Da biblioteca ao leitor
estudos sobre a leitura pública em Portugal
Henrique Barreto Nunes
De la bibliothèque au lecteur : études sur la lecture publique au Portugal retrace l'histoire récente des bibliothèques au Portugal. Cet ouvrage a été édité avec l'aide de l'Institut portugais du livre et des bibliothèques et de la municipalité de Braga. Il s'agit de la deuxième édition, la première de 1996 ayant été très rapidement épuisée. Afin de ne pas priver les collègues français non lusitanistes de l'histoire récente des bibliothèques portugaises, le choix a été fait de présenter les origines de l'excellent réseau de lecture publique initié en 1983-1984 au Portugal.
Henrique Barreto Nunes, directeur de la très riche bibliothèque publique de Braga, intégrée dans l'université du Minho, est un témoin et acteur très impliqué, dès l'origine, dans la prise de conscience de l'état catastrophique de la lecture publique au Portugal. Ses nombreuses interventions dans la presse et dans des colloques, ont contribué très activement à expliquer aux bibliothécaires portugais, puis aux autorités locales le concept de lecture publique et ses enjeux culturels, sociaux et politiques. Il a su divulguer les réformes et directives du jeune Institut portugais du livre et de la lecture (IPLL), dont les travaux, en collaboration étroite avec le groupe de travail sur la lecture publique de la BAD (Association portugaise des bibliothécaires, archivistes et documentalistes), ont permis la mise en place d'une législation, de structures, de moyens financiers et techniques adaptés.
Très riche en renseignements sur la genèse de cette évolution exemplaire, cet ouvrage ne se présente pas comme une histoire des bibliothèques portugaises. L'auteur a réuni différents textes de conférences prononcées lors de séminaires professionnels nationaux et internationaux, discours d'inaugurations de bibliothèques ou divers articles de journaux. Cette juxtaposition de textes dont certains ont dix ans d'écart entraîne des redites et la dispersion des renseignements dans plusieurs chapitres à la fois. Conscient de ce défaut, l'auteur s'en excuse dans son avant-propos.
Néanmoins, tout ce qui permet d'écrire l'histoire du début des bibliothèques portugaises de lecture publique est concentré dans cet ouvrage divisé en trois parties inégales. La première, « Bibliothèques et lecture publique au Portugal », décrit « l'inexistant » avant 1983, quand à peine 30 % des communes possédaient une soi-disant bibliothèque « en état de désacquisition », puis toutes les étapes de la « révolution silencieuse de la lecture ». La deuxième traite plus particulièrement de « la bibliothèque publique de Braga », qui possède des fonds patrimoniaux de première importance, et dont Barreto Nunes est le directeur depuis 1963. La troisième partie, très réduite, « Sur les livres et les journaux », regroupe des textes très courts sur la littérature, le plaisir de lire, la bibliothèque idéale, et confirme la passion de l'auteur pour son métier.
Chaque article, extrêmement documenté et structuré, s'enrichit d'une abondante bibliographie. Les chapitres consacrés à l'historique de la création du réseau de bibliothèques sont accompagnés de tous les textes fondateurs : lois, décrets, ordonnances, ainsi que des exemples de contrats de programmation entre l'État (IPLL) et les autorités locales. Les textes des normes à respecter pour les bibliothèques municipales de type I ou II (selon le nombre d'habitants à desservir) 1, des exemples de « contrats-programmes », sont très précieux pour qui s'intéresse de près au développement de la lecture publique dans ce pays.
Le modèle français
Après des décennies passées sous la chape de plomb du salazarisme, la Révolution des œillets en 1974 avait totalement négligé les bibliothèques. En 1958, une fondation privée, la Fondation Calouste Gulbenkian avait tenté de pallier le manque d'établissements culturels en créant un réseau de bibliothèques itinérantes et fixes à travers tout le pays et même dans les îles (les Açores et Madère). Seules ressources en livres pour la population en grande majorité analphabète 2, ces bibliothèques ont pu fournir un alibi aux communes pour ne rien développer en matière de culture.
Les rares bibliothèques existantes étaient chapeautées par deux organismes, dans l'impossibilité, faute de moyens financiers et en personnel, d'organiser une politique nationale de lecture publique : l'IPPC, l'Institut portugais du patrimoine culturel, plus tourné vers la conservation et l'inventaire des biens culturels et l'IPL, Institut portugais du livre, créé en 1980 et destiné à « protéger le livre portugais et à aider les bibliothèques publiques et privées d'intérêt collectif ».
