Les publics de la recherche et les pôles associés

Annie Le Saux

Dominique Arot

« Ensemble, non pas autour de la BnF, mais avec la BnF », c’est ainsi que Jean-Pierre Angremy, président de la Bibliothèque nationale de France, conçoit la politique de développement partagé des collections, mise en œuvre il y a cinq ans, avec l’aide des pôles associés.

Actuellement au nombre de 53, regroupant 71 établissements, les pôles associés se répartissent en trois grands groupes, chargés de développer, traiter et diffuser sur place et à distance leurs collections dans le domaine spécifique qui est le leur. Les premiers et les plus nombreux – vingt-huit – sont les pôles de partage documentaire (l’histoire médiévale à Poitiers, ou l’océanographie à Brest par exemple), auxquels la BnF accorde une subvention pour les aider à remplir leur mission de pôle associé. Une subvention est également attribuée aux quinze bibliothèques et archives départementales qui assurent, en tant que pôles associés, depuis 1997, la collecte du dépôt légal imprimeur. C’est un label et non plus une subvention qu’ont reçu, depuis 1995, dix grands organismes de recherche de la région Ile-de-France, dont l’Institut français du pétrole pour la chaîne pétrolière et le gaz, l’Institut Pasteur pour la biologie et la microbiologie… en signant, avec la BnF, une convention de pôle associé.

Les attentes des chercheurs

Cette troisième journée d’étude du 15 juin était plus particulièrement centrée sur « les publics de la recherche et les pôles associés ». Publics de la recherche, autrement dit, en ce qui concerne la BnF, publics du rez-de-jardin, auxquels Jean-Pierre Angremy a promis l’ouverture imminente (à partir de ce 22 juin très exactement), de 10h à 15h et à titre expérimental, d’une « fenêtre, durant laquelle un nombre limité d’imprimés et de microformes sera communiqué en direct », parallèlement à l’accès en différé qui continue pour la majorité des documents.

Le discours de Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, retransmis par Jean-Sébastien Dupuit, directeur du livre et de la lecture, reprenait les deux principales attentes communes à la communauté des chercheurs : le signalement des collections, par le biais de répertoires et la consultation des documents en direct, à distance et sur place.

Via Internet, l’accès à la copie numérique devient désormais possible. Deux programmes de numérisation ont été lancés par le ministère de la Culture et de la Communication, d’une part celui des fonds de documents iconographiques et sonores appartenant à l’État, pour lequel trente projets ont été retenus, dont deux émanent de bibliothèques : les bibliothèques municipales de Saint-Étienne et d’Amiens. D’autre part, dans le cadre de la deuxième part du concours particulier de la dotation générale de décentralisation, la numérisation des collections des bibliothèques municipales.

L’idée de tout numériser relevant de l’utopie, la consultation sur place garde donc toute son importance et Catherine Trautmann est particulièrement sensible au rôle crucial que la BnF a à jouer, non seulement en offrant, et ce, le plus rapidement possible, une communication directe de ses collections, mais aussi en envisageant, à moyen terme, un système de prêt entre bibliothèques de microformes et de copies numérisées par le biais du Catalogue collectif de France (CCFr).

Bilan et perspectives

Que signifie être pôle associé ? Des réponses à cette question furent données par Jean-Marie Compte, directeur de la bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR) de Poitiers et Daniel Champlon, directeur de la documentation à l'Institut français du pétrole (IFP), tous deux pôles associés à la Bibliothèque nationale de France (BnF), l'un de partage documentaire et l'autre « label ».

Composé d'étudiants de troisième cycle, de thésards et de chercheurs, de Poitiers ou d'ailleurs, souvent de l'étranger, le public fréquentant le pôle associé d'histoire médiévale de Poitiers, que se partagent la BMVR, la bibliothèque universitaire, le Centre d'études supérieures de civilisation médiévale, le service de l'inventaire et l'Association de la Maison du Moyen Âge, a accès à un fonds spécialisé de haut niveau scientifique, que les moyens budgétaires obtenus au titre de pôle associé ont permis d'augmenter d'environ 4 000 documents. Il est difficile, dans ce cas, d'expliquer le faible taux de documents demandés dans le cadre du prêt entre bibliothèques et de la communication à distance. Sur les 2 000 documents prêtés, seuls 270 font partie de la thématique du pôle associé.

Face à cette observation, Daniel Renoult, directeur général adjoint à la BnF, a tendance à penser, tout comme Jean-Marie Compte, que la politique des pôles associés doit s'inscrire dans la durée, que le temps permettra de consolider et de diversifier les actions, et qu'une réflexion plus concrète sur l'accès à distance et le prêt s'avère nécessaire. Il serait bon aussi de dépasser les formes traditionnelles de développement des collections et de les valoriser.

Élargir le partenariat

Une autre ouverture consiste à élargir le partenariat à d'autres organismes scientifiques, sans toutefois chercher à agréger tous les petits centres très spécialisés, dans lesquels le professionnalisme n'est peut-être pas suffisant à une participation au travail en réseau. Un professionnalisme que Daniel Champlon reconnaît avoir développé depuis la signature de la convention de l'IFP avec la BnF. Le fonds du centre de documentation de l'IFP est désormais géré selon les normes du métier. On y fait de la veille technologique, on y constitue des dossiers documentaires, on y fait des recherches sur les banques de données...

