Editorial
Bertrand Calenge
Jamais les constructions n’ont été aussi nombreuses, des grandes bibliothèques nationales aux plus modestes des bibliothèques municipales : certains chantiers viennent de s’achever – comme la Bibliothèque François-Mitterrand ou la British Library –, d’autres bâtiments seront inaugurés dans les toutes prochaines années – tel le Kansai-Kan au Japon –, même les pays en difficulté élaborent des projets ambitieux (le Liban par exemple). En France, les bibliothèques universitaires gagnent peu à peu la reconnaissance qui leur était jusqu’à présent chichement mesurée, et les bibliothèques publiques sont devenues un enjeu majeur des politiques locales.
Il est remarquable que cette floraison d’équipements coïncide avec la montée en puissance des réseaux numériques, volontiers qualifiés de virtuels. Les grands chantiers seraient-ils donc une forme de chant du cygne ? On peut en douter quand on constate, à travers les études de publics comme de collections, ou à travers les attentes politiques, le rôle culturel central de ces équipements. Lieux de partage social, comme on le sait depuis longtemps, ils sont aussi (surtout ?) les lieux de mise en forme, de confrontation entre les supports, les usages, les savoirs. À ne regarder dans les flux d’Internet que la nouveauté arachnéenne des échanges réticulaires, on risque d’oublier que ces liens tirent leur valeur des centres qui irriguent les réseaux, qui en produisent le sens. Un réseau efficace suppose des équipements structurés et riches, offrant des services variés à leurs publics proches ou lointains.
Ces programmes ne concernent pas que les bâtiments ou les services. Ils connaissent une évolution liée justement aux attentes des réseaux, et touchent les collections elles-mêmes. Les chantiers de numérisation signent une mutation d’une importance exceptionnelle, qui concerne tous les types de bibliothèques : traitement, enrichissement, production même d’une collection « nouvelle », la numérisation élargit le champ des publics et crée les conditions d’un réseau coopératif. Le fait que nombre des bibliothèques qui s’attellent à cette tâche soient également celles qui se sont construites récemment montre que les bâtiments (vivant avec leurs publics) et la structuration des réseaux numériques (ouverts aux publics du monde), seront peut-être les deux visages indissociables de la bibliothèque du XXIe siècle.