Sans grands moyens à ses débuts, l'IPL deviendra très vite le fer de lance de la réforme. Dès 1982, une poignée de bibliothécaires motivés et conscients de l'état catastrophique des bibliothèques portugaises 3, très actifs dans l'association professionnelle des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (BAD) multiplièrent les interventions pour présenter le concept de lecture publique et publièrent de nombreux articles dans les Cahiers de la BAD, bulletin de l'association, et dans la presse généraliste.
1983 fut l'année décisive où plusieurs rencontres importantes professionnelles contribuèrent au changement des mentalités. Le séminaire sur « l'animation en bibliothèque », sous l'égide du bibliothécaire français Jean Tabet, de la bibliothèque municipale de Gardanne, en février 1983, semble avoir été un véritable électrochoc pour tous les assistants (dont l'auteur). L'action décisive de la Direction du livre et de la lecture (DDL) en faveur du développement des bibliothèques publiques en France y fut présentée. Ce séminaire mémorable pour la profession s'acheva sur la rédaction d'un Manifeste pour la lecture publique destiné à sensibiliser l'opinion publique et à alerter le gouvernement et les autorités locales sur la nécessité de mettre l'information, la formation, à la portée de tous. Comme le pays souffrait d'un très fort taux d'analphabétisme, conséquence du régime précédent, l'effort du nouveau gouvernement pour l'éducation de masse se devait d'être relayé et complété par un réseau cohérent de bibliothèques accessibles à l'ensemble de la popu lation.
Le rapport d'un groupe de travail sur les bibliothèques publiques (GTBP), coordonné par Maria José Moura, sortit en avril. Il proposait des objectifs et actions à mener immédiatement. Un autre séminaire porta sur la « Planification des bibliothèques publiques », exposant les recommandations de la DLL en matière de constructions, de superficies, de constitution des collections… Par ailleurs, lors du premier congrès national de la BAD à Porto en 1985, Barreto Nunes prononça une communication en collaboration avec Luis Cabral et Joaquim Portilheiro, qui faisait le point sur l'état des bibliothèques portugaises et décrivait les mutations à prévoir. La dernière partie de son exposé s'intitulait : « Le changement est possible : l'exemple français ».
L'ampleur des revendications ne pouvant plus être ignorée des auto rités, le Secrétariat d'État à la Culture créa une commission du livre en 1985. L'ordonnance 23/86 du 11 mars 1986 réunit un groupe de travail coordonné par Maria José Moura, destiné à rédiger, dans les trois mois, « des propositions de mesures financières et normatives à prendre immédiatement quant à la répartition des responsabilités entre administrations centrales et locales, adaptations et constructions de nouveaux équipements, constitutions de fonds bibliographiques, formation professionnelle, développement du livre et de la lecture, sensibilisation du public », rapport suivi « des propositions pour une politique nationale de lecture publique avec calendrier des étapes à suivre, articulation des moyens existants ou à créer, et éventuellement mesures législatives et financières à prendre ».
Enfin, le rapport final, intitulé « Lecture publique : un réseau de bibliothèques municipales », exposait un plan cohérent d'actions après analyse de la situation portugaise 4. Il proposait un partage des responsabilités entre l'État et les autorités locales. Si les communes désiraient une subvention pour construire une bibliothèque nouvelle ou transformer un établissement déjà existant, elles devaient obligatoirement respecter les normes de superficie par nombre d'habitants, créer des sections différentes, prévoir des collections encyclopédiques actualisées, un budget annuel d'acquisitions, instaurer le libre accès, le prêt à domicile. Elles devaient s'engager à embaucher du personnel qualifié et à veiller à la formation continue de ses bibliothécaires.
Vers une planification nationale de la lecture publique
Ce rapport obligea le gouvernement à prendre des mesures législatives et financières. L'IPL devint par le décret-loi du 11 février 1987 l'Institut portugais du livre et de la lecture (IPLL) chargé « au niveau national de coordonner et d'exécuter une politique intégrée du livre non scolaire et de la lecture publique ». Le décret-loi du 11 mars 1987, concernait des « contrats-programmes » de quatre ans avec les municipalités candidates à la construction ou à la transformation de bâtiments. L'État participait pour 50 % des coûts pour les constructions, la constitution des collections, la formation du personnel, l'achat de mobilier et d'équipement. Une circulaire fut adressée à toutes les municipalités afin de faire connaître le programme de réseau de lecture publique. Le budget pour 1987 atteignait les 360 000 contos 5, 4 millions de contos étant prévus pour la phase expérimentale de 5 ans.