De même, le fait d'être pôle associé leur a-t-il permis de revoir leur politique d'acquisition et de prendre conscience qu'ils avaient des choix à faire. Puisqu'ils devenaient une bibliothèque de recours dans les domaines du pétrole et du gaz, ils devaient s'appuyer sur le réseau pour tout ce qui était connexe et travailler de plus en plus en partenariat. « Être pôle associé est une réponse aux besoins d'accéder à une information spécialisée et pointue dans des domaines que nous ne couvrons pas et une façon d'étendre notre réseau de compétences », constate Daniel Champlon, qui ajoute que leur public également a évolué, augmentant de 15 % le nombre de chercheurs et d'universitaires. Autre avantage, et non des moindres, être pôle associé est un argument politique et aide à consolider la place du centre de documentation dans l'entreprise.

Beaucoup de nouveaux projets peuvent être encore menés afin d'étendre les ramifications des réseaux qui relient les bibliothèques et les organismes de recherche et de documentation en direction d'un public proche ou lointain, parmi lesquels Daniel Renoult a cité la signature, à partir de l'an 2000, de nouvelles conventions destinées à combler les actuels manques géographiques et thématiques.

Les axes de coopération entre pôles

Durant l'après-midi, les participants se sont répartis entre quatre ateliers dont les thèmes abordaient des axes possibles de coopération entre pôles : numérisation, catalogue collectif de France, expertise partagée, conservation.

En ce qui concerne la numérisation, il a été rappelé que la BnF avait connu deux phases successives, avec, entre 1992 et 1998, la constitution d'un noyau dur patrimonial et encyclopédique à partir des collections d'imprimés et d'images. Depuis 1999, l'accent est mis sur des programmes thématiques et multimédias. Deux préoccupations ont été exprimées par les participants : quel signalement des documents numérisés et des programmes en cours ? Quelles applications du droit concernant la reproduction et l'accès des documents ? Le principe d'une journée de travail spécifiquement consacrée à ces questions a été envisagé.

De leur côté, les responsables de la réalisation du Catalogue collectif de France (nouvelle abréviation consacrée : CCFr *) ont présenté cet outil de localisation fondé sur trois sources : le catalogue de la BnF, le produit de la conversion rétrospective des bibliothèques municipales et le système universitaire de documentation. L'ensemble du dispositif sera en état de marche en septembre 2000. D'ici là auront été conduits des travaux dont certains produisent des résultats visibles (le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation-RNBCD) et dont d'autres qui, pour être indispensables, sont moins spectaculaires (réalisation de prototypes). Les pôles associés ont manifesté leur volonté de participer activement à la mise en place d'un réseau performant de prêt entre bibliothèques en assurant les fonctions de « bibliothèques de rattachement ». La coopération des établissements est également requise à plus court terme pour alimenter les diverses informations descriptives contenues dans le RNBCD.

Le troisième atelier consacré à l'expertise partagée semblait ouvrir des voies nouvelles permettant aux pôles d'aller au-delà du seul partage documentaire. De manière encore un peu confuse, mais assurément dynamique, ont été envisagés aussi bien des programmes de recherche sur les collections que le partage des savoir-faire et des compétences liés aux fonds ou que des répertoires d'experts et de sources. Pour concrétiser ces diverses pistes, les idées d'un forum en ligne des pôles associés ainsi que d'une revue sur papier ont été lancées.

En matière de conservation, si les conditions de conservation se sont à peu près partout améliorées, l'accroissement des fonds à conserver est constant. Et plusieurs interrogations se combinent à ce sujet : quel est le périmètre exact des fonds patrimoniaux, jusqu'à 1811 ? Remontant à cent ans ? Comment concilier la volonté d'exhaustivité et le nécessaire échantillonnage de certains documents ?

En fin de journée, le directeur du livre et de la lecture, Jean-Sébastien Dupuit, pouvait donc fonder ses propos sur ce foisonnement de questions et de débats. Il en tirait la constatation de l'existence réelle de ce réseau des pôles associés, dont on aurait pu craindre un instant qu'il ne fût qu'une sorte d'alibi destiné à contrebalancer, aux yeux de l'opinion, l'investissement parisien représenté par la bibliothèque de Tolbiac. Bien au contraire, selon lui, une telle journée a montré la convergence des divers chantiers coopératifs impulsés par l'État : pôles associés, CCFr, réforme du dépôt légal, programme des BMVR. Mais cette convergence, cette cohérence, n'excluent pas la diversité des initiatives. Reste à élaborer des règles communes pour faire de cette richesse autre chose qu'une prolifération désordonnée. Ce souci de trouver ensemble des repères communs peut expliquer qu'on ait au fond assez peu traité du thème de départ de la journée, les publics de la recherche. Le futur projet d'établissement de la BnF et les contrats d'objectifs qui s'y rattachent devraient inclure cette dimension de réseau et contribuer à la mise en ordre du paysage.

L'an prochain, il faudra sans doute trouver un moyen d'associer à cette importante journée de manière encore plus marquée les participants essentiels à ce réseau que sont les bibliothèques des grands établissements et des universités et leur ministère de tutelle.