirs

Dominique Lerinckx

Les journées Nouvelles technologies 1999 – 4e forum pour le professionnel de l'information et de la documentation en Communauté française de Belgique – se sont déroulées à Bruxelles les 22 et 23 septembre 1999 sur le thème « Bibliothèques sans frontières : nouvelles technologies, culture et savoirs ». Elles se sont attachées à décrire les grandes tendances qui bouleversent le monde des bibliothèques et de la documentation face à l'explosion des nouvelles technologies au sein de notre société. Durant ces deux jours, les participants ont tenté d'aborder les différentes facettes de ce bouleversement en envisageant aussi bien les aspects techniques et juridiques de cette évolution que les enjeux culturels, économiques et sociaux.

C'est ainsi qu'il a été question de l'évolution des relations entre la bibliothèque et ses usagers, des nouvelles missions des bibliothèques en matière de diffusion et de gestion du savoir, de la formation des bibliothécaires ou encore de la coopération entre bibliothèques. Les différents acteurs qui gravitent autour de l'activité des bibliothèques n'ont pas été oubliés. Qu'ils soient fournisseur d'information, concepteur de logiciel ou courtier en information, ils ont eux aussi dû recibler leurs activités pour mieux répondre à la demande de leurs clients dans un contexte de mutation technologique constante.

Les grands enjeux furent définis par Bertrand Calenge, rédacteur en chef du Bulletin des bibliothèques de France, qui a initié une réflexion sur la finalité de la bibliothèque et de ses acteurs face au déploiement d'une information électronique largement accessible et manipulable. Bertrand Calenge estime que cette révolution numérique n'entraîne pas la fin de la bibliothèque, ni celle du bibliothécaire, mais appelle plutôt une adaptation des pratiques et des formations en bibliothèques de façon à profiter de ce bouleversement pour proposer une bibliothéconomie nouvelle garantissant à un large public des contenus informationnels riches et diversifiés.

Le nouvel âge des catalogues

Dominique Lahary, directeur de la bibliothèque départementale du Val-d'Oise, a analysé l'impact des nouveaux modes de communication et d'accès aux ressources documentaires sur la définition même du catalogue comme état des collections locales d'une bibliothèque. En effet, Dominique Lahary a montré comment les catalogues de bibliothèque se sont enrichis en s'ouvrant vers Internet et le multimédia. En adoptant la technologie Web pour donner accès à leur OPAC, les bibliothèques offrent bien plus qu'une interface conviviale intégrant différents types de données et de documents à leur lecteur, elles ouvrent un véritable portail vers cet univers non structuré qu'est la toile mondiale où se côtoient des informations de provenance et de qualité extrêmement diverses.

Le catalogue s'intègre ainsi dans un continuum informationnel qui masque pour l'utilisateur final la diversité des supports, des sources et des formats de données, a expliqué Dominique Lahary. Le lecteur va ainsi pouvoir naviguer d'un type de document à l'autre, obtenir une copie du texte intégral d'un document ou consulter des ressources associées à un document sans devoir se préoccuper du mode d'acquisition des données : déchargement de simples pages HTML statiques déposées sur un serveur Web, ou interrogation d'une base de données structurées. Tout ceci a un coût et Dominique Lahary a alors abordé le problème du signalement des ressources sur Internet. En effet, de par la nature même d'une page Web, la notion d'unité bibliographique disparaît. De plus, quantité de sites changent d'adresse, naissent et meurent chaque jour, certaines ressources sont payantes ou le deviennent après quelque temps, d'autres n'ont que très peu de valeur ajoutée.

Faut-il alors renseigner ces pages Web en donnant accès à de simples listes bibliographiques, à des catalogues simplifiés et non normalisés ou construire de véritables catalogues normalisés ? Dominique Lahary a souligné que, dans ce contexte chahuté, le cadre intellectuel dans lequel s'est construite la catalographie est menacé. Si la ressource est électronique, faut-il encore lui assigner un enregistrement distinct pour la décrire et lui donner accès ? En effet, le concept de métadonnées, ces données sur les données, a été développé pour permettre un accès au document sans devoir passer par une notice descriptive pourvu qu'un robot ait lu et indexé ces métadonnées. On se demande alors si les normes de catalogage actuelles ont encore un avenir dans un contexte informatique. En analysant ces normes, on remarque qu'elles sont composées à la fois de concepts et de codes : de l'avis de l'intervenant, les codes sont obsolètes alors que les concepts demeurent, même s'il est permis de les faire évoluer.

