Mélanges autour de l'histoire des livres imprimés et périodiques
En 1996, « pour fêter l'ouverture du site de Tolbiac, la Bibliothèque nationale de France [publia] son grand livre de trésors » 1. A l'occasion de l'ouverture des salles réservées aux chercheurs, les conservateurs responsables des collections d'imprimés et de périodiques proposent, sur les deux départements que le nouveau site fusionne et qui en conséquence « ont cessé d'exister en tant que tels », seize « coups d'œil rétrospectifs » autour de trois axes : l'architecture et le fonctionnement des salles, le développement des collections et des catalogues, l'évolution des pratiques de conservation et de communication.
D'une bibliothèque l'autre
D'une contribution à l'autre on suit d'abord les établissements, déménagements et restructurations successifs de la Bibliothèque : de ses prémices – la librairie fondatrice et tôt dispersée de Charles V, les bibliothèques blésoises et bellifontaines – aux lettres patentes du 16 mai 1724 ordonnant « que les batimens cy devant appelé l'hôtel de Nevers avec ladite maison y joignant soient dument affectés à perpétuité à notre Bibliotèque » ; de l'installation en 1833 de la salle du département des Imprimés dans l'actuelle salle du département des Manuscrits, à la reconstruction du département des Imprimés de 1854 à 1868. L'abbé Bignon, « Don Quichotte des sciences », attend « la décadence de ce qu'on appelait alors le Système [de Law] » pour disposer des locaux spacieux nécessaires à son projet bibliothéconomique. Au prix d'une cohabitation difficile à défaut d'une véritable collaboration, Labrouste, Mérimée et Taschereau mènent à bien l'ambitieuse réorganisation de la Bibliothèque inscrite « dans le double mouvement de préservation du patrimoine (...) et de modernisation des services et de la ville » du Second Empire. Soixante-dix ans plus tard Julien Cain et les architectes Jean-Louis Pascal et Michel Roux-Spitz dotent les périodiques de locaux spécifiques à Paris et à Versailles, préfigurant la naissance du département en 1945. Avec leurs qualités et leurs défauts la salle Labrouste, dont l'atmosphère studieuse « invite le lecteur à participer à une assemblée où chacun reste soi-même », et la salle des Périodiques, qualifiée de « paradis ovale », demeurent deux monuments bibliothéconomiques.
Collecter et organiser
Tandis que s'affairent ainsi maîtres d'œuvre et maîtres d'ouvrage, les collections se constituent, dans un processus où se conjuguent, d'une part le sens de l'histoire, et d'autre part la science et la passion des hommes. Mentionnant pour mémoire le rôle bien connu des frères Dupuy, les auteurs ont choisi avec raison de relater et analyser les péripéties d'autres enrichissements, tout aussi significatifs, des collections nationales. En 1763 les « Gens du roi » disputent avec ténacité et succès à Catherine II la bibliothèque de Pierre-Daniel Huet, donnée par lui à la maison professe des jésuites, parce qu'ils savent qu'elle complète la collection royale et en comble certaines lacunes 2. En revanche sans les enrichissements révolutionnaires les contrefaçons sorties de l'ombre grâce aux arrêts de 1777 3 ne seraient sans doute pas représentées dans les collections : il aura fallu ce gigantesque bouleversement politique pour qu'elles forcent « les portes d'une institution qui les avait souverainement ignorées, imposant ainsi l'intrusion du "pays réel" dans ce "pays légal" par excellence qu'est une Bibliothèque nationale ». Pendant ce temps se poursuit le travail d'enrichissement des collections de livres étrangers : « Ainsi au mois de février 1792, alors que la menace de guerre se précise (...), que les troubles dans les provinces inquiètent l'Assemblée, les responsables du Dépôt des Imprimés, toujours à l'affût de pièces exceptionnelles, continuent à enrichir la Bibliothèque » en achetant en vente publique un incunable exceptionnel, exemplaire enluminé sur vélin des Œuvres de Virgile publiées à Venise en 1470. Si le hasard ou les aléas de l'histoire font parfois aussi bien les choses que la volonté des hommes pour ce qui concerne l'enrichissement des collections, leur organisation ressortit de leur talent. Après la distinction opérée entre manuscrits et imprimés au milieu du XVIIe siècle, Nicolas Clément élabore ainsi la classification qu'on sait, et qui fait ici l'objet d'une très intéressante analyse invitant à « s'interroger tant sur les présupposés intellectuels ayant présidé à sa mise en place que sur les contingences qui ont inspiré sa mise en pratique ». Deux siècles plus tard, après différents échecs « pour inventorier enfin, pour cataloguer, pour restaurer, pour régulariser, pour compléter cet immense dépôt », Léopold Delisle crée le service de l'Inventaire et décide d'entreprendre la publication du Catalogue général des livres imprimés dans l'ordre alphabétique, « simple, fixe et absolu ». Son achèvement en 1981 permit l'ouverture de nouveaux chantiers... en attendant que la Bibliothèque nationale de France revienne à un classement thématique, les catalogues informatisés intégrant en une base unique les différentes clés d'accès aux documents. La correspondance de Marie Pellechet, successivement « dame copiste bénévole » et « bibliothécaire honoraire de la Bibliothèque nationale », décrivent avec alacrité et humour un autre épisode du catalogage des fonds. Enfin le département des périodiques apprend à maîtriser « une quatrième dimension, la durée » pour élaborer les règles spécifiques de catalogage et de traitement des documents qui lui sont confiés.
Communiquer et conserver
Aboutissement naturel de ce travail d'organisation et d'inventaire, le débat jamais clos des publics est plus particulièrement abordé à travers l'historique de la « salle B », ouverte en 1868 à côté de la nouvelle salle Labrouste pour accueillir de manière différenciée les chercheurs et le grand public, et fermée en 1935 à la demande de l'ABF comme « virtuellement inutile » au moment où de nouvelles institutions rendent « les mêmes services dans de meilleures conditions »... en attendant que le programme de la Bibliothèque nationale de France prévoie des salles ouvertes à tout public. À côté de cette optique purement organisationnelle, l'étude permet d'ailleurs de revenir sur « une éphémère troisième voie, qui ne cherchait pas à distraire le peuple par de "bons livres", ni même à le faire lire en lui proposant une littérature faite tout exprès pour lui, mais à l'instruire, à le guider sur les chemins qui mènent au savoir et aux savoirs nécessaires à l'honnête homme du XIXe siècle ». Dernière étape du parcours bibliothéconomique, le travail de conservation est abordé à travers les pratiques de reliure de 1672 à 1782, et les problèmes spécifiques aux collections de périodiques.
Hasard et nécessité
Dans l'un des halls monumentaux du site François-Mitterrand/Tolbiac, un film vidéo explique qu'une bibliothèque a été construite à cet emplacement parce qu'un président de la République l'avait dit et qu'un architecte la dessina. On nous permettra de préférer l'histoire contingente et signifiante qui s'écrit à travers les différentes contributions du présent volume. Encore plus qu'« un réel exercice de mémoire en forme d'hommage » annoncé dans la préface, il constitue en effet une ample matière à réflexion et ouvre d'intéressantes perspectives, en rappelant : d'une part que les progrès réalisés tiennent plus souvent à l'utilisation judicieuse d'un savoir capitalisé qu'à l'émancipation d'esprits prétendument libres confondant modernité et rupture ; d'autre part que gérer une bibliothèque consiste à la maintenir « dans l'ordre le plus convenable qu'on a pu » en conciliant visées théoriques et nécessités pratiques sans tomber dans un esprit de système stérilisant.