Le métier de documentaliste
Marie-Pierre Réthy
Jean-Philippe Accart
Les éditions Électre-Éditions du Cercle de la librairie – dont le moindre mérite n'est pas de faire dialoguer entre elles les professions de l'information –, viennent d'enrichir la bibliothèque interprofessionnelle d'un Métier de documentaliste remarquable à bien des égards et, gageons-le, promis à devenir aussi classique que Le Métier de bibliothécaire, Le Métier de libraire et Les Métiers de l'édition. L'ouvrage de Jean-Philippe Accart et Marie-Pierre Réthy revendique à juste titre de s'adresser à l'ensemble des professionnels de l'information et non aux seuls documentalistes, aux étudiants et enseignants du domaine, aux responsables et décideurs. Au-delà d'un simple manuel technique, il s'organise en six parties originales : la première définit les interactions entre information, documentaliste et utilisateur ; la deuxième replace la fonction information-documentation dans l'entreprise, et la troisième croise cette problématique avec celle des réseaux ; les quatrième et cinquième, plus classiquement techniques, étudient respectivement le circuit du document et la gestion performante d'un service de documentation. La sixième partie, « Documentation et société », conclut ce panorama par une approche de la société de l'information, de l'économie et du droit de l'information, et par une présentation de la coopération et des associations au niveau international.
Information et circulation
Manifestement, ce plan original ne vise pas simplement à se démarquer, par exemple, de celui du Métier de bibliothécaire, mais justement à illustrer que, dans le métier du documentaliste il y a, d'abord et avant tout, une organisation de l'information et de sa circulation. De fait, les apports sur les réseaux ou la société de l'information apprendront plus au jeune ou futur professionnel de l'information que de longs développements sur le catalogage, disponibles ailleurs. A ce niveau-là, l'écueil serait évidemment de donner le sentiment que la profession de documentaliste est au-dessus de ces contingences, tout juste bonnes, disons, pour les bibliothécaires ! Mais, justement, un des grands mérites de cet ouvrage est son travail de définition de termes (archives, bibliothèque, centre de documentation, information), sur lesquels le monde de l'entreprise, puisque c'est notamment de lui qu'il s'agit, entretient de nombreuses et anciennes confusions. Car enfin, la professionnalisation revendiquée du métier de documentaliste n'exonère pas du rappel historique de sa filiation avec celui de bibliothécaire, dont il s'est « émancipé » selon les termes de l'ouvrage, grâce notamment à l'action, dès les années 30, de l'UFOD (Union française des organismes de documentation). Les auteurs donnent une définition du clivage bibliothécaire/ documentaliste qui insiste sur la fonction patrimoniale de la bibliothèque et qui définit le service de documentation par la recherche et la diffusion de l'information ; les deux approches sont-elles à ce point antagonistes, à l'heure du document virtuel et de notre commune conversion en médiateurs d'information ?
Un portrait-robot
Beaucoup de bibliothécaires, notamment ceux des bibliothèques spécialisées et de recherche, se reconnaîtront très largement dans le portrait-robot du documentaliste que dressent Jean-Philippe Accart et Marie-Pierre Réthy au fil de leur ouvrage, qui, du reste, citant l'article fameux de Jean Meyriat dans ces colonnes 1, insistent sur la proximité entre « spécialistes de l'information » : « Le rapprochement des deux métiers simplifie l'accès à la profession pour les jeunes diplômés et permet de lancer des passerelles entre des institutions jusque-là cloisonnées (...). La représentativité des métiers de l'information en sort renforcée (...) ». Quoi qu'il en soit, le bibliothécaire fera son miel de développements nombreux, pertinents et clairs sur des sujets « à la mode » comme le records management (nouvel avatar de l'archivistique), ou sur le passage de la GED (gestion électronique des documents) à la GEIDE (gestion électronique et informatique du document existant) ou sur le rôle de l'IFLA, dont on n'oubliera pas que Jean-Philippe Accart est un des participants français particulièrement actifs. Surtout – et, sur ce plan, reconnaissons un rôle pionnier à l'ADBS (Association des professionnels de l'information et de la documentation), à ses journées d'étude et à ses publications –, tout professionnel lira avec profit les chapitres sur la gestion des ressources et sur l'évaluation de la performance. Sans doute, le destin plus solitaire du documentaliste, qui exerce le plus souvent dans une structure de moins de cinq personnes, le responsabilise particulièrement à une réflexion sur la part la plus technique sinon la plus identitaire de son métier. Ce n'est en effet pas jusqu'à présent sur ces aspects du métier de l'information que la bibliothéconomie s'est le plus penchée, et pourtant ils font ou devraient faire partie du quotidien de nombreux bibliothécaires, à l'instar des documentalistes.
Un éclairage original et novateur
C'est tout le paradoxe, pour le lecteur-bibliothécaire, de cet excellent livre : c'est lorsqu'il prétend le moins traiter les questions communes à l'interprofession qu'il y revient, en toute bonne foi, mais par un éclairage suffisamment original et novateur pour ne jamais « doublonner » avec la lecture des différents opus de la collection « Bibliothèques », et suffisamment clair et concis pour rassembler en quelques chapitres une culture disséminée dans trop d'articles de Documentaliste-Sciences de l'information, sans parler de ses épigones. Il suffit parfois de déplacer à peine le regard pour se mieux connaître : Le Métier de documentaliste y invite tous les bibliothécaires, de la plus intelligente des manières. Et tant mieux si, en plus, il permet de former de nouvelles générations de documentalistes : au bout du compte, l'utilisateur final, au centre de la démarche de cet ouvrage, y sera gagnant.