La coopération entre bibliothèques à l'âge du réseau

Jean-Pierre Devroey, directeur des Bibliothèques à l'Université libre de Bruxelles (ULB) et président de la Commission permanente des bibliothécaires en chef du CIUF (Conseil interuniversitaire de la Communauté française), s'est interrogé sur le bien-fondé de la coopération entre bibliothèques à l'âge du réseau. Il a rappelé qu'auparavant, la collaboration entre bibliothèques était basée sur une informatique et un catalogue centralisés, le moteur principal de cette collaboration étant le coût et la lourdeur de l'introduction des données catalographiques, la nécessité d'une infrastructure onéreuse et le recours inévitable au personnel spécialisé. De nos jours, le progrès technique a fait baisser le prix du matériel informatique d'une part, et d'autre part, grâce aux NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la documentation), les catalogues sont désormais accessibles de partout.

Partant de ces nouvelles données, Jean-Pierre Devroey a décrit les illusions qui sont nées de ces évolutions et les conséquences qui en découlent pour la coopération entre bibliothèques. Est-il encore nécessaire de collaborer pour le catalogage si tous les catalogues sont interrogeables directement et individuellement ? Faut-il encore éditer des catalogues collectifs alors que les protocoles de communication et nouvelles normes tels que Z39.50 permettent en principe de faire une recherche dans plusieurs catalogues simultanément et d'obtenir les résultats regroupés, en une sorte de « fusion » en ligne et en temps réel de plusieurs catalogues ? Jean-Pierre Devroey fit remarquer que Z39.50 ne gomme malheureusement pas la diversité des normes de catalogage et qu'un effort de conception a priori est donc nécessaire pour l'établissement d'un profil commun.

Puis il a resitué les bibliothèques sur le marché de l'information face aux nouveaux services en ligne proposés par les librairies virtuelles comme la consultation en ligne d'un catalogue renseignant les références de milliers de livres disponibles accompagné d'un service de livraison à domicile. Comment dans de telles conditions la bibliothèque peut-elle relever le défi des librairies virtuelles ? En proposant une porte d'accès unique vers un ensemble de ressources qui dépasse les propres collections de la bibliothèque, et en élargissant la panoplie de services proposés tout en les intégrant les uns aux autres, a répondu Jean-Pierre Devroey, qui y voit un nouveau domaine de collaboration pour les bibliothèques.

Jean-Pierre Devroey a terminé son intervention en se demandant si la bibliothèque va garder son rôle de médiateur entre l'utilisateur et le producteur ou si l'accès à l'information scientifique va s'individualiser complètement, et en a conclu que les bibliothèques sont et demeurent l'acteur traditionnel qui finance les produits d'information scientifique. Les éditeurs conscients de cet état de fait sont prêts à élargir leur offre en nombre de titres disponibles moyennant des garanties de stabilité de leur part de marché. Cette nouvelle donne invite les bibliothèques à collaborer entre elles et à se regrouper en consortium pour l'achat de ressources documentaires, dans la mesure où une telle collaboration assurerait effectivement une stabilisation du marché.

Pour illustrer ces propos, le Guide des ressources disciplinaires sur Internet constitue un bel exemple de collaboration interuniversitaire. Il nous fut présenté par Étienne Loeckx, secrétaire permanent du CIUF, et Delphine Nahoe, responsable du projet. Ce guide propose une liste complète de moteurs de recherche ainsi qu'une liste d'adresses de sites spécialisés et un répertoire de ressources classées par discipline. Le but poursuivi est à la fois d'harmoniser la recherche d'information dans les institutions universitaires par le biais d'une méthodologie commune et d'élargir au maximum l'étendue des disciplines couvertes par la mise en commun des efforts fournis dans les différentes universités qui participent au projet.

