Les médiateurs en bibliothèque
Sandrine Leturcq
Le chef, c'est le médiateur. Pourquoi est-il le chef ? « parce que c'est un homme (...), et parce qu'il est debout dans la salle, tandis que les bibliothécaires restent assis derrière la banque de prêt. L'occupation de l'espace joue en effet un rôle symbolique important dans l'imaginaire des usagers de la bibliothèque : plusieurs personnes, médiateurs, assistants et cadres l'ont évoquée au cours des entretiens. Être debout, c'est imposer sa présence et faciliter les occasions d'entrer en contact avec l'usager ». Par ces propos, Sandrine Leturcq montre dans son étude, très fouillée et très complète, ce qui, peut-être simplement au détour d'une phrase, fait sens dans cette nouvelle fonction de médiation au sein des bibliothèques : être debout pour être chef ! Être debout pour être reconnu et respecté. Que l'on soit à la bibliothèque municipale de Lyon, cadre de cette étude, ou ailleurs, finalement, ce serait une posture physique qui marquerait la différence. Car on a l'impression que tout le monde cherche ce que font dans une bibliothèque le médiateur, le bibliothécaire. Chacun réfléchit de son côté, sans que soit vraiment organisé l'échange entre les uns et les autres, alors que cette fonction a paradoxalement pour objet de mettre en relation les uns et les autres avec les usagers !
Une belle liberté de ton
Il faut saluer la grande franchise de chacune des personnes interviewées. Les citations sont nombreuses. La liberté de ton qui ressort de tout l'ouvrage donne au lecteur une vraie raison de poursuivre sa lecture, même s'il éprouve parfois l'impression de se perdre un peu dans les explications des uns et des autres. Mais on se dit aussi que, sur un sujet si délicat, qui bouscule chacun, c'est certainement la qualité d'écoute et la rigueur du travail de l'auteur qui ont permis à tous de s'exprimer franchement. Dieu que ce n'est pas simple ! On sent bien que cette étude, la première sur le sujet, a souffert de la complexité des questions et du flou dû à la jeunesse de ces dispositifs. Mais reconnaissons-lui les efforts de clarification, même si certains propos de ses interlocuteurs laissent le lecteur quelque peu perplexe : « Un médiateur est forcément un animateur et un animateur n'est pas forcément un médiateur ». L'étude se place bien dans le mouvement général initié dans les années 80. Le portrait-robot que dresse du médiateur un auteur cité par Sandrine Leturcq, Jean-François Six, laissera rêveur plus d'un collègue chargé de recruter. Le médiateur devrait posséder les aptitudes suivantes : « le sens des réalités, le détachement, le don d'ubiquité intellectuelle, le sens de la hiérarchie des valeurs, l'optimisme raisonné, l'humilité, l'inventivité, la patience, l'autorité et le caractère, la santé physique et mentale... ». Ces qualités ne sont-elles d'ailleurs pas fantasmées par tous les promoteurs de ces dispositifs, mettant ainsi en difficulté tant les agents titulaires des « anciens » métiers que ceux qui sont chargés d'occuper les « nouveaux » métiers ?
L'identité des bibliothécaires
Chacune des composantes du problème est évoquée : la bibliothèque comme lieu social, la bibliothèque comme lieu culturel et le rôle du bibliothécaire dans l'une ou l'autre de ces représentations de l'institution. La diversification des situations conduit ainsi à reposer sans fin la question de l'identité des bibliothécaires. Sandrine Leturcq s'appuie sur les contenus des fiches de postes, mais aussi sur le journal interne, Passerelle, produit par les médiateurs pour repérer ce qui relève de l'une ou l'autre fonction. Elle a également pris en compte l'expérience d'autres collectivités locales telles que Miramas, dans les Bouches-du-Rhône, ou Saint-Raphaël, dans le Var. Mais elle ne néglige pas non plus d'affronter une question qui dérange beaucoup. Ces dispositifs, pérennisés ou non, ne sont-ils pas un moyen de remplacement des professionnels si nous n'y prenons pas garde ? Choisissons de suivre le conseil qu'Anne Kupiec donne dans la préface : « Ne faudrait-il pas plutôt envisager que les bibliothécaires soient formés, davantage et différemment, à la médiation qui est somme toute le fondement de leurs activités vis-à-vis des publics ? Ou doit-on considérer que, pour déclencher cet intérêt pour la médiation, le recrutement de non-bibliothécaires est – au moins dans un premier temps – nécessaire ? ».