Collection Management in Academic Libraries
Mary Morley
Clare Jenkins
Deuxième édition, totalement actualisée, d'un ouvrage paru il y a six ans, ce recueil force l'admiration à plusieurs titres. Manuel pratique pour les gestionnaires de collections dans les bibliothèques d'enseignement supérieur essentiellement, il est aussi outil de réflexion sur les mutations en cours, tant éditoriales qu'économiques ou organisationnelles, et encore état des lieux de la réalité anglaise. Enfin, bien que constitué par dix contributions d'auteurs différents, il offre une unité de ton, de style et de conviction qu'il convient de saluer.
Une vision ambitieuse du management des collections
Avec le management des collections, les auteurs veulent établir une unité de conception et de gestion entre deux axes fréquemment distingués, le développement des collections (incluant la politique d'acquisition et les procédures de sélection) et la gestion matérielle des documents acquis (incluant le désherbage ou la conservation). Cette unité est recherchée par tous les contributeurs, qui démontent les raisons – mais aussi les procédures concrètes – pour lesquelles la politique de préservation s'exerce également sur les modalités des acquisitions. Ils montrent aussi comment les planifications budgétaires intègrent tous les coûts du document et de son traitement, comment encore l'évaluation des collections devrait comprendre également l'évaluation des procédures d'acquisition. Cette conception holistique, ou plutôt systémique, conduit nécessairement à réfléchir sur l'organisation globale de la bibliothèque : par exemple, Derek Law – auteur par ailleurs de la célèbre formule « La formation coûte cher ? essayez l'ignorance ! » – s'interroge ainsi sur la pertinence de certaines spécificités anglo-saxonnes, telle la prééminence des subject specialists, qui peut conduire à négliger l'attention portée aux besoins des usagers. Mais, se demande-t-il, une structure d'organisation trop axée sur les activités fonctionnelles n'entrave-t-elle pas de son côté le regard distancié sur le contenu des collections ? Bernard Naylor pressent que le management traditionnel des collections devrait désormais inclure l'organisation des accès à celles-ci, surtout lorsqu'une part importante de l'information devient électronique et donc non stockée ni gérée en intra. Pour un peu, on s'attendrait à voir incluses la gamme des services aux usagers, la constitution du catalogue, etc. Les auteurs s'en gardent bien, et restent dans leur sujet, qui paraît dès lors riche de mille possibilités à venir.
Des pistes multiples
Résumer les multiples apports de cet ouvrage est une gageure. On se contentera d'en relever les pistes les plus novatrices et porteuses de réflexion pour un lecteur français. Nous ne décrirons pas l'intérêt des procédures budgétaires (qu'on sache toutefois qu'une bibliothèque universitaire devrait représenter 10 % du budget global de fonctionnement de l'université...), ni les mesures de performance largement décrites et commentées. Ces points font l'objet de travaux nombreux par ailleurs, même s'ils sont rarement rassemblés de façon aussi claire que concise. En revanche, il faut souligner quelques autres axes particulièrement riches d'enseignements pour les bibliothèques universitaires françaises. Le désherbage, ou plutôt la « révision » de la collection, fait l'objet d'un chapitre fort intéressant : en présentant des approches différenciées entre collections pour l'enseignement et collections pour la recherche, Sara Williams propose des actions sélectives de désherbage proprement dit, de remplacement ou de stockage. De même, on lira avec le plus grand intérêt les procédures volontaristes énoncées par Josephine Webb pour traiter les collections destinées aux étudiants ou plus largement à l'enseignement. Les réflexions de Nancy Elkington sur les mesures préventives de préservation insistent sur l'association des sélectionneurs, mais aussi sur l'intérêt d'une planification des mesures à suivre en cas de catastrophe (inondation, incendie, etc.). Jean Sykes démontre quant à elle que le prêt entre bibliothèques est devenu une part intégrante de la gestion des collections, surtout avec l'arrivée des moyens et médias informatiques, et impose une dimension coopérative entre bibliothèques pour penser les collections de demain.
Le choc de l'information électronique
Mais cette nouvelle édition est surtout marquée par les bouleversements introduits dans la gestion des collections par l'information électronique sous toutes ses formes. De la gestion des « non-livres » habituellement distinguée dans les manuels de ce type, on passe au phénomène d'une information électronique foisonnante qui multiplie les modes de sélection, de gestion budgétaire, d'accessibilité et de conservation de collections devenues pour partie non acquises patrimonialement. Dire que cet ouvrage apporte des solutions serait excessif, tant le bouleversement est brutal et inachevé. Mais on découvre une synthèse des options en cours, et des pistes pragmatiques qui n'excluent pas le débat de fond (voir par exemple la « proposition subversive » de Ginsparg, visant à rendre gratuits les articles sur Internet, au moyen d'un financement provenant des ressources consacrées jusque-là par les bibliothèques à leurs abonnements…). Les Britanniques s'engagent sur la voie active de coopérations dans trois directions : hypothèse d'une « bibliothèque nationale virtuelle coopérative d'enseignement à distance » autour du projet DNER (Distributed National Electronic Resource), consortiums pour les abonnements aux périodiques de recherche, recherches et sites pilotes pour une nouvelle conception d'une « bibliothèque hybride » mariant l'imprimé et l'électronique en fonction des besoins (projet Malibu). Les auteurs plaident par ailleurs pour une vision compréhensive des collections : il faut marier dans les catalogues les diverses formes de l'information, étudier la complémentarité des « supports », veiller à ce qu'un coordinateur assure la bonne marche de ces interactions. Il n'en reste pas moins que la gestion des documents et la gestion de l'accès à ceux-ci tendent à se confondre, en même temps que leur conservation se complique. Bernard Naylor lance des hypothèses sur le XXIe siècle : pour les monographies imprimées, les publications de recherche semblent assurées d'un avenir stable, alors que les matériels d'enseignement devraient migrer vers l'électronique, condition de leur accès par un grand nombre d'étudiants. Pareillement, les périodiques évolueraient vers la forme électronique. Mais cette distinction sera-t-elle encore valide dans 50 ans, de même que celle entre « accéder » ou « détenir », et que celle entre « accès local » ou « accès à distance » ?
Une fraternité professionnelle des deux côtés de la Manche
On le voit, cet ouvrage est riche d'interrogations et d'informations. On notera aussi l'étendue géographique (sinon linguistique) de ses approches, car les Nord-Américains y sont présents et commentés. Nous serions heureux qu'une prochaine édition puisse accueillir un travail français, ou du moins des relations d'expériences françaises (seul le projet – achevé – de FOUDRE est cité). Mais il est d'ores et déjà frappant de constater que les situations britanniques et françaises sont bien proches : Outre-Manche aussi on regrette le faible nombre de plans de développement des collections dans les établissements, on constate les réticences du corps universitaire à voir effectuer des désherbages ou à participer activement aux projets documentaires, on subit les initiatives des bibliothèques de laboratoire déconnectées d'un projet global, etc. Alors, en attendant que des Français participent à une troisième édition de ce livre, ou qu'il paraisse un travail du même type dans l'hexagone, ne pourrait-on traduire cet ouvrage riche, passionnant, essentiel aujourd'hui ?