La culture en action. De Vilar à Lang
le sens perdu
Jean Caune
Cet ouvrage, dont la première édition a été publiée en 1992, est issu d’une thèse d’État en sciences de la communication. La démonstration relève à la fois de la démarche scientifique et de la réflexion d’un homme de terrain. Jean Caune, après avoir été comédien et metteur en scène, a mis en place le centre d’action culturelle de la Villeneuve à Grenoble (1971-1975), puis a dirigé la maison de la culture de Chambéry (1982-1988). Aussi, l’idéal militant, mais encore les désillusions des années 80, sont-elles perceptibles dans l’écriture d’un ouvrage qui ne relève pourtant pas seulement de l’essai. L’économie de l’ouvrage n’est guère modifiée par rapport à la première édition. On pourra regretter l’absence d’une mise à jour de la bibliographie alors qu’historiens, politistes et sociologues arpentent avec volontarisme le chantier de l’histoire des politiques culturelles depuis une décennie. Une rapide postface souligne néanmoins le déplacement des principales problématiques depuis le début des années 90. La thématique de la « fracture sociale » a, il est vrai, coloré un temps le discours d’un ministère de la Culture placé sous le signe de la « refondation ». De même, depuis 1997, Catherine Trautmann a souhaité rompre avec certaines pratiques antérieures, au grand dam des logiques corporatistes : la « Charte des missions de service public du spectacle vivant » (1998) en constitue l’expression politique la plus aboutie. Cinq parties ordonnent la démonstration. L’analyse des fondements idéologiques et artistiques de l’action culturelle rend compte du projet de « rendre la raison populaire », signale la place centrale du « théâtre populaire » dans ce projet esthétique et social. La deuxième partie situe l’action culturelle au centre du projet de « démocratisation culturelle » cher à Malraux et au jeune ministère des Affaires culturelles. La troisième partie, la plus neuve, examine les effets de mai 68 sur l’action culturelle : émergence d’un « gauchisme culturel » qui remet en cause la culture établie et le rôle des institutions culturelles ; prise en compte de la crise par l’État (ministère Duhamel) avec la mise en avant du concept global de « développement culturel » ; appropriation de la culture par les partis politiques, Parti communiste français, puis Parti socialiste rénové ; débat création-animation et retour à partir du milieu des années 70 au primat de la création dans le domaine du théâtre. La quatrième partie rend compte du « dépérissement de l’action culturelle » et de la domination des conceptions mercantiles et médiatiques de la culture. Les critiques contre les années Lang sonnent souvent justes, mais le bilan est quelque peu sévère. Le doublement du budget du ministère, la volonté politique de Jack Lang, soutenu avec continuité par le président de la République, la reconnaissance par les pouvoirs publics de nouvelles pratiques culturelles, l’intense travail législatif et la modernisation des équipements culturels – les bibliothèques notamment –, la professionnalisation des acteurs culturels n’ont pas que des effets négatifs sur les formes de la médiation culturelle. Certes, le projet social qui légitimait l’action culturelle s’est délité ; pour autant, les relations entre le plus grand nombre et les univers culturels sont sans doute plus diversifiées aujourd’hui qu’hier. Enfin, une dernière partie, plus théorique, envisage les relations entre les innovations artistiques et les pratiques de communication. Elle ouvre sur des problématiques que l’auteur vient de reprendre dans Le Sens des pratiques culturelles 1. Les acteurs et institutions culturels ont souvent une mémoire fragile. Il faut donc saluer la réimpression d’un ouvrage, qui, par ce regard dans le rétroviseur, suscite la réflexion et le débat. La Culture en action doit figurer dans la bibliothèque de tous ceux qui s’interrogent sur l’intervention des pouvoirs publics dans les domaines artistiques et culturels.