Paradoxalement, les quatre grandes villes du Portugal qui abritaient des établissements traditionnels et patrimoniaux importants risquaient d'être mises à l'écart du réseau national de lecture publique, car, moins sinistrées que les autres municipalités, elles n'étaient pas prioritaires. Aussi, l'IPLL créa-t-il le programme Bibliopolis, dès le mois d'octobre 1988, pour venir en aide techniquement et financièrement aux bibliothèques des grands centres urbains 6 pour les aider à constituer un réseau d'annexes tournées vers la lecture publique. Afin d'éviter la dispersion des moyens, la gestion des bibliothèques patrimoniales de grandes villes autrefois sous la tutelle de l'IPPC fut transférée à l'IPLL en mai 1988. À cet effet, la nouvelle Division du patrimoine bibliographique fut chargée d'établir des inventaires des fonds patrimoniaux, d’élaborer un plan de sauvegarde des documents précieux et d’éditer des catalogues, preuve de l'étoffement des activités de l'IPLL.
Les communes étant de plus en plus nombreuses à demander une aide pour des médiathèques, l'IPLL produisit un document en 1989, sorte de manuel de candidature : « Comment élaborer un programme de construction », ainsi qu'un nouveau « programme d'appui aux bibliothèques municipales » apportant ajustements et précisions aux premiers programmes. Ce nouveau document tenait compte des besoins des communes de plus de 50 000 habitants et établissait les critères pour les bibliothèques municipales de type III. Un programme national d'informatisation des bibliothèques de lecture publique était lancé en 1991.
Devant l'exposé passionnant de ces changements profonds et rapides inspirés par quelques bibliothécaires portugais, puis suivis par toute la profession, on ne peut que regretter l'absence de données récentes, car le point sur les programmes en cours s'arrête en 1993-1994. Aux détours d'une intervention, on apprend qu'un protocole de coopération a été signé avec la Fondation Calouste Gulbenkian, que la plupart des établissements participent à la base de données bibliographiques PORBASE administrée par la Bibliothèque nationale de Lisbonne. On note un, voire plusieurs changements de sigles 7.
C'est dans la préface de Maria José Moura que l'on peut trouver quelques indices sur les orientations actuelles du réseau. Tout en continuant la promotion du livre et de la lecture, l'IPLL, qui place toujours les bibliothèques au premier plan, a pour actuel sujet de préoccupation les bibliothèques virtuelles, les autoroutes de l'information. On aimerait en savoir plus et on ne peut que souhaiter la sortie d'une histoire de la lecture publique au Portugal faisant le point sur les dernières orientations de l'IPLB, et sur la participation du Portugal aux programmes de la Communauté européenne.
En guise de conclusion personnelle, si l'exemple français des années 80 a pu être déterminant et inspirer le programme national portugais de lecture publique, l'influence de la bibliothéconomie française a considérablement diminué ces dernières années. Les sommaires des Cahiers de la BAD depuis 1990 présentent de plus en plus d'articles provenant de collègues britanniques, canadiens, américains, allemands et scandinaves. Le congrès annuel de la BAD sollicite de plus en plus des intervenants anglo-saxons. Phénomène national, la plupart des bibliothécaires portugais négligent ou ignorent la pratique du français au profit de l'anglais et se tournent résolument vers les exemples anglo-saxons.
Pour illustration, en octobre 1998, la BAD a adressé à ses membres la liste des abonnements disponibles dans son centre de documentation professionnelle. Quelques titres italiens et espagnols côtoient de nombreuses publications en anglais et en allemand. Pour la partie française on y trouve le Bulletin d’informations de l'ABF, ADBS Informations, mais pas le BBF !!! Erreur d'impression ? Oubli ? Dans ce cas, on ne peut que remercier M. Barreto Nunes d'avoir pensé à envoyer son ouvrage au BBF pour figurer dans la bibliothèque du bibliothécaire.