Les agences d'abonnement

Les bibliothèques ne sont pas les seules à s'interroger sur leur rôle dans cette nouvelle société de l'information. Les différents intermédiaires et fournisseurs d'information cherchent eux aussi à se positionner pour conquérir de nouvelles parts d'un marché en pleine expansion. On assiste à une multiplication des accords de partenariat entre les différents acteurs du monde de l'édition scientifique, ainsi qu'à une diversification de leurs compétences dans le domaine des accès électroniques aux ressources documentaires. C'est dans ce cadre que Bart Vancoppenolle, directeur des produits électroniques chez Swets Belgium, et Léontine Treur, account development manager chez EBSCO, ont expliqué comment les agences d'abonnement ont dû adapter leurs services dans un contexte où de plus en plus d'éditeurs proposent un accès électronique à leurs collections de périodiques.

Il ressort de ces deux interventions que les agences d'abonnement dépassent largement leur rôle traditionnel de gestion des interactions avec les éditeurs et se lancent dans le développement de nouveaux services électroniques. C'est ainsi que sont nées les bases de données de sommaires donnant accès au résumé ou au texte intégral d'un document lorsque celui-ci est disponible en ligne. Le plus souvent, un moteur de recherche par mots-clés ainsi qu'un service de veille technologique est associé à cette base de données permettant ainsi à l'utilisateur d'effectuer une recherche thématique sur un grand nombre de périodiques et de recevoir par courrier électronique les tables de matières d'une sélection de revues ou encore d'enregistrer un profil de recherche. Les agences d'abonnements misent ainsi sur la plus-value apportée par une gestion centralisée des collections électroniques en développant des solutions permettant l'intégration des différents produits documentaires entre eux et proposent leurs services comme médiateur dans la constitution de consortium d'achat.

SwetsNet et Ebsco

Bart Vancoppenolle nous a présenté SwetsNet 1, le nouveau service de tables des matières développé par Swets qui couvre les sommaires de 14 900 périodiques, les résumés d'articles pour 2 700 d'entre eux et le texte intégral de l'article sur le site de l'éditeur pour 1 900 périodiques. La philosophie de Swets dans le développement de cette interface SwetsNet est de laisser ouverte toute possibilité d'intégration avec d'autres ressources documentaires que ce soit le catalogue de la bibliothèque ou une base de données bibliographique (Cambridge Scientific Abstracts, IDS, MDL). Bart Vancoppenolle a souligné que SwetsNet est compatible avec la gamme de produits Silverplatter permettant ainsi d'établir un lien direct entre une référence bibliographique d'une base de données Silverplatter et le texte complet de l'article disponible via SwetsNet. La réalisation concrète de cette intégration entre périodiques électroniques et références bibliographiques est actuellement en période de test à l'université de Liège.

Léontine Treur a présenté les derniers développements d'EBSCO 2 en matière d'intégration de services et insisté sur la notion d'interconnectivité. Elle a exposé les avantages d'un système centralisé comme le serveur Web EBSCOhost qui propose un ensemble de ressources aussi diverses que l'accès aux tables des matières de périodiques, à des bases de données bibliographiques (Psyclit, Medline…) ou de texte complet, bases de données qui dans certains cas donnent aussi accès à une sélection de sites Web pertinents. De plus, des accords ont aussi été conclus avec Silverplatter et Cambridge Scientific Abstracts. Léontine Treur a présenté le projet Pharos/JACC qui regroupe 23 universités californiennes en consortium. Ce projet a pour but d'intégrer sous une même interface l'accès aux revues électroniques, aux catalogues et aux bases de données.

Pour compléter ces journées, de nombreux concepteurs de logiciels sont venus décrire les spécificités de leurs produits. On y a vu des progiciels de gestion électronique de documents ou de recherche en texte intégral présentés par de nombreux représentants de la firme Belware ou encore des logiciels dédicacés à la gestion de bibliothèques et de centres de documentation, tels que les logiciels Cardbox, Loris ou Vubis 4. Les responsables de la médiathèque de la Communauté française de Belgique ont présenté quelques exemples concrets qui ont permis aux nouvelles technologies de s'illustrer dans le cadre d'un meilleur accueil au public.

De manière générale, ces deux journées de réflexion ont montré à quel point l'avènement des nouvelles technologies a profondément révolutionné les rôles de chacun des maillons qui forment la chaîne de diffusion de la culture et du savoir. Pris de vitesse par la rapidité de cette évolution, la plupart d'entre eux sont encore en pleine restructuration et cherchent la meilleure manière d'exploiter les nouvelles possibilités qui sont mises à leur disposition.